Entre mythe national et fondement de la France contemporaine, entre espoirs universels et déchirements nationaux, entre utopie démocratique et stratégies politiques, la Révolution française ne cesse de diviser autant qu’elle fonde la communauté des citoyens français…

 

Cette ambivalence, cette ambiguïté, elle la doit en grande partie à cette ombre qui se glisse dans ses pas, s’insinue dans les méandres de l’utopie révolutionnaire lézardant petit à petit le nouvel édifice sociopolitique bâti à coup d’idéaux philosophiques, de discours enflammés aux allures de mécaniques d’horlogers rythmées par l’empire de la Raison.
Cette part d’ombre de la Révolution est celle qui se nourrie de violence et de sang plutôt que d’idéaux, c’est aussi celle qui divise les Français comme les historiens. Le Bicentenaire de 1989 avait fait la part belle à la face lumineuse de la Révolution, celle des grandes idées de 1789, mais depuis les années 2000, la terreur est ressortie de l’ombre sous l’impulsion d’historiens du politique. L’enjeu était de taille, il s’agissait de réévaluer la place de la Terreur dans la Révolution : simple dérive impulsée par le danger extérieur, les fameuses circonstances, ou mécanique implacable tapie dans l’ombre depuis les débuts révolutionnaires, la terreur serait-elle consubstantielle à la Révolution voire à toutes les révolutions ? La Terreur annoncerait-elle alors les dérives totalitaires du XXème siècle ?

La sortie de l’ouvrage de Patrice Gueniffey en 2000, Les politiques de la Terreur, déclenche une polémiquePolémique de spécialistes mais également d’institutions, EHESS contre IHRF. évoquant presque celle qui a opposé François Furet et Albert Soboul dans les années 1970, mais en beaucoup moins médiatique. Patrice Gueniffey, disciple de Furet a repris son interprétation, celle d’une terreur consubstantielle à la Révolution et en germe depuis le printemps 1789. Jugé trop théorique voire a-historique car déconnecté des faits, Gueniffey a dû essuyer les vives critiques de l’IHRF, derrière Michel Biard qui riposte par l’organisation d’un colloque. L’intérêt de ce colloque est d’élargir considérablement le champ de recherche de la Terreur, au-delà du politique. Selon Michel Biard et J.C Martin, la Terreur est avant tout un formidable moment d’expérimentation politique, mais aussi économique, social et culturel.

Jean-Clément Martin, historien spécialiste de la Vendée révolutionnaire au sein du l’Institut d’histoire de la Révolution, souhaite prendre de la hauteur par rapport à ces débats surtout théoriques en empruntant la focale du temps long et de se situer dans le prolongement des travaux de Jean Nicolas Nicolas Jean, La Rébellion française, Paris, Seuil, 2002., en replaçant la violence dans l’histoire sociopolitique de la France monarchique et plus seulement de la France révolutionnaire.
Dans ce petit ouvrage destiné au grand public, Jean-Clément Martin s’attache à rechercher et mettre en évidence les généalogies de la violence révolutionnaire afin de montrer que cette violence n’est pas spécifique à cette période mais qu’elle est d’abord liée à la pratique du pouvoir monarchique et que la Révolution ne fait que les reprendre. Ensuite, l’auteur déroule le flot des évènements révolutionnaire en prenant soin de mettre en perspective les poussées de violence, leur nature, leur forme…
Enfin, dans une partie plus historiographique, J.-C Martin s’attarde sur les répercussions de ces événements ainsi que les diverses interprétations qui en ont été faites aux XIXème et XXème siècles.

