Dans cet ouvrage dense, Marie-Laurence Haack, professeure d’Histoire ancienne à l’Université Jules-Verne de Picardie, s’intéresse à une civilisation mal connue dont elle est une spécialiste : les Étrusques.
Elle souhaite faire découvrir au lecteur l’histoire de ce peupleVoir aussi : la recension de ce même ouvrage en 2021 A la découverte des Etrusques, Marie-Laurence Haack, La découverte, 2021 et le CR de l’exposition à Lattes en 2016 – Les Étrusques : écriture et société dans l’Italie antique qui a vécu en Italie à partir du VIIIe siècle avant J-C, avant de disparaître au Ier siècle avant J-C, consécutivement à la conquête de leurs territoires par les Romains (terminée en 264 avant J-C) et à leur assimilation au sein d’une Italie désormais romaine (avec la concession notamment de la citoyenneté à la fin de la guerre sociale en 88 avant J-C).
Une carte en début d’ouvrage permet de visualiser l’étendue du territoire dominé par les Étrusques, lequel correspond actuellement et approximativement à la Toscane, au nord-ouest de l’Ombrie et au tiers nord du Latium. Les Étrusques contrôlent donc un vaste territoire au centre de la péninsule italienne, organisé autour d’une confédération de douze villes, la dodécapole, composée de Volterra, Arezzo, Pérouse, Cortone, Chiusi, Populonia, Vetulonia, Orvieto, Vulci, Tarquinia, Cerveteri et Véies.
Le livre de Marie-Laurence Haack ne se veut ni un manuel universitaire, ni un guide ou récit touristique. Il revêt une forme pour le moins originale d’une série de parcours vers une des cités étrusques de la dodécapole — à l’exception de Pérouse et Vetulonia — à partir d’un récit, d’un film, d’un fait ou d’un évènement, souvent contemporain, avec des allers-retours entre présent et passé. Puis en lien avec chaque chapitre sur une cité, l’autrice propose des chapitres thématiques, autour de l’histoire politique, économique, sociale, culturelle et artistique des Étrusques. Ainsi, le livre se veut une expérience autant sensible qu’intellectuelle, sans rechercher l’exhaustivité, certains aspects étant peu abordés, comme la civilisation villanovienne ou la présence des Étrusques hors d’Italie.
Les Étrusques, une civilisation originale
Par bien des aspects, la civilisation étrusque est foncièrement originale. Sa langue agglutinante et son écriture, fondée sur un alphabet inspiré des Grecs mais adapté aux spécificités linguistiques de l’Étrurie, ne ressemblent en rien au latin ou à d’autres langues et écritures du bassin méditerranéen. Les Étrusques ont également développé un art original et réputé dans l’ensemble du bassin méditerranéen, très différent de celui des autres peuples d’Italie à la même époque, que ce soit en termes de céramiques, de sculptures ou bien de fresques funéraires. Même s’ils appréciaient les productions venues de l’étranger et qu’ils ont été d’excellents imitateurs de l’art grec, les Étrusques ont donc su s’affranchir de leurs modèles pour créer leurs propres normes et pratiques artistiques, bien plus que les Romains, à l’image de l’Apollon de Véies découvert sur le site du sanctuaire de Portonaccio. Dans un tout autre domaine, leur organisation sociale présente des particularités. D’une part, au sein de la famille, les femmes semblent ainsi avoir bénéficié d’un statut qui leur est refusé dans les autres sociétés de l’Antiquité, en étant bien plus autonomes et reconnues qu’ailleurs. D’autre part, la société étrusque est certes fondamentalement inégalitaire, mais à certaines époques et dans certaines cités, on a pu voir des cultivateurs, des artisans, des commerçants profiter d’une intégration leur permettant de participer à la gestion de celles-ci. Enfin, en ce qui concerne la religion, les Étrusques se distinguent là encore, non par leur panthéon très proche des Grecs et des Romains, mais par des manières de la pratiquer. En effet, pour entrer en contact avec leurs dieux, les Étrusques ont mis au point toute une « science » divinatoire et prophétique pour analyser les signes envoyés par ceux-ci, via par exemple l’haruspicine ou l’étude des éclairs et de la foudre.
