Publié à l’occasion de l’exposition « Visages des guerres de Religion », organisée au cabinet d’arts graphiques du musée Condé au château de Chantilly (mars à mai 2023), l’ouvrage donne à voir les principaux acteurs de cette période troublée, ainsi que quelques imageries et productions littéraires.
Héritier des princes de Condé, le duc d’Aumale, Henri d’Orléans (1822-1897), collectionneur très avisé, s’est efforcé durant sa vie de recueillir des documents relatifs aux guerres de religion (libelles, pamphlets, déclarations imprimées…). Son exceptionnelle collection de portraits dessinés, peints et gravés, correspondant à cette période de l’histoire de France, reste la plus importante. Preuve de cet attachement à ces temps agités, il a acheté (en 1853) le célèbre tableau de Paul Delaroche L’Assassinat du duc de Guise au château de Blois en 1588, que son frère aîné Ferdinand-Philippe, duc d’Orléans avait commandé à l’artiste en 1833. Il avait acquis aussi le Portulan de Gaspard de Coligny et les Heures de Guise. Le goût d’Aumale s’inscrit bien dans ce XIXe siècle, qui redécouvre et s’intéresse à ce face-à-face confessionnel.
Paul Delaroche
L’Assassinat du duc de Guise au château de Blois en 1588
1834, Chantilly, musée Condé
© Eric Joly
L’occasion est donnée par ce catalogue de disposer d’un corpus d’une soixantaine d’œuvres illustrant cette période d’affrontement politique et militaire, dont une vingtaine de portraits dessinés par François Clouet et son atelier. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les images où figurent des huguenots ne sont pas conçues comme des outils de propagande, puisqu’elles ont été produites souvent avant leur conversion.
Le parti huguenot
Une partie de l’élite aristocratique française se convertit à la Réforme à partir de 1555, sous l’influence du calvinisme. Une organisation politique et militaire s’établit dès 1562. Elle prend forme autour de grandes figures, comme Louis Ier de Bourbon (1530-1569), prince de Condé, qui devient le chef de file du parti huguenot.
A la tête du mouvement protestant, on distingue d’autres personnages, par exemple Jeanne III d’Albret, reine de Navarre (1528-1572), mère du futur Henri IV ; ou bien encore, les frères Coligny. Pour rentrer dans les ordres, Odet de Coligny (1517-1571), cardinal de Châtillon et évêque-comte de Beauvais (avant de se convertir), renonce à son droit d’aînesse au profit de son frère l’amiral Gaspard II (1519-1572), comte de Coligny, seigneur de Châtillon. François de Coligny, seigneur d’Andelot (1521-1569) est colonel général d’infanterie. Les trois dessins de Clouet les montrent avec le collier de l’ordre de Saint-Michel, symbole de fidélité au roi. On en déduira donc qu’ils ont été réalisés avant le passage à la Réforme de la fratrie.
François Clouet
Odet de Coligny, cardinal de Châtillon (1517-1571)
1548, Chantilly, musée Condé
© Eric Joly
François Clouet et atelier
Odet de Coligny, cardinal de Châtillon (1517-1571)
Vers 1553, Chantilly, musée Condé
Source : RMN-GP
François Clouet et atelier
Gaspard II, comte de Coligny, seigneur de Châtillon (1519-1572)
Vers 1550-1552, Chantilly, musée Condé
Source : RMN-GP
François Clouet et atelier
François de Coligny, seigneur d’Andelot (1521-1569)
Vers 1555-1558, Chantilly, musée Condé
Source : RMN-GP
Les catholiques zélés
Anne de Montmorency, connétable de France et la puissante maison de Guise (branche cadette de la maison de la Lorraine) mènent une lutte acharnée contre l’hérésie protestante, déterminer à détruire la peste calviniste, en s’appliquant à mobiliser l’importante clientèle catholique intransigeante pour organiser la répression.
