Des dizaines de juridictions d’exception mises en place au cours de la « Terreur », soit de l’année 1793 à fin juillet 1794, le Tribunal révolutionnaire institué le 10 mars 1793 reste le plus sulfureux car créé pour réprimer « toute entreprise contre-révolutionnaire » et « tout attentat contre la liberté, l’égalité, l’unité, l’indivisibilité de la République ». Moins que le nombre de personnes qu’il envoya à la mort durant son fonctionnement – 2500 -, ce sont, selon Antoine Boulant, d’autres sources qui ont marqué la mémoire collective. Tout d’abord, le Tribunal siège dans un lieu connu de tous les Parisiens : le Palais de Justice de l’île de la Cité, juste au-dessus des cachots de la Conciergerie, et à deux pas de la Convention qui siège au palais des Tuileries. Sa place a donc été choisie tout autant pour sa centralité avec les centres nerveux du pouvoir en place que par pragmatisme.
Le Tribunal ne va pas de pair sans une figure tutélaire imposante. C’est son accusateur public, Antoine Quentin Fouquier-Tinville, qui incarne ainsi le Tribunal dans sa toute puissance et qui reste, toujours aujourd’hui, dans les esprits, la répression judiciaire implacable. Enfin, les procédures et l’arbitraire de ses jugements, voire expéditifs, symbolisés par le décret du 22 prairial an II (10 juin 1794), privant les accusés de tout défenseur et de faire produire des témoins à décharge.
Comme le souligne l’auteur, en dépit de la place essentielle au sein du dispositif répressif, le Tribunal révolutionnaire n’a fait l’objet que de quelques travaux. Deux monographies ont ainsi été publiées en 1866 et 1888 – 1882 par Emile Campardon et Henri Wallon, longtemps considérés comme des ouvrages de référence, d’environ 3000 pages répartis sur six volumes. On retrouve ainsi la totalité des procès instruits dans un récit chronologique. EN 1908, le spécialiste de la petite histoire, Georges Lenotre produisait une synthèse accessible au grand public. Mais il fallut attendre 1951 pour qu’un véritable travail scientifique soit réalisé par un historien américain, James Logan Godfrey. Son ouvrage ne fut cependant jamais publié en français. Or, d’importantes précisions sur le fonctionnement du Tribunal révolutionnaire et la composition des jurys apportaient une claire compréhension du fonctionnement de cette juridiction. Quelques années plus tard, Gérard Walter publia des Actes du Tribunal révolutionnaire. L’auteur y retraça les comptes-rendus des principaux procès politiques. Ce fut un avantage important qui permit à un lecteur averti d’embrasser les temps forts de la Révolution française.
Antoine Boulant jette également un faisceau lumineux sur les sources primaires dont disposèrent les chercheurs pour étudier cette juridiction. Les archives du Parquet furent exploitées, de même que la sous-série W des Archives nationales qui conservent les registres de toutes les affaires jugées par le Tribunal révolutionnaire. C’est sur site que reposent les textes des jugements rendus par les magistrats et les procès-verbaux d’audience, feuillets pré-imprimés dont les blancs étaient complétés à la main par les greffiers avec la date d’audience, le nom des juges, des jurés, de l’accusateur public, des greffiers, des accusés et des témoins ainsi que les questions qui étaient posées aux prévenus, aux témoins et aux jurés. Pour compléter ces documents, les historiens disposent des jugements imprimés sur ordre du Tribunal révolutionnaire dans le Bulletin du Tribunal criminel extraordinaire – devenu Bulletin du Tribunal révolutionnaire à partir du 24 novembre 1793. On trouve le déroulé des séances. Bien entendu, édité directement par cette juridiction et sous le contrôle de l’accusateur public, ces documents comportent de nombreuses contre-vérités, des omissions volontaires notamment lors des grands procès politiques comme ceux des Girondins, d’Hébert ou de Danton.
Cependant, l’historien ou le lecteur avisé ne disposaient que d’anciens travaux, à la lecture souvent rébarbative et poussive. L’historiographie récente et les études récentes portant sur la Terreur comme celles d’Olivier Blanc, Patrice Guennifrey et Jean-Clément Martin, et de travaux universitaires, de manuscrits et de témoignages exhumés conservés à la Bibliothèque nationale de France, à la bibliothèque historique de la ville de Paris et aux Archives Nationales, négligés, renouvelèrent profondément le fonctionnement du Tribunal révolutionnaire.
Ainsi, durant son existence, cette juridiction jugea 5215 personnes : 2791 condamnations à mort furent prononcées, dont 94 % avant la chute de Robespierre, frappant 53,5 % des prévenus. Devenu dès l’époque thermidorienne le symbole de l’arbitraire judiciaire, le Tribunal révolutionnaire fit l’objet des plus vives critiques de nombre d’historiens. Ouvrant la voie à une historiographie d’inspiration marxiste fortement influencée par la révolution russe, attaché à défendre la pensée et l’action de Robespierre, Albert Mathiez présenta, par exemple, le Tribunal révolutionnaire comme une institution de défense nationale. Il fallut attendra la fin des années 1960 et l’école de François Furet pour bénéficier d’une nouvelle vision critique de la Terreur, école prolongée par Patrice Gueniffrey.
Un ouvrage charpenté, clair, qui retrace avec précision l’installation, puis les mécaniques de la juridiction révolutionnaire. Cette étude fera date dans l’historiographie de la Révolution française.