Bonnet Michel, Patrice Aubertel (sous la direction de), La ville aux limites de la mobilité, PUF, coll° Sciences Sociales et Sociétés, Paris, 03/2006, 317 p. .
Compte-rendu réalisé par Jean Philippe Raud Dugal, professeur d’Histoire-Géographie au lycée Edmond Perrier à Tulle.

Ce livre est composé de nombreux articles émanant aussi bien de sociologues, d’architectes, d’urbanistes que de géographes. Il porte, comme annoncé en introduction, sur l’étude des évolutions de la ville en relation avec les mobilités spatiales. Cet ouvrage collectif, dirigé par Michel Bonnet, psycho-sociologue, et Patrice Aubertel, urbaniste, tous deux chargés de mission au Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA soutenu par les Ministères de la Culture et de l’Equipement) est la somme de toutes les recherches prospectives des vingt équipes de recherche mobilisées pour sa rédaction. Patrice Aubertel a déjà contribué à la réflexion sur la production de ces territoires avec Claire Gillio avec ‘Qui fait la ville aujourd’hui ?’, publié à la documentation française en 1997.
Il s’agit ici avant tout d’apporter des regards de spécialistes pour aider élus, fonctionnaires et habitants à mieux appréhender la ville. A travers les mobilités, les mouvements, les choix de résidence, les habitants contribuent à la façonner au jour le jour. Depuis longtemps envisagée par les sociologues et géographes américains de l’urban sprawl, cette approche complète celle, récente, des géographes de l’urbain et de l’urbanité en France. Le livre d’Hervé Vieillard-Baron ‘Les banlieues : des singularités françaises aux réalités mondiales‘ en 2001 chez Hachette dans la collection Carré Géographie mais aussi le numéro de la documentation photographique ‘Urbanisation et urbanisme en France. Les métropoles de province’ par Robert Marconis paru en 2002 offraient déjà quelques pistes de réflexions sur les mobilités quotidiennes dans les métropoles françaises , cet ouvrage, plus sociologique, l’élargie au territoire français dans son ensemble et à l’espace européen.

Il est composé de quatre parties avec des problématiques bien établies : comment évaluer les espaces-temps de la mobilité ? de nouvelles pratiques territoriales sont-elles en train d’émerger ? quels sont les moyens à prendre en considération par les différents acteurs pour une mobilité durable ?

La première partie, ‘Regards’, entame une réflexion sur les territoires de la mobilité. La seconde partie, ‘les espaces-temps de la mobilité’ offre une approche pluridisciplinaire et pluri-scalaire de ces territoires qui donne corps aux constatations de la première. La troisième partie porte sur les relations entre modes de vie et mobilités. Enfin, la dernière partie ‘L’automobile en question’ insiste sur les enjeux et les difficultés liés à la promotion d’une mobilité durable et sur l’intervention de la puissance publique dans les processus de production urbaine.

