Avec ce petit livre sous-titré »topologie d’un retournement planétaire », X Ricard Lanata propose une lecture économique et anthropologique du monde, tour à tour pertinente et audacieuse. Pertinente car sa vision d’un Nord déjà tropicalisé ou soumis à la dérégulation néolibérale apparaît de plus en plus évidente au fil des pages et au regard de l’actualité. Audacieuse car les allers et les retours opérés par l’auteur entre un passé plus ou moins proche allant des Grandes découvertes aux colonisations-décolonisations des XIXe et XXe siècles ne finissent pas de nous étonner, témoins d’une certaine concordance des temps.
Un »nouveau » Sud ?
Ainsi, selon l’auteur, la mondialisation désagrège les liens sociaux, provoquant des conflits sur la planète entière, de Santiago à Beyrouth. La tropicalisation du monde procède de cette dynamique : elle signale l’avènement du capital en tant qu’organisateur global des sociétés du XXI siècle, servi par cette massification-diversification des flux qui font du Nord un nouveau Sud aux mains d’investisseurs court-termistes.
Ce processus de dérégulation sociale amplement déployé témoigne par ailleurs des incidences de la saturation des marchés et donc des marges et des taux de croissance de plus en plus serrés, une fois le rattrapage socio-économique puis l’élargissement géographique opérés. Le tout effectué aux dépends des facteurs de production.
Mais, la tropicalisation du monde, c’est également la logique extractiviste, ressourciste et prédatrice qui ne sait par exemple plus où trouver l’énergie exigée pour son fonctionnement, qui promeut l’endettement illimité1 et qui relègue l’Etat dans un rôle d’acteur de second plan.
Ainsi, cet asservissement du XXIe siècle affecte dorénavant les anciennes métropoles saisies par une violence économique qu’elles avaient naguère réservée à leurs propres colonies.
En somme, cette vision ne surprend pas. En effet, Xavier Ricard Lanata, spécialiste des questions relatives au développement, a œuvré au sein d’ONG française ou péruvienne, en prise directe avec ces innombrables situations de libéralisation et d’ajustements structurels dans l’espace mondial. Ce qui peut ramener à l’excellente préface de l’économiste Gaël Giraud estimant qu’il faut « détropicaliser le monde » afin de (re-?)devenir humains.
Vincent Leclair
1 Sur ce point, le parallèle proposé par l’auteur entre le système colonial de »l’enganche » (crédit quotidien consenti sur l’habitation) et l’endettement contemporain généralisé est riche d’enseignements.