Francesco Tonucci est né à Fano, au sud de San Marin, en 1940. Il étudie la pédagogie à l’université catholique du Sacré-Cœur de Milan et débute, en 1963, une carrière d’enseignant. Il devient ensuite chercheur en psychologie à l’Institut Psychologique du Conseil National de la Recherche où il dirige un programme d’éducation à l’environnement. En 1991, il met sur pied, dans sa ville natale, le projet de « Ville des enfants » et collabore à « l’Atelier des petits » de la Cité des sciences de Naples et au musée des enfants de Rome. Très tôt, il marque ses désaccords avec le système scolaire dominant. Il n’adhère pas au principe qui veut que l’écolier soit un contenant dans lequel l’enseignant verse un contenu. Pas plus qu’il ne croit à la transmission d’expériences de l’adulte à l’enfant ou à l’emploi du temps plein qui ne laisse aucun répit à l’enfant toujours sur la défensive, la peur au ventre de mal faire et d’être jugé aux moindres fait et geste.

            Le projet « La Ville des enfants » consiste à imaginer une ville dont le point de référence soit les enfants. Avec l’appui de la municipalité de Fano, Tonucci ouvre un laboratoire qui réunit, dans un endroit prestigieux de la ville, des professionnels engagés dans le domaine de l’enfance ainsi que des enfants. L’objectif premier du programme est de permettre aux enfants de sortir de chez eux seuls ou avec des amis « pour vivre […] l’expérience fondamentale de l’exploration, de l’aventure et du jeu ». En 1996, paraît La Citta dei bambini, un Modo nuovo di pensare la citta. L’ouvrage est traduit en plusieurs langues à travers le monde, mais pas en français. Les idées développées dans l’ouvrage sont reprises dans plusieurs villes comme Rome, puis Barcelone, Buenos Aires, Santiago du Chili… Le réseau compte aujourd’hui 200 villes. Le livre se veut être une aide aux municipalités intéressées pour réaliser un tel projet, une sorte de boîte à outils qui en décrit le sens, la philosophie et illustre ses propositions concrètes en se référant essentiellement à l’expérience de Fano (64 000 habitants).

            Les éditions Parenthèses réalisent ici la première traduction française de cet ouvrage important. Il est préfacé par Thierry Paquot, philosophe reconnu de l’urbain, qui souligne l’intérêt tout particulier qu’il convient d’accorder aux propos de Tonucci : « Francesco Tonucci explique que si nous écoutons les enfants et suivons leurs conseils, alors nous transformerons la ville et la rendrons plus accueillante pour chaque habitant – quel que soit son âge -, plus belle aussi, plus soucieuse de l’écologie, c’est-à-dire du monde vivant » (p.11). Thierry Paquot a tenu à ajouter à la fin de l’ouvrage un texte de Lewis Mumford, paru en 1956, « Toutes places prévues de la naissance à la mort ». L’urbaniste américain avait participé, en 1928, à la conception de la ville nouvelle de Radburn dans le New Jersey, où les enfants circulent sans croiser de voitures et s’ébattent dans une ville-paysage qui rivalise avec le plus beau terrain d’aventure. Thierry Paquot précise, qu’en France, le thème des enfants dans la ville n’a jamais beaucoup passionné. Une première exposition, organisée en 1976 au Centre Pompidou, n’enclenchera aucune recherche universitaire ni politiques audacieuses. En 1991, quelques communes françaises se regroupent au sein du Réseau français des villes éducatives (RFVE) qui milite pour l’heureuse coordination de l’école, des familles et de la cité. En 2015, une seconde exposition organisée à la Halle aux Sucres de Dunkerque, sous la houlette de Thierry Paquot entre autres, revendique « La ville récréative : enfants joueurs et écoles buissonnières ».  La même année, un collectif, qui réunit l’association Rue de l’Avenir, le café-concept Cafézoïde, Vivacités Île-de-France et l’ANACEJ lance un concours national sur le thème « Rue aux enfants, Rue pour tous ». Les expériences vont ainsi, depuis, en se multipliant ici et là.

            L’ouvrage de Tonucci est construit en trois parties. La première recense les intentions de la « Ville des enfants ». La deuxième partie liste les propositions : constituer des Conseils des enfants, faire qu’ils puissent s’approprier la rue et les espaces publics…. La troisième partie décrit le fonctionnement du « laboratoire expérimental » mis en place à Fano et les solutions préconisées en cours de route pour rectifier le tir.