François Clouet et atelier
Anne de Montmorency, connétable de France (1493-1567)
Vers 1555, Chantilly, musée Condé
Source : RMN-GP
Dans cette opposition radicale, Anne de Montmorency (1493-1567), François de Lorraine, duc d’Aumale puis duc de Guise (1519-1563) et Jacques d’Albon, maréchal de Saint-André (1512-1562) forment le triumvirat catholique. Les combats menés contre les huguenots conduiront à leur mort : Anne de Montmorency à la bataille de Saint-Denis, François de Guise au siège Orléans, assassiné par Poltrot de Méré, et Saint-André à la bataille de Dreux.
François Clouet et atelier
François de Lorraine, duc d’Aumale, puis de Guise (1519-1563)
Vers 1547, Chantilly, musée Condé
Source : RMN-GP
Charles, cardinal de Guise puis de Lorraine (1524-1574) prend la tête du parti catholique après la mort de son frère, en 1563. Il est un grand mécène et un personnage très puissant au temps de François II. Il joue un rôle important au colloque de Poissy. Il occupe des fonctions prestigieuses en étant abbé commendataire des abbayes de Cluny, de Saint-Denis et de Saint-Rémi de Reims.
François Clouet et atelier
Charles, cardinal de Guise puis de Lorraine (1524-1574)
Vers 1550, Chantilly, musée Condé
Source : RMN-GP
Henri Ier de Lorraine, duc de Guise et prince de Joinville (1550-1588), fils de François de Lorraine, participe au massacre de la Saint-Barthélémy et assiste à l’assassinat de l’amiral de Coligny. Son surnom de « Balafré » vient de sa blessure reçue à la bataille de Dormans le 10 octobre 1575, qui apparaît sur les portraits pour mettre en avant la valeur guerrière du héros. Il devient le chef de la Ligue catholique en 1585. Représentant une menace pour le roi, Henri III ordonne son assassinat, lors des états généraux de Blois le 23 décembre 1588.
Les autres fils de François de Guise, Charles II de Lorraine (1554-1611) et Louis II de Lorraine (1555-1588), participent activement aux guerres de Religion.
Coexistence et répression
Cette section évoque le rôle des femmes de la cour dans l’entourage de Catherine de Médicis (1519-1589). L’enjeu pour la reine est de garder le contrôle du royaume dans cette France déchirée. Il faut donc louvoyer entre les deux partis confessionnels.
Le catalogue présente une demi-douzaine de portraits de femmes qui ont choisi de passer à la Réforme. Il s’agit d’Isabelle d’Hauteville (vers 1530-1611), l’épouse d’Odet de Coligny ; de Claude Rieux (1525-1562), la femme de François de Coligny (elle a été demoiselle d’honneur de Catherine de Médicis jusqu’en 1549) ; de la sœur aînée de Claude, Renée de Rieux, marquise de Nesle et comtesse de Laval (vers 1524-1567) ; de Louise de Clermont-Tallart (vers 1504-1596) qui a épousé en secondes noces Antoine de Crussol, vicomte d’Uzès, un éminent chef huguenot ; de Jacqueline de Rohan (1520-1586) ; et enfin de Marguerite de Lustrac (1527-1597) qui a épousé Jacques d’Albon de Saint-André.
François Clouet et atelier
Renée de Rieux, marquise de Nesle, dite Guyonne, comtesse de Laval (vers 1524-1567)
Vers 1547-1552, Chantilly, musée Condé
Source : RMN-GP
Dans un contexte de fracture où la guerre civile menace, et après la conjuration d’Amboise, Michel de L’Hospital (1503/1507-1573) est nommé chancelier en 1560. Il échoue en partie dans sa politique de conciliation. Le colloque de Poissy ne réconcilie pas les clans.
Le massacre de Wassy (1er mars 1562) amorce le début de la guerre civile et la mobilisation des chefs protestants. La gravure sur bois représentant cet épisode, œuvre de propagande calviniste, tend à montrer les violences subies par les huguenots. Le devoir de mémoire opère. Il faut marquer les esprits. François de Guise est montré en cruel bourreau qui s’apprête à tuer avec son épée un fidèle en prière. Sous le feu des tirs d’arquebuse des hommes du duc de Guise, les huguenots sont condamnés à mourir. Cohue, panique et confusion règnent dans cette scène tragique.
