Par Jean Philippe Raud Dugal, Professeur au lycée Edmond Perrier à Tulle.
Cet ouvrage rassemble les communications du colloque international « Les trois sources de la ville-campagne » qui s’est tenu en 2004. Il est cosigné par ses trois principaux animateurs. Augustin Berque, spécialiste du Japon et auteur, entre autres, du fulgurant Médiances, Cynthia Gorrha-Gobin, et Philippe Bonnin.
Les auteurs, en introduction, rappellent le postulat de départ du colloque : l’incompatibilité de notre mode de vie actuel avec les maintiens des équilibres de la biosphère. En effet, comment, une forme d’habitat rural, la maison individuelle, a pu être idéalisée par la société contemporaine au point de conduire à l’éclatement de la forme urbaine ?
Les auteurs, qui inaugurent les trois parties consacrées respectivement à L’Europe, l’Amérique du Nord et à l’Asie Orientale, rappellent que le développement historique des formes urbaines permet d’analyser son extension contemporaine. Les auteurs observent ainsi que la ville-campagne contemporaine ‘résulte d’un triple bassin sémantique’ qu’ils s’emploient à décrypter tout au long de l’ouvrage.
De plus l’importance du paysage dans l’analyse globale et historique est très souvent récurrente. Présent dans l’étude de l’Europe au travers des écrivains ou peintres, mais aussi dans celle du continent Nord Américain où il symbolise l’insularité des résidents américains suburbains que l’on peut rattacher à la vision jeffersonienne d’un pays de fermier. Il prend tout son sens dans la partie consacrée à l’Asie Orientale, sous le patronage d’A. Berque, où le paysage est analysé par une certaine idée du goût pour l’esthétisme, de l’inspiration linguistique et poétique.
Cet ouvrage très dense s’attache à analyser sous le prisme de la géographie mais aussi de l’environnement, de la linguistique (très présente pour l’étude de la ville-campagne japonaise, elle permet de saisir les subtilités langagières américaines dans l’étude du sprawl) et de la sociologie, les dégâts causés par des décennies d’urbanisation à marche forcée et permet de tirer des conséquences permettant ainsi d’envisager une ville durable et à dépasser la notion de ville-campagne. Il est à mettre en relation avec « La ville aux limites de la mobilité » (dont on peut trouver le compte rendu sur le site Clionautes) en ce sens que ce phénomène d’étalement, de desserrement et de dissémination périurbaine, par l’usage généralisé de l’automobile, pose une série de problèmes quant à la viabilité d’un tel habitat.
Pourquoi alors commencer par ces trois espaces ? Dans l’introduction, les auteurs rappellent que ‘la ville-campagne contemporaine prend sa source par la combinaison du protestantisme, du capitalisme et du libéralisme, dans l’alliance du fordisme avec les politiques publiques favorisant l’accession à la propriété de la maison individuelle et le développement du réseau routier’.
L’Europe, objet de la première partie, est étudiée, dans les premières contributions, sous le prisme de la Géohistoire et de la géographie culturelle. La première permet d’envisager la création du mythe d’un établissement humain au sein d’une nature parfaite en relation avec les écrits d’Hésiode ou de Platon. De même, l’article de Daniel Pinson consacré à l’étude du pays d’Aix et de sa perception par ses habitants en est un autre symbole fort. Il permet une étude des peintures de Cézanne et de ce que son art a pu apporter à cet espace avec une représentation de la nature-paysage qui remplace celle de la nature-paysanne. Cette vision permet l’émergence d’un sentiment d’appropriation territoriale qui préfigure la formidable poussée urbaine partant de la ville de Marseille. Les derniers articles donnent les clés des changements de la ville-campagne depuis les années 1960. La partie s’achève (p.118-128)) par le rappel que les différents sommets environnementaux ont reconnu la nécessité de promouvoir un modèle viable. Yves Luginbühl montre que plusieurs réflexions se font jour dans les disciplines de l’urbanisme relevant de la durabilité : recours au modèle de la ville compacte opposé à celui de la ville éclatée…
L’Amérique du Nord est une partie passionnante. Elle fait le point des recherches géographiques et épistémologiques françaises et américaines. L’article inaugural de C. Ghorra-Gobin, ‘la maison individuelle comme figure centrale de l’urban sprawl’ montre les différences avec la ville européenne (on retrouve ces possibilités comparatives dans les autres articles avec l’étude du fordisme, du jardin etc). Ainsi, depuis longtemps, la majorité de la population a délaissé les villes pour les espaces périurbains à tel point qu’on a pu gloser sur la disparition de la ville et mettre en avant le mythe de la wilderness et de la maison individuelle, figure centrale de « l’idéologie urbaine ». L’étude de cet urban sprawl, bien que discuté dans les articles sur ses terminologies géographiques, est réalisée avec rigueur et précision. Ainsi, Owen D. Gutfreund (p. 169) affirme que « c’est comme si les banlieues consommaient la culture générée ailleurs mais ne produisaient elles-mêmes rien de substantiel ». C’est aussi la critique de la consommation d’espace, d’atteintes à l’environnement qui fait cas. Comme le remarque Liette Gilbert dans son article (p.183-193) « par son processus de destruction, la nature se valorise par raréfaction ».
Enfin, A. Berque inaugure la partie consacrée à l’Asie Orientale. Très empreint d’étude de paysage, l’auteur indique que le refus de la ville s’inscrit dans une longue et ancienne histoire. Il retrace rapidement les processus qui aboutissent, à partir de 1945, au triomphe de la ville étalée. Les problématiques qu’il pose au fur et à mesure de son étude trouvent des approfondissements dans les autres articles. L’importance de l’espace, du paysage, du jardin sont des constantes mises en avant par tous les auteurs (principalement japonais) des articles. Ainsi est rappelé à de nombreuses reprises que la césure majeure au Japon dans l’évolution de l’urbanisation ne peut être attribué à l’époque Meiji mais à la guerre. Osaka, par exemple, se transforma complètement par l’application d’un urbanisme uniformisé, détruisant le corps traditionnel de l’habitat mais encore plus la structure familiale ancienne. On retiendra ainsi l’étude de l’évolution d’Edo (Tokyo) à travers les siècles (p.186-196) qui permet de mieux comprendre l’étalement urbain et les mesures politiques mises en place au Japon que confirment les deux dernières études, en anglais, de cette partie.
Il est quand même à regretter un manque certain de cartes, pourtant indispensables pour des espaces restreints faisant l’objet d’études de cas, même si des tableaux statistiques sont tout à fait novateurs et stimulants comme celui consacré au passage du fordisme au post-fordisme et ses conséquences sociales, spatiales et productives en Europe (p.103). ‘Les représentations de l’étalement urbain en Europe, essai d’interprétation.’ (p.87-96) tente de formuler de nouvelles hypothèses urbaines avec un vocabulaire pertinent et utilisable pour des élèves de lycée.
Ces contributions sont donc indispensables pour un approfondissement sur la thématique de la ville durable et sont donc à conseiller à tous les collègues désireux de renouveler leurs connaissances scientifiques sur ces problèmes actuels.
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