Le projet

            Dans cette première partie, l’auteur fait d’abord un diagnostic très sévère sur nos sociétés urbaines. Primitivement, on pourrait dire au Moyen-âge, l’Occidental avait peur de la forêt. La ville offrait alors un refuge et les relations interpersonnelles étaient gage de sécurité, de loisir et de réconfort. Très vite, sans doute à l’époque industrielle, Tonucci fait observer que la ville a perdu ses caractéristiques en devenant dangereuse et hostile. Le portrait de la ville dessiné par l’auteur est très noir, sans véritablement dater de manière précise le changement de paradigme. Tonucci observe : « la cité a renoncé à être un lieu de rencontre et d’échange et a opté pour la séparation et la spécialisation comme nouveaux critères de développement » (p.43).

            Que faire ? La réponse, pour Tonucci, est de substituer l’enfant au citoyen moyen, adulte, masculin et actif. Ceci demande alors aux Municipalités de placer leur regard à la hauteur d’un enfant. Il suppose alors que quand la ville est plus adaptée aux enfants elle l’est également pour tous.

Les propositions

            Quatre propositions majeures sont ainsi avancées par l’auteur. La première proposition est celle du conseil des enfants à l’intérieur du laboratoire « la ville des enfants ». À côté de la parole qui leur est donnée, il existe aussi le dessin. Tonucci accorde une grande importance à ce moyen d’expression. Il écrit : « à travers le dessin, se libérant des stéréotypes, laissant libre la créativité, les enfants s’emparent de la réalité, de leurs besoins, de leurs désirs et des solutions possibles » (p.62). Une autre solution envisagée par l’auteur est d’inviter les enfants à projeter des structures et des espaces urbains en collaboration avec des techniciens (urbanistes, architectes, psychologues). La deuxième proposition est de laisser les enfants sortir seuls de la maison afin de vivre des expériences personnelles, de les laisser s’aventurer. Cette proposition, pour qu’elle soit rendue possible en toute sécurité, doit reconsidérer la relation entre la voiture et le citadin. Il faut également aider les adultes à comprendre qu’il est important pour les enfants de sortir de la maison, de rencontrer d’autres enfants. C’est donner à la police municipale, aux anciens et aux commerçants des rôles importants pour que les enfants soient en sécurité. La troisième proposition est d’adapter la ville aux enfants en travaillant la visibilité, l’accessibilité, en facilitant le repeuplement du centre-ville, en renonçant aux aires de jeux pour les enfants et en leur préférant des « terrains d’aventure ». La quatrième proposition est finalement de repenser la ville totalement.

Les expériences

            Comme nous avons déjà pu l’évoquer précédemment, les expériences relatées dans le livre s’appuient toutes sur ce que Tonucci a pu mettre en place à Fano depuis 1991. Divers points sont développés de manière extrêmement précise : le conseil des enfants qui se réunit une fois par mois, le conseil municipal ouvert aux enfants, des groupes d’enfants concepteurs (de mobiliers urbains par exemple ou encore d’une école maternelle). D’autres expériences intéressantes sont aussi développées :

  • Les petits guides (des anciens accompagnent des groupes d’enfants à la découverte de la ville)
  • Les séminaires du Conseil (séances d’étude et d’approfondissement sur les thématiques de l’enfance et des temps consacrés à la programmation entre élus et scientifiques du laboratoire).
  • Une formation dispensée dans toutes les écoles appelée « L’agent de police ami des enfants »
  • La contravention des enfants (contravention morale distribuée par les enfants lorsqu’ils constatent une incivilité)
  • « Nous allons tout seuls à l’école » (opération conjointe pour permettre à des enfants de dépasser leurs peurs de se déplacer seuls dans la ville)
  • Une journée sans voiture
  • Une éducation à l’environnement en ville

            Cette traduction est réelle bonne idée de Parenthèses et Thierry Paquot. Faire connaître les idées, les propositions et les expériences conduites par Francesco Tonucci s’avèrent d’une crante utilité et urgence pour repenser la ville. L’ouvrage offre des situations pratiques qui peuvent être adaptées à n’importe quelle échelle. Voilà un ouvrage à lire, à offrir ou à suggérer à tous nos prochains élus, édiles et penseurs municipaux.