Jacques Tortorel et Jean-Jacques Perrissin
Le Massacre de Wassy (1er mars 1562)
Gravure sur bois, rehauts de couleur
1569, Paul, musée nationale du château
Source : RMN-GP
La noblesse fracturée
Durant les guerres de Religion, des gentilshommes forment les piliers des deux partis. Par exemple, François de Hangest, seigneur de Genlis (1513-1569) incarne le parti huguenot, tandis que Bertrand Raimbaud V de Simiane, baron de Caseneuve et de Gordes (1513-1578) est une figure du parti catholique.
Les lignes de partage entre les camps ne sont pas figées. Plusieurs officiers et grands du royaume peuvent être amenés à effectuer des allers-retours entre les différents clans, en fonction des revirements politiques et des opportunités personnelles, à l’image d’Antoine d’Aure, baron de Gramont, comte de Guiche (1526-1576). Antoine de Crussol, comte de Tonnerre et premier duc d’Uzès (1528-1573) prit un temps la tête du parti huguenot avant de revenir dans le camp royal après la première guerre de Religion.
Henri Ier de Bourbon, prince de Condé (1552-1588) est un calviniste convaincu. Il abjure le protestantisme sous la contrainte lors de la Saint-Barthélémy. Mais en 1574, il prend la tête du parti huguenot.
François Clouet et atelier
Antoine d’Aure, souverain de Bidache, baron de Gramont, comte de Guiche (1526-1576)
Vers 1550, Chantilly, musée Condé
Source : RMN-GP
François Clouet et atelier
Antoine de Crussol, comte de Tonnerre, premier duc d’Uzès (1528-1573)
Vers 1563, Chantilly, musée Condé
Source : RMN-GP
Les affrontements et épisodes violents des guerres de Religion successives font l’objet d’une abondante propagande des images et des mots. La production de gravures rend hommage aux héros et aux martyrs. La représentation de l’assassinat de l’amiral de Coligny à la Saint-Barthélémy (24 août 1572) en constitue un exemple significatif.
Les gravures du flamand François Hogenberg retracent les épisodes marquants : la bataille de Jarnac (13 mars 1569) où Louis Ier prince de Condé est assassiné, la bataille de Coutras (20 octobre 1587), la bataille d’Auneau (24 novembre 1587), la bataille d’Ivry (14 mars 1590).
Le duc d’Aumale acquiert en 1876, le Fragment dit de la cloche qui sonna la Saint-Barthélemy, dans la nuit du 23 au 24 août 1572, vers deux heures du matin. Cet objet a valeur de relique. Il provient de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois, située près du palais du Louvre, où Charles IX et son conseil ont décidé d’éliminer des chefs huguenots, considérés comme menaçant pour l’autorité royale. Rien qu’à Paris, on estime que la tuerie a entraîné la mort d’au moins 3000 protestants.
Fragment dit de la cloche qui sonna la Saint-Barthélemy
Fin du XVe siècle – début du XVI e siècle
Bronze
Chantilly, Musée Condé
D’Henri III à Henri IV : quel roi et quelle religion pour la France ?
Henri III cherche à affirmer son autorité et à soumettre la noblesse. Mais il doit faire face à une Ligue catholique puissante, et surtout inféodée depuis l’assassinat du duc de Guise et du cardinal de Lorraine à Blois en 1588. Le roi est poignardé par le moine Jacques Clément, le 1er août 1589, au château de Saint-Cloud.
Une gravure de 1590 représente Le duc de Guise s’efforçant de séparer un tronc d’arbre qui a pour souche saint Louis et dont les dernières branches supportent Henri III et Henri IV, est attaqué par des loups. Le chef de la Ligue catholique parisienne, Henri de Guise, renvoie à l’histoire de Milon de Crotone et son funeste destin.
Rappelons nous de la légende de cet athlète grec plusieurs fois vainqueur aux jeux olympiques et pythiques. Milon vieillissant a voulu tester sa vigueur en tentant de fendre un tronc d’arbre d’un vieux chêne déjà entrouvert. Mais ses mains restent prisonnières du tronc, n’arrivant pas à se dégager. Il est alors dévoré par des loups. Ce thème est une méditation sur la Force vaincue par le Temps, mais aussi sur l’orgueil de l’Homme. Milon est avant tout vaincu par sa vanité. La gloire humaine est éphémère.