La terreur, un outil du pouvoir

L’usage de la violence et de la terreur a « toujours » accompagné la pratique du pouvoir selon Jean-Clément Martin, cependant, le XVIIIème siècle tend à remettre en cause ces habitudes sans pour autant totalement les abandonner.
Au-delà de la violence elle-même, la terreur vise à susciter un sentiment d’effroi chez l’adversaire. Le pouvoir monarchique, en France, l’utilise pour contrôler au mieux le corps social en pratiquant l’exemplarité du châtiment. La terreur est également intimement liée au sacré, celui de la monarchie, celui de la personne du roi, celui de la religion. La terreur sait se parer également des habits de la justice exemplaire et spectaculaire.
Mais le XVIIIème siècle voit les mœurs évoluer à l’initiative d’une élite cultivée. Voltaire s’indigne du sort réservé au chevalier de La Barre et à Jean Calas. Les sensibilités évoluent, même au sein de la Cour. Louis XVI abolit la torture préalable en 1788.
Cependant, les mentalités, elles, ne changent guère et si les dirigeants politiques s’intéressent aux écrits d’un Beccaria sur la proportionnalité des peines ou d’un Diderot ou Voltaire sur la tolérance, la nécessité de contenir les masses populaires président toujours aux destinées des royaumes d’Europe, de la France de Louis XV ou Louis XVI en passant par l’Autriche de Joseph II à la Russie de Catherine IIA l’image de la répression et du supplice de Pougatchev en 1774 dans la Russie de Catherine II, protectrice de Diderot..

L’histoire est avant tout un travail sur le temps et la chronologie des évènements. J.-C Martin repère trois périodes distinctes au sein de la Révolution, toutes trois mues par des logiques différentes, mais chacune hantée par des violences de formes et de natures différentes.

Entre utopies et déchirements nationaux, les bonnes intentions trahies (1789-1792)

L’histoire de la Révolution française est avant tout celle d’une rupture. Rupture du consensus unissant le corps social, rupture des liens entre le roi et son peuple. En effet, derrière son administration et les fastes de la Cour, le roi s’est de plus en plus éloigné de ses sujetsOn rappellera ici que Louis XVI ne fait qu’un seul voyage au sein de son royaume, celui qui l’amène au port de Cherbourg. Cet unique voyage est loin d’être anecdotique. La monarchie se désacralise et se dépersonnalise peu à peu..
La rupture de ce consensus social s’illustre lors de la réunion des Etats-Généraux qui révèle une incompréhension entre le roi et les députés convoqués. Les prémisses de la violence puis de la terreur sont en premier lieu le fruit de cet édifice social qui se lézarde : nobles contre tiers état, naissance contre fortune et talents.
Cette incompréhension débouche sur un blocage politique, les députés du tiers souhaitant réformer l’édifice monarchique en donnant une constitution au royaume alors que le roi et ses proches souhaitent avant tout régler le problème financier, en refondant au mieux, la fiscalité. Ces blocages persistants suscitent inquiétudes et peurs chez les députés. Inquiétudes de voir les Etats-généraux dissous par le roi, peur des soldats comme des émeutes urbaines et parisiennes en particulier, ces deux sentiments combinés les poussent alors à commettre des actes illégaux commandés par une forte émotivité : le 20 juin 1789, ils scellent un pacte solennel de solidarité, un pacte avec la nation et le 23 juin, ils affrontent l’autorité du roi, celle des baïonnettes.
Ces inquiétudes et ces peurs ont tôt fait de gagner le pays et de se répandre dans les campagnes donnant lieu à des formes de violences populaires bien connues, les jacqueries, s’en prenant aux symboles de l’autorité : le château, le seigneur, l’administrateur local. A Paris, les premiers massacres ont lieu, Berthier de Sauvigny, l’intendant de la généralité de Paris et son beau-père Foulon, récemment nommé à la place de Necker, sont accusé de spaculation sur les grains et pendus en place de GrèveLa tête de Foulon est portée au bout d’une pique, la bouche pleine de foin et son coeur montré aux conseillers de Paris.
Désormais, l’objectif des députés, réunis au sein d’une Assemblée Nationale, est de sortir de cet engrenage de violence, la nuit du 4 août 1789 tout comme la réforme hautement symbolique de la justice affichent avant tout pour ambition de recréer du consensus social, de ressouder les liens de la nation naissante. Consensus, compromis, négociations, l’Assemblée devient le laboratoire d’une transaction nationale inédite visant à instaurer de nouvelles règles communes. Parallèlement, l’Assemblée tente de conserver le contrôle de la violence légale et légitime en promulguant la fameuse loi martiale interdisant tout attroupement illégal.
Aussi surprenant que cela puisse paraître au premier abord, la guillotine constitue le symbole de cette volonté de conciliation nationale. Avant d’être la machine impitoyable de la terreur, la guillotine est avant tout un symbole, celui de l’égalité devant la justice, celui de l’humanité dans la souffrance, celui de la dépersonnalisation de la peine confiée à la loi de la pesanteur. Mais l’exécution plus humaniste reste un spectacle.
Ces bonnes intentions de conciliation de l’Assemblée ne suffisent pas, la nationalisation des biens du clergé a tôt fait de lézarder le fragile consensus et la France plonge peu à peu dans les abîmes de la guerre civile. La région lyonnaise puis l’ouest breton et vendéen sont le théâtre d’affrontements.
La fuite avortée du roi, le 20 juin 1791, met fin à la volonté unificatrice des députés. L’Assemblée Nationale a échoué à réparer le corps social et politique en échafaudant une Constitution que le roi n’approuve que sous la contrainte.
Le massacre du Champs de Mars illustre en quelque sorte cet échec. A partir de ce moment-là, à l’image de la nation, le corps des députés se scindent entre constitutionnels et radicaux.
L’année 1792 est celle de la guerre, fruit d’une stratégie politique dont chacun des partis attend un bénéfice, la victoire militaire peut-elle conduire à la victoire politique ? Les premières défaites annoncées et l’attitude hostile du roi envers les réformes accroissent la suspicion et font peser sur lui le voile de la trahison. Inquiète, une foule parisienne envahie l’Assemblée puis le palais des Tuileries afin d’intimider le roi qui ne cède pas.
Le 10 août 1792, après un massacre au cœur de Paris, la famille royale est faite prisonnière, la monarchie est balayée et le pouvoir politique affaibli par les divisions et les concurrences n’a pu, ou n’a voulu contenir les violences populaires.
Peur de la vengeance des armées européennes ? Crainte d’un complot intérieur ? Stratégie politique visant à contrôler la violence populaire ? La généalogie des massacres parisiens de septembre de 1792 reste embrouillée, mais la barbarie est bien réelle et témoigne d’un déchaînement incontrôlé et incontrôlable des pulsions de haine : les opinions politiques président alors à la violence. Contrôler cette violence devient alors l’enjeu de la suite des évènements.

