« Didier Cornille, l’homme qui murmurait l’architecture à l’oreille des enfants » titrait le journal en ligne Demainlaville.com en 2017. Dans cet ouvrage tout à fait élégant, Cornille récidive mais cette fois-ci c’est d’urbanisme dont il est question, d’initiatives architecturales isolées qui permettent d’envisager le mieux vivre en ville. « La moitié de la population mondiale vit aujourd’hui en ville et en 2050 quatre personnes sur cinq y habiteront », nous dit l’auteur dans une introduction. Ce qui l’amène à se questionner : « Comment mieux vivre ensemble dans un environnement qui peut, si on n’y prend pas garde, devenir infernal ? »

            Didier Cornille est un ancien élève de Claude Courtecuisse aux Beaux-Arts de Lille et de Roger Tallon à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs (ENSAD) de Paris. Ces deux professeurs sont deux designers de renom qui furent les premiers à créer des classes de ce qu’on appelait alors, dans les années 1960, « d’esthétique industrielle ». Claude Courtecuisse fut à partir de 1967 le fer de lance du design à base de matière synthétique. On lui doit, entre autres choses, la chaise Solea ou le fauteuil Mercurio. Roger Tallon créé la première classe de design à l’ENSAD en 1963. Il dessine chaussure de ski, brosse à dents et bidon d’huile mais également l’intérieur de cabines d’avion jusqu’au métro de Mexico ou au TGV… À son tour, à partir de 1976, Didier Cornille devient professeur de design à Tunis, aux Beaux-Arts de Tourcoing et du Mans et enfin à LISSA de Paris. À son tour, à partir des années 1980, il dessine des lampes, des tasses, des meubles et divers objets de la table. En 2009 et 2010, il se lance dans le monde du livre et réalise pour Hélium deux ouvrages pour les enfants, Mini-Maxi (2009) et Bon voyage (2010), deux petits livres qui tentent déjà de familiariser les très jeunes à l’architecture moderne.

            En 2012, il se lance complètement dans l’aventure de l’édition et publie chez Hélium toujours, Toutes les maisons sont dans la nature. Dans l’ouvrage, les constructions sont représentées au crayon avec un trait fin et une ligne claire, un moyen de médiation qui paraît être adapté à son jeune lectorat. L’année suivante, il s’attaque, avec Tous les gratte-ciel sont dans la nature, aux buildings qui défient les lois de la construction en hauteur. Tous les ponts sont dans la nature entreprend de montrer aux plus jeunes les ouvrages d’art les plus spectaculaires dans le monde. L’ouvrage obtient la Pépite du livre d’art au Salon du livre et de la jeunesse de Montreuil en 2014. Avec ces trois ouvrages consacrés à l’architecture, Didier Cornille a exploré les différents formats de l’album documentaire, adaptant la dimension spatiale du livre au sujet traité : format à l’italienne pour les maison, à la française pour les buildings et à l’allemande pour les ponts. En 2014, il réalise pour Hélium, en association avec la fondation Louis-Vuitton, et avec l’appui de Bernard Duisit, ingénieur papier, un livre pop-up qui explique la création du Vaisseau de Verre, siège de la fondation Vuitton, œuvre architecturale due à Frank Gehry. Deux ans après, Cornille consacre enfin un livre au design industriel et plus particulièrement aux assises. Avec Asseyez-vous, il retrace l’histoire des tabourets, bancs et fauteuils du XXe et XXIe siècles.

