Mais c’est aussi pour l’auteur l’occasion de faire un portrait précis du Mexique au XIXème siècle, et cela semble même son intention principale tant les développements politiques liés à l’intervention française de 1862 ne sont finalement abordés qu’à la fin de l’œuvre. Le travail est précis, documenté, minutieux. Guy-Alain Dugast a recueilli les récits des voyageurs ayant visité le Mexique entre 1821 (date de l’indépendance avec Iturbide) et 1862.
La diversité des propos collectés est un des grands atouts de l’ouvrage, car ils émanent de libéraux, de conservateurs, d’aventuriers ou de républicains comme Victor Schoelcher, seule personnalité citée connue du grand public.
Dans un premier tome centré sur la nature, les ressources et les hommes, Guy-Alain Dugast montre que l’indépendance du Mexique a d’abord suscité un immense espoir parmi les libéraux qui y voyaient un alter-ego latin des États-Unis. La richesse des sols agricoles, des mines, la localisation stratégique devaient faire du Mexique une nouvelle Constantinople.
Puis, au fur et à mesure des voyages, on sent poindre la déception et le mépris envers un pays pauvre, sans routes dignes de ce nom, peuplé d’individus sanguins, adonnés au jeu, peu combatifs, indolents. Un peuple dirigé par une élite politique impuissante, évoquée dans le second tome, corrompue, et dont la gestion catastrophique du pays (savoureux portraits de Santa Anna) mène à la perte du Texas en 1836 puis à celle de la Californie, du Nouveau-Mexique et de l’Arizona en 1848 face aux États-Unis.
En conséquence, c’est surtout après les années 1850 qu’en France, un courant interventionniste se met en place. Il s’agit d’abord d’exploiter à sa juste valeur le pays, laissé en « friche » par les Mexicains, puis de protéger le catholicisme et l’identité latine face aux États-Unis, chantres du protestantisme anglo-saxon.
Le refus de Benito Juarez de payer les dettes françaises en 1861 et l’impuissance des Etats-Unis serviront de prétexte à une intervention européenne, rapidement menée par les seuls Français. Une intervention qui se terminera tragiquement en 1867, après que le pays a été lâché par la France, avec l’exécution de Maximilien par les partisans de Benito Juarez qui rétablissent la république fédérale.
Au final, on apprend beaucoup de choses sur ce que pouvait être la réalité d’un pays de culture hispanique après la décolonisation. Certains passages sont pittoresques, en particulier lorsqu’ il s’agit de décrire les autochtones (notamment les aubergistes, souvent grotesques) ou les combats de rue « à la mexicaine », où le but semble de tuer le moins d’adversaires possible !
Peut-être aurait-on cherché un peu de recul de la part de l’auteur dont on peut regretter le manque de perspective pour expliquer ce « retard » mexicain. Les spécificités de la population post-coloniale sont en effet telles, qu’un développement à l’européenne était, de fait, peu probable, d’autant plus que les Espagnols avaient été chassés du pays très tôt, alors qu’ils représentaient l’élite marchande. On regrettera aussi un style lourd, répétitif, avec l’usage récurrent de phrases types, l’abus de guillemets, qui gâche un peu l’ensemble. Guy-Alain Dugast n’est pas un raconteur, et le manque de synthèse fait parfois qu’on se perd un peu dans la diversité des témoignages proposés. Ceci étant dit, alors que tant d’ouvrages se focalisent sur les États-Unis pendant la même période (voir les écrits de Tocqueville), la mise en avant de ce Mexique exotique au premier sens du terme est un plaisir non négligeable.
Mathieu Souyris