Étrusques et Romains, si proches et si lointains
Pour autant, il ne faudrait pas voir dans les Étrusques un peuple totalement différent des Romains, lesquels ne pourraient qu’être leurs ennemis irréductibles du fait de valeurs irréconciliables. Bien au contraire, ces deux peuples voisins partagent beaucoup de choses : ils sont insérés dans un système d’échanges économiques et présentent plusieurs similitudes notables dans leurs manières de vivre ou bien encore dans leurs cultures. Qui plus est, au VIe siècle avant J-C, voire encore au début du Ve siècle avant J-C, ce sont les Étrusques qui imposent leur loi aux Romains. Selon les historiens antiques, une dynastie étrusque, originaire de Tarquinia, aurait en effet régné sur Rome entre 616 et 509 avant J-C. Ces rois étrusques auraient donné à la ville une partie de ses institutions, ainsi que son urbanisme. Même si le récit de cette période de domination étrusque mêle histoire et légende, l’archéologie permet néanmoins de confirmer que les Étrusques ont effectivement réalisé à cette période de vastes travaux d’infrastructures urbaines et lancé de grands chantiers (mur d’enceinte, Cloaca Maxima, Circus Maximus…) et qu’ils contrôlent donc la ville. Enfin, quand les Romains se lancent dans la conquête de l’Étrurie avec le siège de Véies en 396 avant J-C, celle-ci s’effectue de manière lente, en s’adaptant aux circonstances et aux acteurs. Les Romains profitent ainsi de l’absence d’unité des Étrusques qui, en dépit d’institutions communes, comme la ligue étrusque, n’ont jamais eu de véritable organisation politique unificatrice. Si certaines cités, comme Véies ou Tarquinia, ont été conquises par la force, d’autres, comme Caere, sont plus favorables aux Romains, tandis qu’à Arezzo et Volsinies, ces derniers interviennent à la demande des aristocrates de ces cités, chassés du pouvoir par des révoltes sociales. Et quand la domination romaine finit par s’imposer, elle n’a pas pour corollaire la disparition immédiate des institutions, des modes de vie et de la culture étrusques. Ce n’est que progressivement que les Étrusques se romanisent, tout en transférant à Rome certains de leurs savoirs, à commencer par l’art de la divination.
Une civilisation qui garde sa part de mystère
Les Étrusques restent encore pour une grande part mal connus. Ainsi, le mystère de leurs origines demeure. On ne peut guère se fier aux thèses antiques en la matière, car ce sont des écrits créés de toutes pièces dans le cadre des relations entre peuples du monde méditerranéen, donnant une image soit élogieuse, soit désastreuse des Étrusques, selon qu’ils sont considérés comme des partenaires ou bien comme des concurrents. Les thèses les plus récentes ne sont guère plus convaincantes, malgré le recours à la génétique. L’archéologie n’apporte pas non plus d’éléments de réponse satisfaisants. Pour Marie-Laurence Haack, cette recherche des origines des Étrusques est vaine car, pour elle, les Étrusques (nom donné à ce peuple par les Romains, les Étrusques eux-mêmes se seraient désignés sous le nom de Rasena) seraient le fruit d’une combinaison à un moment donné d’éléments indigènes et hétérogènes. La langue étrusque conserve également une grande part de mystère. Faute de littérature étrusque, presque entièrement disparue, ou d’un traité antique offrant des règles de grammaire et des rudiments de vocabulaire — cette question n’ayant pas intéressé les auteurs antiques —, il ne reste que le recours aux quelques 13 000 inscriptions retrouvées par les archéologues. Mais c’est trop peu, d’autant que ces inscriptions sont souvent fort courtes : la plus longue, celle de la table de Cortone, comprend 206 mots. Tout ceci fait de l’étrusque une Restprache, c’est-à-dire une langue d’attestation fragmentaire, que l’on déchiffre certes, mais dont la structure et surtout le sens nous échappent en grande partie. En dernier lieu, le recours aux apports de l’archéologie devrait apporter bien des éléments de réponse pour tenter de comprendre le mode de vie et l’organisation politique des Étrusques. Mais si les vestiges sont nombreux, beaucoup de sites ont souffert des fouilles du XIXe siècle, effectuées bien souvent sans réel souci de rigueur scientifique et, dans certains cas, dans une perspective de profit au détriment de la préservation des objets trouvés (quand il n’y a pas eu de pillage antérieur), tandis que des œuvres de faussaires contribuent encore davantage à brouiller le paysage.
Bilan
N’étant pas du tout spécialiste de la question, j’ai beaucoup appris à la lecture de ce livre très riche en informations. Toutefois, certains angles d’attaque de chapitres peuvent décontenancer le lecteur. Ainsi le chapitre consacré à Arezzo et à la popularité des Étrusques se perd dans de trop longues descriptions de films où figurent des Étrusques. Je trouve également regrettable que le livre ne comporte pas une frise chronologique permettant de se repérer dans les différentes périodes de l’histoire étrusque. Un lexique des termes archéologiques aurait également été le bienvenu. Enfin, quelques illustrations en couleurs n’auraient fait que rendre justice à ce grand peuple de l’Antiquité et à son art éclatant de couleurs.