Canaliser la violence, au cœur des stratégies politiques (1792-1793)

La Ière République française, proclamée peu après le 10 août et les massacres de septembre 1792, est donc née sous les ombrageux auspices de la violence populaire. La gestion de cette violence prométhéenne en quelque sorte, constitue donc l’enjeu essentiel des luttes et stratégies politiques se dessinant sous les arcanes de la Convention. En effet, la Convention se scinde en plusieurs groupes, fluctuants au demeurant, selon qu’ils acceptent ou refusent la violence sans-culotte du mois de septembre.
La victoire improbable et inespérée de Valmy donne l’avantage aux Montagnards, initiateurs de la guerre, victoire qui leur permet de faire condamner le roi pour trahison.
La coalition des armées européennes contre la France provoquent un durcissement de la politique intérieure : la Convention ordonne la levée de 300 000 hommes et envoie des représentants en mission dans les départements afin d’assurer la bonne exécution de ses lois. Mobiliser les masses populaires pour mieux les contrôler ou du moins canaliser leur violence contre un ennemi aisément identifiable. L’auteur n’insiste pas assez, et c’est dommageable, sur la théorie du complot qui permet pour les Montagnards de réunir, en un même ennemi, les armées étrangères et les révolutionnaires plus modérés comme les Girondins.
La Convention tenue par les Montagnards joue cependant son équilibre sur un fil. D’un côté, elle doit réprimer toutes émeutes et guerres civiles nées d’une opposition à ses décrets comme celui de la levée en masse de mars 1793, mais également retenir les ardeurs des sans-culottes réclamant des mesures économiques et sociales radicales au nom de l’égalité, impossible à mettre en œuvre pour ses bourgeois attachés à la propriété.
Dans leur quête de pouvoir, les Montagnards jouent un jeu dangereux: s’appuyant sur les forces sans-culottes de Paris, ils précipitent hors de la Convention, les Girondins alors que Lyon expulse, elle, ses sans-culottes… Jeu dangereux car les sans-culottes réussissent à mettre la pression sur la Convention qui est contrainte de satisfaire une partie de leurs exigences socio-économiques. Stratégie politique ? Fort probable, mais l’auteur n’en dit mot. Une véritable économie de guerre se met peu à peu en place avec les lois sur le maximum des prix et des salaires. Ici aussi, le propos de l’auteur reste vague, bloqué sur le mode narratif. On aurait attendu que l’auteur nous montre que la peur change de camp et que la terreur ou la crainte de la violence, hier étrangère et aujourd’hui parisienne, préside aux destinées politiques du pays.
Le moteur des différentes lois votées successivement en 1793 est avant tout la peur, celle de la violence populaire, s’engage alors le jeu dangereux de la surenchère politique.
Cependant, ce qui est dit clairement, c’est qu’il n’y a pas de système politique de la terreur, l’auteur faisant ici référence au livre de Pascal Gueniffey. Il y a plutôt une terreur pratiquée par une multitude d’acteurs afin d’influencer ou de s’emparer du pouvoir. La terreur est donc bien toujours, comme sous la monarchie, un outil de pouvoir mais aussi de légitimité.
La Convention donne aux Comités de salut public et de sureté générale ainsi qu’au tribunal révolutionnaire plus de pouvoirs.
La Convention se laisse encore déborder en octobre 1793 lorsque les sans-culottes obtiennent, par l’entremise d’un procès bâclé mené sous le signe de la haute-trahison, la condamnation de la reine et de vingt-et-un Girondins. Malgré tout, la Convention réagit et tente de reprendre la main sur les sans-culottes en encadrant leur violence purificatrice par la loi des suspects. L’auteur, malheureusement, n’explicite pas la portée de cette loi. Cependant, elle est importante car contrairement à ce que l’on pourrait penser, elle n’encourage pas la violence et la terreur, mais tente de la canaliser et par la même occasion de réintroduire une once de justice et de légitimité.
Malgré tout, les violences populaires ne cessent pas pour autant.
C’est le sens de la suspension de la Constitution de 1793 et de la mise en place du gouvernement révolutionnaire jusqu’à la paix. La Convention se déclare seule légitime de la violence légale, désarmant et discréditant ainsi les sans-culottes et leurs meneurs, les Enragés et hébertistes. Mais cette mesure ne consacre pas la terreur comme système de gouvernement ni ne l’aggrave ; au contraire, elle la limite et l’encadre.
La prochaine étape de la Convention consiste à centraliser en ses deux comités, l’essentiel du pouvoir afin d’amorcer une fin des violences.

