Le Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA) a pour vocation d’éclairer les problématiques émergentes qui constitueront de nouveaux enjeux pour les territoires. De 2016 à 2018 le PUCA a mené un programme portant sur les enjeux territoriaux liés au tourisme. Il a permis de confirmer qu’une révolution touristique s’est produite au début des années 1980 en rupture avec le tourisme traditionnel standardisé et le tourisme de masse. Ce post-tourisme, à la recherche d’une authenticité locale en lien ou non avec les hauts lieux touristiques, est au centre d’une recomposition sociale et spatiale des villes et des territoires. C’est le sujet de cet ouvrage, qui retrace l’essentiel des conclusions de 3 journées de séminaires organisés par l’EIREST (Equipe Interdisciplinaire de REcherches Sur le Tourisme de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne).
L’introduction est particulièrement stimulante. Elle permet de circonscrire les concepts d’hybridations touristiques, de post- ou d’hyper-tourisme. Le tourisme a d’abord fonctionné comme un formidable producteur d’espaces pour répondre à une demande spécifique pour des lieux fonctionnels et organisés. La mise en tourisme se repose alors sur des prestataires spécialisés. C’est le tourisme dit « de masse ». Mais il connaît des évolutions notables depuis quelques années. Les infrastructures purement touristiques peinent à se renouveler en même temps que les touristes éprouvent un désir d’aventure vers des lieux plus ordinaires. Ces évolutions sont alors porteuses d’hybridations entre pratiques touristiques et pratiques ordinaires. Les différentes contributions tentent alors de répondre à cette question : « Sommes-nous entrés dans l’ère d’un nouveau paradigme touristique, qualifié de post-touristique ou hyper-tourisme, dont l’une des dimensions essentielles serait l’hybridation des lieux, des pratiques et des acteurs touristiques ? »
Les différentes articles abordent des thèmes variés, apportant chacun une réponse à cette problématique. L’urbaniste et géographe Alain GIRARD et l’économiste Bernard SCHEOU s’intéressent aux nouvelles pratiques d’hospitalité (comme le couchsurfing). Elles seraient un signe de l’effacement de l’opposition quotidien/hors du quotidien ou ordinaire/extraordinaire, considérée comme constitutive du tourisme. Emeline HATT décrit la trajectoire de développement touristique de Martigues, qui a obtenu pour la première fois le classement de station touristique en 2008. Elle y étudie l’invention de lieux touristiques « ordinaires » et leur mise en patrimoine dans une commune anciennement industrielle. L’hybridation des politiques publiques y répond à la fois aux attentes des habitants permanents et des touristes, habitants temporaires. Le géographe Rémi SALÜN se pose ensuite la question d’une éventuelle sortie du tourisme de la forêt de Fontainebleau. Lieu investi par des peintres et artistes au XIXème qui en font un haut lieu de nature, elle connaît à la fois une augmentation et une démocratisation de sa fréquentation dans la deuxième moitié du XXème siècle. Les pratiques évoluent et les conflits d’usage s’intensifient alors, notamment entre usagers et forestiers. En 2002, le massif forestier de Fontainebleau est classé forêt de protection et en 2014, il est labellisé « Forêt d’exception ». Au final, le tourisme en forêt de Fontainebleau apparaît comme un épisode de l’urbanisation, dans les modes d’habiter, du territoire. L’architecte Mariachiara GUERRA montre que le quartier ouvrier de Barriera di Milano à Turin est devenu un symbole de la transformation de l’ancienne capitale industrielle depuis la fin des années 1990. La municipalité a mis en place des plans stratégiques pour lancer un processus de régénération et inclure ce quartier dans ses forfaits touristiques. L’expérience de l’Atelier Héritage destiné aux habitants du quartier est intéressant car il prouve que « le développement des potentialités touristiques est enclenché quand il se révèle être la conséquence d’une amélioration palpable de la qualité de vie de la communauté locale ». Myriam CASAMAYOR-MONGAY se questionne sur le vieillissement de l’immobilier touristique issu de la planification territoriale de la MIACA (sur la Côte Aquitaine), entraînant une sortie du tourisme de certains secteurs (exemple du village de vacances du Sextant) par une réappropriation par les habitants en résidence principale. L’anthropologue Sophie CHEVALIER et Emmanuelle LALLEMENT se penchent sur la transformation de lieux de commerce, comme les marchés parisiens, en « petits hauts-lieux » touristiques. La fréquentation des commerces, notamment de bouches, offrirait un petit « frisson identitaire », permettrait d’atteindre une certaine « parisianité ». Les Grands Magasins sont également vus comme de véritables destinations touristiques et même un « produit culturel ». Enfin, la géographe Emmanuelle PEYVEL tente de comprendre comment une époque révolue (la période du Bao Cap entre 1976 et 1986 au Vietnam), peut aujourd’hui faire l’objet d’une mise en tourisme d’une « nostalgie imaginée » et générer de nouvelles spatialités touristiques et de loisirs, notamment à Ha noi.
Cet ouvrage apporte une réflexion inter-disciplinaire et des exemples pointus sur les hybridations, spatiale mais aussi sociale, et donc les liens entre les habitants permanents et les habitants temporaires que sont les touristes. Il illustre également l’idée de trajectoires des lieux touristiques (équipe MIT dans Tourisme 3 – La Révolution Durable), qui évoluent avec la diversification, la démultiplication et l’autonomisation des pratiques. Comment les lieux touristiques passent le temps ? Les différentes études de cas démontrent que les lieux touristiques restent touristiques mais pas identiques. Les systèmes touristiques changent et les lieux touristiques s’adaptent. Il existe donc une grande variété de trajectoires des lieux touristiques avec de nombreuses variantes d’hybridations. Un ouvrage à mettre dans les mains des candidats de l’agrégation qui peuvent y trouver des exemples originaux et qui souhaitent compléter leur arsenal conceptuel sur la géographie du tourisme et des loisirs.