Anthropologie de la mobilité et brouillage des ‘bornes de la ville’, tels sont les axes principaux des recherches. On ne peut plus penser simplement La Ville simple et unique mais une ville polycentrique, polynucléaire dans laquelle la réorganisation de l’espace est au cœur des préoccupations de ses acteurs. Comment au quotidien chacun d’entre nous appréhende leur capital de mobilité ? De nombreux articles insistent sur le côté positif de ces mobilités (autonomisation, confort de vie, choix personnel, environnement familial privilégié…) mais elles sont aussi largement productrices d’exclusions sociales, de différenciation socio-spatiales marquées qui sont révélatrices des tensions urbaines. De nombreux articles étudient les disparités entre les sexes mais aussi entre les habitants de la ville en fonction de leur travail et de leurs stratégies. Ces études montrent ainsi que ces mobilités sont productrices d’exclusions.
La distinction entre transport, déplacement et mobilité permet de comprendre le cadre général d’organisation de la vie de la société. Le choix principal : c’est l’automobile. En effet, les études présentées posent la question des centralités. La ville et les mobilités qu’elle engendre est avant tout un centre de flux ; les exemples de Lyon ou de Toulouse qui font l’objet d’études spécifiques nous offrent des perspectives renouvelées dans l’appréhension de ces nouvelles (ou anciennes) centralités. Ainsi, à de nombreuses reprises, les centres commerciaux et les entrées de ville sont envisagées comme de nouveau lieux au cœur des stratégies qui différencient à la fois l’espace et la société. L’article ‘Les nouveaux univers d’approvisionnement : entre recomposition urbaine et recomposition sociale’ (p.91-98 ) est un des moments forts de l’ouvrage qui étudie les stratégies socio-spatiales des grandes enseignes. De même, l’irruption de la ‘révolution numérique’ (p.99-108) dans le champ de la ville contribue aussi à des modifications des représentations mentales concernant les mobilités mais aussi à la gestion de problèmes liés à la congestion du trafic car les marchandises transportées ne sont, elles, pas virtuelles.
C’est actuellement en terme d’enjeux culturels et sociaux que la mobilité est envisagée. Dans ce cadre, l’automobile est beaucoup plus qu’un moyen de transport. C’est sa confrontation avec les transports publics qui décide des stratégies de mobilité. Le moment de transport est ainsi réinvesti par d’autres fonctions : prise de rendez-vous, attente de la rave pour les travellers…La mobilité peut donc être vécue de manière différenciée avec des stratégies d’éloignement qui éclatent encore un peu plus la périphérie urbaine (aux franges de l’urbain). Le choix de résidence des ‘grands navetteurs’ de l’aire urbaine de Toulouse illustre parfaitement cet axiome.
Loin de l’approche poétique qui a pu caractériser l’étude de la ville, le périurbain c’est la volonté d’acquerir une maison individuelle et de s’individualiser. Les acteurs institutionnels adoptent donc plusieurs stratégies pour répondre à cette nouvelle problématique qui touche leur cadre de vie et leurs habitudes. L’étude de Nicolas Golovtchenko et Daniel Filâtre ‘Les élus de la région toulousaine face aux enjeux de l’étalement urbain générés par de nouvelles mobilités’ (p.279-286) offre une perspective et une typologie renouvelées du rôle du maire et de son adaptation à ces nouvelles contraintes. Comment adopter des politiques qui concilient à la fois politique locale et développement durable ? L’ouvrage se termine par une comparaison de la gestion durable de ces territoires urbains à l’échelle européenne qui permet ainsi de replacer les études précédentes dans un cadre plus large et de donner du grain à moudre aux décideurs.

La ville est, pour l’école de Chicago, le lieu des rencontres fortuites . Ces lieux sont aussi destinés à être enseignés sous le prisme de mobilités.
L’ensemble des enquêtes et des analyses présentées ici nous montrent ainsi que la mobilité est une des entrées principales pour l’étude des sociétés contemporaines. Elle représente un enjeu économique, social et symbolique
L’enseignant trouvera dans l’ensemble des articles de nombreuses données et définitions conceptuelles, une ouverture aux problématiques nouvelles au niveau sociologique mais aussi et surtout géographique. Ce sujet est une question centrale des programmes de géographie à tous les niveaux du collège et du lycée aussi bien pour l’analyse des paysages que pour l’étude de l’éclatement urbain ou bien de la métropolisation.

La seule critique sérieuse à cet ouvrage très riche est l’absence de documents statistiques mais surtout de cartes, croquis et schémas qui sont pourtant la base de toute analyse spatiale. Comment étudier la centralité de la Place du Pont à Lyon (p.109-122) sans établir une seule carte, au moins pour la localisation ? Plus largement comment étudier la mobilité sans cartes à différentes échelles permettant d’affiner les stratégies des habitants de la ville éclatée. Seul l’article ‘Mobilités et polarisations : vers des métropoles polycentriques. Le cas des métropoles francilienne et méditerranéenne.’ de S. Berroir, H. Mathian, T. Saint-Julien et L. Sanders offre cette perspective géographique qui permet aussi bien de spatialiser ces nouveaux espaces que d’en comprendre les ressources théoriques.

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