Terminer la Révolution et mettre fin aux violences (1794)

C’est cette idée de justice mais aussi de légalité que tente de réhabiliter progressivement la Convention montagnarde au cours de l’année 1794. Les discours des députés changent en même temps que les conflits extérieurs et intérieurs marquent une pause. Une politique d’apaisement religieux, judiciaire et économique voit le jour. Saint-Just devance les sans-culottes en annonçant que la confiscation des biens des contre-révolutionnaires servira à aider les indigents. Cette révolution silencieuse de la Convention est stratégique, elle a pour objectif d’isoler les sans-culottes des masses populaires urbaines. Ces chefs sans-culotte, dont les discours, eux, n’ont pas changé, sont accusés de diviser le peuple et donc de complots contre-révolutionnaires, ils sont éliminés en mars 1794.
A l’opposé de l’échiquier politique, les Indulgents, montagnards plus modérés souhaitant mettre fin au gouvernement révolutionnaires, sont suspectés de corruption dans le cadre du scandale financier de la Compagnie des Indes.
Les factions rivales, ultra-révolutionnaires de la rue et modérés de l’Assemblée, sont alors hors-course, mais les rivalités subsistent, dans le feutré ; elles sont juste mises en sourdine par la peur de l’échafaud. En effet, des députés rentrant de mission et ayant appliqués des mesures dites terroristes sont plongés dans l’incertitude face à ce retournement de politique de la Convention sous l’impulsion de Robespierre et Saint-Just.
Cette inquiétude grandit lorsque Couthon, ami de Robespierre, lance la loi du 22 prairial (10 juin) qui étend le champ des suspects tout en réduisant les formalités de jugement accélérant ainsi les procédures menant à l’échafaud.
C’est cette incertitude mêlée à l’inquiétude qui assaillent ces députés de l’aile gauche de la Convention et les poussent à sortir de l’ombre. Craignant une épuration orchestrée par Robespierre et ses amis, ils se décident à attaquer en l’accusant de comploter pour restaurer la monarchie.
Une fois de plus l’auteur nous laisse sur notre faim de sens. Comment expliquer ce 9 thermidor ? L’auteur n’en dit mot, le propos reste narratif.
Robespierre fut victime d’un mécanisme implacable, celui qui s’est enclenché depuis la chute de la monarchie, celui qui ne conçoit la lutte politique que comme une élimination. Ce mécanisme est né dans cette crainte voire hantise du complot contre-révolutionnaire.