            Son dessin, comme il le confie à l’hebdomadaire Télérama, est très proche du dessin d’enfants et subit l’influence du design des jeux de constructions. Il décrit ainsi sa façon de travaille : « Je commence par dessiner au stylo, avec une pointe très fine pour tracer les traits les plus fins possible. Ensuite, je colorie au feutre : je fais beaucoup de petits points, je m’y sens obligé parce que souvent, le feutre ne s’étale pas… de manière égale. Ça me prend un temps fou. J’ai passé quinze jours sur la première double page. » Didier Cornille aime travailler et représenter les formes, jouer avec la règle et les couleurs. Ce lien que l’illustrateur fait lui-même aisément avec les jeux de construction de son enfance fait penser à la boîte de jeu créée en 2017 par l’illustrateur Aurélien Débat, Stampville, édité aux Etats-Unis par Princeton Architectural Press. À l’aide de 25 temps aux formes géométriques et de deux tampons encreurs, les enfants peuvent s’amuser à dessiner maisons et villes. Cette boîte de jeu a été réalisée en collaboration avec l’architecte Marc Kauffmann lors d’une résidence d’artiste dans les Bouches-du-Rhône (cf. http://www.aureliendebat.fr/index.php?/project/tamponville/).

            La Ville. Quoi de neuf ? est donc son huitième album chez Hélium. Le concept en est fort simple et explicité de manière très claire dans l’introduction : « La ville, c’est extraordinaire ! Il y a plein de lumières, d’animations et de choses à voir, et on y vit tous ensemble. Mais c’est beaucoup de monde, trop de circulation et de pollution […]. De nombreuses villes tentent des expériences nouvelles qui réservent de très bonnes surprises. Alors, pourquoi ne pas s’en inspirer pour imaginer la ville de demain ? Avec ce livre, tu pourras rêver à la ville dans laquelle il te plairait d’habiter ! Et peut-être un jour, participer à sa construction ».

            Ce documentaire de qualité s’inscrit très clairement dans une optique d’urbanisme prospectif, d’engagement citoyen avec un but éducatif affiché : préparer les citoyens de demain à habiter la ville autrement. Pour ce faire, Cornille propose aux lecteurs de prendre connaissance, d’abord, des grands principes architecturaux qui ont conduit aux formes de la ville actuelle dans le monde. Puis, afin d’aider le jeune lecteur à se projeter, l’auteur lui fournit une palette d’exemples, de tentatives ou de solutions d’aménagement qu’il a pu glaner en sillonnant les grandes métropoles mondiales. Ces tentatives se trouvent classées par thématiques. Pour, en quelque sorte, matérialiser le fil conducteur pédagogique de l’ouvrage, un personnage avec chapeau, basket, sac à dos et valise, guide le lecteur au fil des pages : « Suis Didier Cornille à la découverte des villes ! »

            De manière très concise, l’ouvrage présente en introduction l’explosion urbaine à partir des années 1970 ce qui permet à l’auteur de dresser la liste de quelques problèmes que les générations actuelles et futures ont ou auront à régler : l’expansion exponentielle, le trafic automobile, la circulation chaotique, la pollution, la recherche d’un cadre vie agréable, les services publics…

            Les réponses apportées le sont par des exemples pris à la fois dans le passé et le présent de l’architecture et de l’urbanisme mais également dans divers endroits du monde. Chaque exemple est expliqué simplement en présentant l’architecte sommairement et en exposant les principes des solutions proposées. Tour à tour sont donc abordées la place de la nature et des espaces verts en ville ; l’agriculture urbaine ; la viabilité énergétique des villes ; les déplacements intra-urbains ; les smart-cities ou villes connectées ; le travail en ville ; la gestion des déchets ; l’accueil des populations nouvelles en ville. L’ouvrage se termine par un chapitre sur le bien vivre en ville. Cette dernière partie s’appuie sur le concept du « Buen Vivir » développé par Alberto Acosta en 2014 à partir d’exemples équatoriens et s’interrogeant sur la place des enfants en ville (l’espace de jeux de Zeedjik à Amsterdam), sur les associations d’habitants (la LXfactory de Lisbonne).

            Ce dernier ouvrage de Didier Cornille est très complet et remplit véritablement les objectifs qu’il s’est donné. En restant simple et abordable pour des enfants au moins de classes élémentaires il permet à ces jeunes lecteurs d’avoir des éléments de compréhension du monde qu’ils vivent et d’envisager des solutions pour un monde futur qui préserverait l’environnement et qui assurerait un développement construit sur le bien vivre.