La BD La Voix des bêtes, la faim des hommes, extrêmement dense et fouillée, est la dernière publication de Thomas Gilbert, un artiste spécialisé dans les oeuvres qui mélangent Histoire, ésotérisme, mysticisme et drames sociétaux.

Thomas Gilbert signe l’intégralité de cette BD, scénario, dialogues et dessin. C’est un récit prenant, envoûtant, au rythme haletant, mais qui prend néanmoins le temps d’apporter de la densité au personnage principal, Brunehilde, et à la société dans laquelle elle évolue, dans le Sud de la France.

Pour cela, et comme l’indique la bibliographie en fin d’ouvrage, l’auteur s’est appuyé sur des livres d’historiens, comme ceux de Jacques Le Goff. Plusieurs objectifs : se donner une caution scientifique reconnue pour traiter au mieux les sociétés évoquées ; être précis dans le vocabulaire employé ; refléter le contexte religieux du Moyen-âge et de ces régions ; comprendre les mentalités. Cela donne une BD avec de la matière, de la profondeur, du relief.

La BD démarre sur la rencontre improbable entre deux personnages quelque peu exclus de la société : Paulin, un soi-disant commerçant itinérant au parcours mystérieux et Brunehilde, une meneuse de loups, au parcours de vie chaotique. Sur leur route, une série de meurtres d’enfants, attribuée trop facilement à des bêtes sauvages et derrière lesquels Brunehilde comprend très rapidement la présence de l’Homme. A quelques décennies près, cette trame scénaristique rappelle la bête du Gévaudan.

A travers l’enquête, nous découvrons plus en profondeur chacun des personnages, y compris l’assassin et ses motivations. Derrière la traque, c’est la découverte de petits villages ruraux, pratiquement oubliés de tous, de communautés qui vivent selon des rites et des croyances anciennes, partiellement christianisées. Le terrain idéal pour le développement des hérésies médiévales. Pour les élites, ces gens n’existent que pour les taxes, que parce qu’elle permettent de nourrir le seigneur local; parfois aussi pour se défouler. Cette BD est donc aussi l’histoire de ces laissés pour compte, ces oubliés, dont les historiens essayent aujourd’hui de remonter difficilement la trace tans leur présence est rare dans les sources, si ce n’est pour s’en moquer.

Au final, l’auteur nous présente une œuvre originale, centrée sur la violence (au sens large) quotidienne que peuvent survenir certaines populations médiévales. Le rythme est soutenu, le graphisme tout à fait agréable. Il y a une réelle volonté de décrire cette société du Moyen Âge, de rendre hommage à une partie de ce peuple oubliée et opprimée. L’héroïne est déterminé et forte, et son histoire émouvante. L’enquête mélange le fantastique, le meurtre, les déviances religieuses dans une ambiance millénariste qui en a fait perdre la tête à plus d’un à cette époque. Une franche réussite.

Présentation de l’ouvrage sur le site de l’éditeur