La Terreur, un souvenir encombrant les mémoires et divisant les historiens

C’est ce fameux 9 Thermidor qui donne une réalité à cette Terreur à la fois omniprésente et insaisissable…en lui donnant un visage, celui de Robespierre. Cependant, ceux qui ont conduit Robespierre et ses acolytes à l’échafaud n’en tirent aucun avantage, bien au contraire. Ils sont alors victimes d’un retour de balancier: les prisons s’ouvrent, les anciennes victimes deviennent les nouveaux accusateurs, c’est ainsi que le représentant Carrier après un procès est guillotiné en décembre 1794 devenant le deuxième bouc émissaire de cette violence des années 1793-1794. Certains, plus habiles, parviennent à en réchapper tels Barras, Tallien ou Fouché.
La vague d’épuration qui s’ensuit échappe alors rapidement à la Convention et la violence purificatrice change de camps, c’est la Terreur blanche, menée par de jeunes modérés ou royalistes qui lancent une véritable chasse aux jacobins dans les grandes villes de France, la mode vestimentaire devient alors un précieux sauf-conduit…
Cependant, la vie politique s’éloigne rapidement de la Terreur, même si, dans les faits, les hommes à la tête de l’État ont peu changé. Plus que la violence populaire, c’est désormais la violence feutrée des coups d’État qui préside aux affaires de la France. Malgré tout la violence n’en est pas moins présente, elle subsiste dans les provinces au travers des bandes royalistes et s’exportent en terre étrangères où les soldats français se posent en conquérants.
Durant tout le XIXe siècle, la violence révolutionnaire est très majoritairement critiquée et dénoncée par les hommes politiques, les romanciers et les mémorialistes dont beaucoup assimilent et réduisent la Révolution à la Terreur.
Selon l’auteur, il faut attendre la révolution russe pour voir réhabiliter des personnages de la Terreur tel Robespierre ou Marat. Mais c’est après 1945, qu’en France, le passé révolutionnaire se pacifie et que la Terreur est alors considérée comme un accident.
Dans son dernier paragraphe intitulé « Comment écrire l’histoire de la Terreur », peut-être le plus intéressant de l’ouvrage, J.C Martin revient un peu plus clairement sur son interprétation de la Terreur et c’est essentiellement ce qu’il faut retenir de cet ouvrage. Elle n’a pas été un système ou une politiqueJean-Clément Martin fait ici référence au titre de l’ouvrage « repoussoir » sur le sujet de Patrice Gueniffey. mais plutôt un compromis qu’ils ont perdu, fruit d’une stratégie politique visant à canaliser la violence populaire dans le but de conserver le pouvoir et de terminer la Révolution. Cependant, ces apprentis hommes politiques, ces Montagnards et Girondins ont échoué dans leur stratégie et n’ont pas su rester maître de cette violence.
L’auteur invite donc les lecteurs à dépasser ces mots, ces « tigres de papier » comme il les nomme, que la Révolution a créés et instrumentalisés tels « Terreur » ou « fédéralisme », pour s’en tenir aux faits qui nous décrivent l’échec d’une stratégie politique.
Dans cette interprétation essentiellement politique de la Terreur par J.C Martin, on distingue aisément son positionnement historiographique. Entre la théorie des circonstances et celle de la consubstantialité de la terreur à la Révolution et en mariant temps long et temps court, J.C Martin trace une voie médiane de l’interprétation de la Terreur en l’analysant sous l’angle de la stratégie et du jeu politiqueCette interprétation essentiellement politique (et ici J.C Martin rejoint quelque peu François Furet) est légèrement critiquée par son collègue Michel Biard dans le tome consacré à la Révolution dans l’Histoire de France de chez Belin, p.615..

Enfin, dans une dernière partie, l’auteur donne la parole aux contemporains de l’évènement ainsi qu’aux historiens en retranscrivant quelques textes classés par thèmes sur la guillotine, les impressions suscitées par les massacres, les sans-culottes, sur Robespierre et les interprétations des historiens du XIXème et XX siècles.