L’angelot s’emploie à rapprocher les deux branches de l’arbre généalogique, pour mieux justifier la transmission de la couronne.
Geburt lini der Könige[n] von Franckreich u[n]d Navarre[n]
[Le duc de Guise s’efforçant de séparer un tronc d’arbre qui a pour souche saint Louis et dont les dernières branches supportent Henri III et Henri IV, est attaqué par des loups]
1590, Chantilly, Musée Condé
Source : Kulturstiftung Sachsen-Anhalt – Kunstmuseum Moritzburg Halle (Saale)
Geburt lini der Könige[n] von Franckreich u[n]d Navarre[n] (détail)
[Le duc de Guise s’efforçant de séparer un tronc d’arbre qui a pour souche saint Louis et dont les dernières branches supportent Henri III et Henri IV, est attaqué par des loups]
1590, Chantilly, Musée Condé
Source : Kulturstiftung Sachsen-Anhalt – Kunstmuseum Moritzburg Halle (Saale)
Geburt lini der Könige[n] von Franckreich u[n]d Navarre[n] (détail)
[Le duc de Guise s’efforçant de séparer un tronc d’arbre qui a pour souche saint Louis et dont les dernières branches supportent Henri III et Henri IV, est attaqué par des loups]
1590, Chantilly, Musée Condé
Source : Kulturstiftung Sachsen-Anhalt – Kunstmuseum Moritzburg Halle (Saale)
En mémoire de son accession aux trônes de Pologne (1573) et de France (1574) aux jours de la Pentecôte (la descente de l’Esprit-Saint sur les apôtres), Henri III décide de fonder le 31 décembre 1578, un nouvel ordre de chevalerie : l’ordre du Saint-Esprit, qui a pour symbole une croix (semblable à la croix de Malte) sur laquelle figure une colombe (le Saint-Esprit). Le cordon est bleu.
Ce nouvel ordre de chevalerie, plus prestigieux et convoité encore que l’ordre de Saint-Michel fondé par Louis XI (1469), permet de distinguer des gentilshommes de haut rang, dont certains sont des favoris du roi. Par cette gratification, l’ordre du Saint-Esprit a pour objectif d’assurer la fidélité et la soumission de la noblesse au souverain. Il s’agit de réaffirmer l’autorité du pouvoir royal. Il comprend cent membres issus de la noblesse catholique (quatre-vingt-sept chevaliers, neuf commandeurs ecclésiastiques et quatre grands officiers).
La miniature conservée à Chantilly illustre la fastueuse cérémonie qui contribue à la « ritualisation du pouvoir ». Elle se tient annuellement en l’église des Grands-Augustins à Paris, du 31 décembre au 2 janvier. L’image montre trois cardinaux choisis par le roi : Birague, Guise et Bourbon. Les officiers de l’ordre sont au premier plan. On peut identifier Nicolas de Neufville qui porte le collier, l’huissier Philippe de Nambu qui soulève la masse, le chancelier Philippe Hurault de Cheverny qui tient le livre des Évangiles. Ludovic de Gonzague agenouillé, y appose la main droite pour prêter serment. Sur la partie droite, on distingue, Guillaume Pot, prévôt et maître des cérémonies qui tient le manteau, Claude de L’Aubespine, greffier, garde enroulé dans sa main droite le texte du serment du nouveau chevalier. Derrière lui, est figuré le héraut d’armes Mathurin Morin. Selon Mathieu Deldicque, les gentilshommes du roi habillés en noir et coiffés d’un bonnet, seraient des chevaliers en attente d’être reçus.
Guillaume Richardière d’après Antoine Caron (1521-1599)
La Création de l’ordre du Saint-Esprit
1586, miniature sur vélin, 28,5 x 19,4 cm
Chantilly, Bibliothèque du Musée Condé MS. 408
Photo : Institut de recherche et d’histoire des textes (IRHT)
La qualité éditoriale est à la hauteur de la réputation de la maison d’édition d’art Faton. La reproduction des illustrations est irréprochable. Les textes et notices, synthétiques et clairs, vont à l’essentiel. Le professeur pourra retrouver dans cet ouvrage les images associées aux guerres de Religion.