La collection Villes en mouvement s’enrichit d’un nouvel opus consacré à Marseille. L’auteur, Baptiste Lanaspeze, après de brillantes études, travaille aujourd’hui dans l’édition. Il s’est adjoint les services du photographe Geoffroy Mathieu dont les épreuves, souvent magnifiques en noir et blanc, inaugurent, closent l’ouvrage et présentent les personnages.

B. Lanaspeze nous invite à un voyage, où chaque personne interviewée présente une escale quelle soit contemplative ou active.
L’introduction présente la ville telle que l’auteur l’a ressenti. Son postulat est qu’à Marseille « on est plus près des Antilles que de Barcelone. La deuxième ville de France serait donc un DOM TOM dans la métropole ». Cette ville tenue à bout de bras par l’Etat semble l’avoir déçu. On peut regretter dans l’introduction cette attitude qui pourrait s’apparenter à du rejet. Les pages 23 à 30 en sont l’illustration pour une ville « apartheid » (p.30), ou « chaque milieu, chaque communauté à tendance à se refermer sur soi et à restreindre ses liens avec l’extérieur » (p.27).

Ces appréciations en fait sont le reflet de son propre passé mais aussi celui qui a présidé aux nombreuses rencontres qui émaillent l’ouvrage. L’auteur annonce aussi les axes de ses enquêtes auprès des interviewés entre Septembre 2004 à Décembre 2005., leurs donnant ainsi un caractère sociologique en insistant sur trois points : l’activité professionnelle, l’itinéraire personnel et la relation à Marseille de chaque personnage. En même temps, il annonce ne pas vouloir établir de diagnostique sur cette ville. Le futur semble incertain pour la cité phocéenne avec en filigrane, tout au long de l’ouvrage, l’hydre de l’Herne que semble être Euroméditerranée. La faute à qui ? Le constat unanime désigne les hommes politiques marseillais de droite comme de gauche. L’inertie du corps politique semble être provisoirement compensé par le dynamisme de ses acteurs associatifs, culturels et économiques. N’est-ce point déjà un diagnostique ?

Composé en sept séquences thématiques, l’ouvrage permet ainsi de varier les approches et les acteurs.
La première partie est consacrée à la ville nature étudiée sous le prisme de l’écologie urbaine de l’école de Chicago. Hendrick Sturm part du postulat qu’un homme ne se comprend pas sans bien connaître le monde naturel dans lequel il vit. Dans ce cas précis, il s’agit de Marseille. Les mutations de la ville, les restructurations et les reconversions urbaines permettent de comprendre la géographie contemporaine de la ville qui peut être considérée à un tournant de son histoire. Les multiples engagements de Victor-Hugo Espinosa, ancien réfugié chilien, nous permettent de nous figurer les dynamiques et les faiblesses de la cité phocéenne.

Autour d’un chantier urbain, représentant la seconde séquence, figure les mutations urbaines de Marseille depuis quelques années. A travers l’histoire de ses mal logés qui luttent contre les marchands de sommeil mais aussi de son tram qui évite scrupuleusement les quartiers sensibles pour doubler les deux seules lignes de métro, et de la reconversion de la Joliette vu par un architecte, la ville semble « n’avoir rien à perdre puisqu’elle est au fond du trou. » (p.99).

La séquence trois envisage le commerce formel et informel. Partie passionnante à qui aime avoir une vision plus cosmopolite de Marseille. L’interview de Michel Péraldi, anthropologue, est une véritable mine pour comprendre les échanges à travers la Méditerranée et mettre à jour ‘une économie du souq’ dont Marseille semble se détourner. Mais, c’est la rencontre avec El Hassan Bouod (p.126-139) qui est peut être la plus passionnante de l’ouvrage. Elle est à découvrir de toute urgence pour mieux comprendre le creuset que représente la ville et au delà, la France. Véritable exemple d’intégration, cet entrepreneur sait communiquer sa passion de cet espace mais aussi du travail bien fait.

Les quatre autres séquences (L’art entre le social et le politique, Tentatives de modernités, Culture en Méditerranée, « Marseille Renaissance ») se concentrent davantage sur l’aspect culturel de la ville. Son caractère cosmopolite est à de nombreuses reprises souligné à travers les initiatives artistiques d’intellectuels, de designers, d’éditeurs…. A noter le très beau moment passé avec Thierry Fabre, fondateur des rencontres d’Averroès (p.216-225). Il nous communique ses difficultés initiales mais aussi sa vision des échanges culturels dont Marseille fut le berceau avant d’envisager, comme de nombreux autres, de traverser la Méditerranée, en direction de l’Algérie. C’est à travers la musique et le cinéma que Baptiste Lanaspeze clôt son ouvrage. Les interviews de Kamel Saleh, réalisateur de ‘Comme un aimant’, Akhénaton du groupe IAM et Keny Arkana, rappeuse indépendante nous interrogent sur la renaissance marseillaise. Les difficultés rencontrées n’empêchent pas l’émergence d’un dynamisme symbole d’espoir.

La lecture est très agréable, variée, parfaite pour une découverte de la ville loin des clichés largement répandus. Ce mélange de dynamisme, d’amour/haine, de trajectoires personnelles rend l’ouvrage attachant. L’époque estivale peut être, bien entendu, propice à sa lecture mais ce peut être aussi l’occasion de percevoir une vision de Marseille somme toute sociologique, géographique, paysagère, urbanistique et esthétique. L’ouvrage convient parfaitement à tous les types de publics, de l’enseignant qui pourra en tirer une étude de cas (prendre des extraits p.42-43 et p.102, une planche p.48) ou des itinéraires spécifiques à un travail en ECJS, mais aussi à l’étudiant en architecture, en géographie ou en sociologie.

Un site comprenant des adresses essentielles pour connaître Marseille mais aussi avoir quatre interviews supplémentaires est disponible :
http://www.wildmarseille.com/

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