Conclusion, un ouvrage grand public privilégiant la narration à l’explication

Le nom J.-C Martin apposé sur une couverture reste un gage indéniable de qualité scientifique et d’écriture. Le propos y est clair, précis mais aussi concis, vulgarisation oblige.
Outre la précision du propos et la caution scientifique, le grand point fort de cet ouvrage est incontestablement sa très riche iconographie. Les illustrations y sont très variées, du tableau à l’estampe en passant par les croquis et dessins ainsi que les reproductions de documents d’archives (peu exploitables cependant vu leurs dimensions).
De plus, la bibliographie, sélective certes, propose les ouvrages de référence sur le sujet. On y remarquera toutefois l’absence surprenante du dernier ouvrage de Timothy Tackett remettant au goût du jour la fameuse thèse des circonstancesTACKETT Timothy, Le Roi s’enfuit – Varennes et l’origine de la Terreur, La découverte, 2004..
Cependant, on pourra regretter que le propos ne se cantonne que trop souvent au registre de la narration plutôt que de l’explication. Au travers du récit des évènements, J.-C Martin ne se risque pas trop au jeu de l’interprétation et abandonne quelque peu le fil directeur de son ouvrage, à savoir le sens de cette terreur, il faudra attendre le tout dernier paragraphe pour glaner quelques éléments d’interprétations.
Enfin, les amateurs de débats historiographiques seront déçus, les controverses entre Soboul et Furet sont rapidement évoquées et les polémiques actuelles relancées depuis les années 2000 dont participe pourtant l’IHRF sont mêmes absentes du propos. Frustrant de ne pas lire la position de celui qui en fut le directeur et qui a travaillé plus particulièrement sur cette période au travers de la Vendée révolutionnaire.
Ces manquements s’expliquent avant tout par la ligne éditoriale de la collection qui substitue inévitablement la simplicité à la complexité. Mais un récit de la Révolution française sans débats historiographiques voire politiques a-t-il un sens ? Quoiqu’il en soit, il perd immanquablement de sa saveur.

En quoi cet ouvrage peut-il être utile à l’enseignant du secondaire ?

L’enseignant du secondaire pourra tout d’abord y puiser une iconographie variée afin d’illustrer les riches évènements de la période et convoquer les sources présentées en fin d’ouvrage tant en collège qu’en lycée puisque la Révolution est encore au programme…
Il pourra également y trouver un récit clair et concis des évènements révolutionnaires et nuancer grandement l’image de la terreur.
Les enseignants devront aussi y retenir l’approche de l’auteur qui mêle longue durée et temps court ainsi que sa thèse, thèse de compromis donc thèse à bien considérer, celle qui fait de la terreur une geste multiséculaire du pouvoir politique, mais en aucun cas un véritable système politique, pensé et prémédité. Thèse qui fait de la Terreur, un jeu de manœuvres politiques qui a peu à peu échappé aux révolutionnaires de la Convention.
Cependant, force est de constater que l’enseignant habitué de cette période restera largement sur sa faim et il devra se reporter vers les ouvrages spécialisés pour éclairer plus intensément les rouages de cette période.

Pour aller plus loin

La bibliographie comprend les principaux ouvrages spécialisés sur la période, mais si on ne souhaite pas débuter par cet ouvrage grand public, on pourra se reporter, dans l’ordre :

– MARTIN Jean-Clément, La Révolution française, une histoire socio-politique, 1789-1799, Éditions Belin, 2003.
– JESSENNE Jean Pierre, Histoire de la France 1783-1815, Révolution et Empire, Hachette Supérieur, 2006.
– SOLE Jacques, La Révolution en questions, Paris, Points histoire, Le Seuil, 1988.
– FURET François, Penser la Révolution, Paris, Folio Histoire, Gallimard, 1978.
– COBAN Alfred, Le sens de la Révolution française, Paris, Julliard, 1984.
– DOYLE William, Des origines de la Révolution française, Paris, Calmann-Lévy, 1988.
– GUENIFFEY Patrice, La politique de la Terreur, Paris, Gallimard, 2003.
– TACKETT Timothy, Le Roi s’enfuit – Varennes et l’origine de la Terreur, La découverte, 2004.
– MARTIN Jean-Clément, Violence et Révolution. Essai sur la naissance d’un mythe national, Éditions du Seuil, 2006.
– BIARD Michel, dir., Les politiques de la Terreur, 1793-1794, Rennes, Presses universitaires, 2008.