Si Paul Mercier rédige en 1968 une thèse complémentaire une thèse complémentaire était comme son nom l’indique le complément obligatoire d’une thèse de doctorat d’Etat. La thèse de doctorat d’Etat de Paul Mercier portait sur anthropologie des Sombas : Tradition, changement, histoire; Les « Somba » du Dahomey septentrionalde sociologie L’agglomération dakaroise : quelques aspects sociologiques et démographiques, ses recherches sont déjà anciennesComme le montre cet article de la revue Persée, daté de 1954 et sont une approche de géographie sociale de la ville. Bien qu’ancienne et critiquable dans sa méthodologie, comme l’écrit Jean-Luc Bonniol dans son avant-propos, cette thèse est aujourd’hui une source d’histoire urbaine, un tableau de Dakar dans les années 1950, fruit de son évolution depuis sa fondation en 1857.
L’ouvrage est d’abord l’édition de la thèse de Paul Mercier, alors directeur de la section de sociologieMerci à Jean Copans pour sa remarque concernant la fonction de Paul Mercier de l’IFAN Institut fondamental d’Afrique noire, institut français d’Afrique noire dans son appellation antérieure à 1966 (p. 17 à 182). La longue postface de Jean Copans présente la difficile archéologie sociologique de Dakar des années 1950 (p. 185 à 317).
Contribution à la sociologie des villes du Sénégal occidental à la fin de l’époque coloniale
Après une rapide description de son objet d’étude, Paul Mercier en décline les résultats en cinq chapitres thématiques.
L’urbanisation au Sénégal
C’est d’abord un rappel rapide de l’histoire de la colonie et de sa réalité économique au lendemain de la guerre. L’urbanisation du territoire est un phénomène déjà ancien, dès le XVIIe siècle avec les entrepôts de la Compagnie du Sénégal à Saint-Louis (15 000 h en 1865). L’auteur évoqua Gorée puis propose quelques chiffres de l’évolution des principales villes depuis la seconde moitié du XIXe siècle : Saint-Louis, Dakar, Rufisque, Thiès, Kaolack, Djourbel et Ziguinchor.
Il tente un essai de typologie urbaine, centre administratif, carrefour routier, centre commercial, militaire et déplore la faiblesse des statistiques disponibles pour une étude des différentes populations qui, vivent en ville : vieux citadins, captifs libérés, migrants de l’intérieur, élite bourgeoise des quatre communes.
Une présentation plus détaillée de Dakar et Thiès complète le chapitre.
Parenté, alliance, voisinage
L’étude comparative Dakar / Thiès montre un déséquilibre du sexe-ratio aggravé par une polygamie majoritaire. La maisonnée, groupe familial de base, n’est pas celui d’une famille restreinte. Si les liens de parenté ont tendance à se relâcher en ville, le « parasitisme familial » demeure fréquent. Les célibataires et migrants cohabitent du fait de la cherté du logement. Enfin il n’y a pas d’homogénéité ethnique des quartiers.
Les formes nouvelles de groupement
Les associations fournissent aux nouveaux citadins assistance et protection, satisfaction des besoins sociaux de base (funérailles, recherche d’une épouse). Les associations décrites sont tantôt ethniques, religieuses, tantôt politiques ou socio-professionnelles. Elles permettent une insertion sociale et l’adoption de nouveaux comportements.
Une large place est faite aux organisations politiques et syndicales notamment depuis 1945. L’existence d’un clientélisme s’appuyant sur le prestige du leader est une donnée intéressante car elle reste, aujourd’hui, un élément important de la vie politique sénégalaise.
Problèmes de stratification sociale
Après une définition de la notion de stratification sociale et des remarques sur les difficultés d’une étude dans une ville africaine, l’auteur montre la mobilité sociale. Il n’y a pas de corrélation entre origine ethnique, religion et catégorie socio-professionnelle même si l’influence occidentale est plus marquée chez les employés et fonctionnaires, phénomène renforcé par l’accès à la scolarisation. Au sein de l’élite, on constate une évolution des comportements, des aspirations et de l’engagement selon que les personnes appartiennent à l’élite coloniale ou s’ils sont plus jeunes.
Relations ethniques, relations raciales
Le denier chapitre aborde la question de l’ethnie des nouveaux urbains, y compris non sénégalais, par exemple les Bambaras. Leur degré de scolarisation est plus faible que pour les groupes urbains installés. L’étude est rendue difficile par l’absence de quartiers ethniques.
Les mariages interethniques ne sont pas courants sans être rares sauf pour les Wolofs à Dakar et les Sérères à Thiès qui sont dans leur région ethnique.
Un paragraphe est consacré à la population européenne. Elle est plutôt d’implantation récente. En 1946 72 % des Français vivant en AOF étaient nés en métropole. L’auteur note une fermeture de la ville européenne à Dakar alors même que l’élite africaine entre en concurrence avec la population européenne pour certains emplois. Il constate la montée d’un sentiment raciste et un refus des mariages mixtes.
Postface : La difficile archéologie sociologique au Dakar des années 1950
Jean Copans resitue la thèse de Paul Mercier dans le contexte universitaire des années 1960. Il constate l’absence d’études de sociologie urbaine au Sénégal dans la période suivante voir La ville sénégalaise – Une invention aux frontières du monde, Jean-Luc Piermay et Cheikh Sarr, Karthala, collectif. Hommes et sociétés, 2007.
Les travaux de Mercier s’inscrivent dans une perspective très anthropologique, comme le montre la comparaison avec ceux de Georges Ballandier, notamment sur Brazzaville ou avec d’autres auteurs sur l’Afrique ou la France métropolitaine.
Jean Copans décrit les conditions des enquêtes qui ont conduit à la thèse de Paul Mercier. Une postface en quelque sorte épistémologique.