Anne Martin-Fugier a écrit La vie élégante ou la formation du Tout-Paris 1815-1848 en 1991; son ouvrage est aujourd’hui réédité en format de poche dans la collection Tempus des éditions Perrin.

Docteur es-lettres, Anne Martin-Fugier est une spécialiste du XIXème siècle en France, et plus particulièrement des questions de culture et de société. Elle est notamment l’auteur d’une Histoire des bonnes et d’une étude portant sur Les salons de la IIIème République.
Ce livre se propose de présenter la naissance du « Tout-Paris », la transformation de la mondanité parisienne sous la Restauration, passant de logiques d’Ancien Régime à un fonctionnement moderne. Il s’agit d’analyser les acteurs, les modalités et les pratiques de l’aristocratie parisienne. L’ouvrage reprend et dépasse alors l’ambition portée par Balzac de réaliser un « traité de la vie élégante » ,publié en 1830. Cette évocation de l’élite et de la mondanité parisiennes permet donc d’évoquer et d’analyser les recompositions sociales de la France du début du XIXème siècle.

Géographie et sociologie du « Tout-Paris »

On constate dans cet ouvrage que la mondanité se transforme dans ses rapports au pouvoir entre l’époque de la Restauration et celle de la Monarchie de juillet , évoluant politiquement d’une fidélité légitimiste reproduisant les vieilles pratiques de cour sous Charles X et Louis XVIII, vers des attitudes plus diversifiées et détachées face au pouvoir royal sous Louis-Philippe.
Dans ce Paris mondain, trois pôles de l’élégance se dégagent : le faubourg Saint-Germain légitimiste ; le faubourg Saint-Honoré libéral; et la Chaussée d’Antin, rassemblement d’une bourgeoisie d’affaires et industrielle en pleine expansion. Une analyse géographique passionnante et bien évoquée est alors proposée, véritable guide touristique du Paris mondain des années 1815-1848.
Mais au-delà de leur localisation géographique, ces cercles mondains sont animés par des pratiques diverses et des acteurs remarquables.
Les lieux qu’investit et anime le « Tout-Paris » sont nombreux et multiples : certains sont évidents comme les salons, les bals, le théâtre ou bien le champ de course ; d’autres sont plus étonnants comme la chambre des députés, où se pressent les dames de l’aristocratie ,suivant et commentant avec passion les débats parlementaires, et préférant ceux de la chambre des députés très courus, à ceux de la chambre des pairs, jugés ennuyeux…
Au-delà des figures politiques et littéraires habituelles de la Restauration, Anne Martin-Fugier s’attarde plus particulièrement sur une femme remarquable : Delphine De Girardin. Animatrice incontournable de la mondanité parisienne, la lecture de son Journal est une source intarissable concernant l’élite française.
Un chapitre particulier est également consacré aux dandys, figures mythiques de la « fashion » de l’époque. Cette attitude à la mode de 1820 à 1840 est délaissée par les mondains et devient alors un mode de vie marginal, adopté par des artistes radicaux et géniaux dont Baudelaire serait le meilleur représentant.

Une synthèse fournie et stylée

Ce qui étonne et impressionne dans cet ouvrage, c’est la profusion des sources utilisées. De façon évidente, compte tenu de sa formation initiale, Anne Martin-Fugier utilise tous les indices fournis par la production littéraire de la Restauration. Les journaux, les mémoires et les publications de cette période sont analysés et exploités de façon exhaustive, suite à un travail de recherche que l’on peut estimer colossal.
Cet ouvrage est d’une lecture extrêmement agréable : on se trouve plongé dans un monde ancien retranscrit fidèlement et précisément. On est bien loin de la publication historique sèche et aride. L’écriture classique utilisée par l’auteur rend le texte fluide et limpide. Il est alors dommage de constater qu’une telle fluidité ne soit pas relayée par une construction plus solide et mieux structurée de l’ensemble de l’ouvrage

Lire ce livre vingt ans plus tard reste nécessaire pour tout historien, amateur du XIXème siècle ou non, afin de saisir le foisonnement intellectuel de ces années là par un biais original, celui du «Tout -Paris. », dont la naissance traduit l’entrée de la capitale française dans la modernité politique et intellectuelle.
Mais cette modernité reste celle d’une élite et de l’aristocratie, des salons des dames parisiennes dont les figures et les pratiques ignorent un enjeu essentiel de la première partie du XIXème siècle : l’apparition de la question sociale et de nouvelles colères populaires qui, bientôt, en février 1848 puis en 1870, secoueront la capitale française.

Guillaume Bellicchi ©