Que dire qui n’a pas déjà été dit sur un tableau célébrissime comme « Les époux Arnolfini » de Jan Van Eyck » ?
Jean-Philippe Postel choisit dans ce livre de reprendre le dossier sous forme d’enquête comme l’annonce le sous-titre du livre.

Un tableau souvent disséqué

Plusieurs historiens de l’art, et pas des moindres, se sont penchés sur cette peinture. On peut citer entre autres Ervin Panofsky ou Pierre-Michel Bertrand. Jean-Philippe Postel n’est pas historien de l’art et il prend le soin de citer ses sources et de dire en quoi il s’inspire ou non d’elles. Il faut peut-être rappeler d’abord, parmi les raisons possibles, pourquoi ce tableau serait important dans l’histoire de l’art. Ce serait la première fois qu’un homme et une femme sont représentés dans une chambre. Les rabats du livre contiennent plusieurs extraits de la peinture en couleurs. L’intérieur, lui, renferme un certain nombre de reproductions de parties du tableau en noir et blanc. Il se termine par plus d’une quinzaine de pages de notes ou de références bibliographiques.

Une enquête pas à pas

Jean-Philippe Postel entraine le lecteur dans une enquête pas à pas. Dans la représentation commune, qui dit enquête, dit indices. C’est effectivement ainsi que le livre progresse. L’auteur dit d’ailleurs de son projet qu’il est « l’application à une oeuvre picturale des méthodes de l’observation clinique attentive ». Ayant exercé la médecine générale pendant un quart de siècle, on croit donc comprendre que c’est comme s’ il appliquait des principes de son métier dans la peinture. Il commence par dresser un portrait de ce peintre relativement bien connu. Parmi les premières pièces versées au dossier, il y a la façon dont le tableau a été inventorié au fil des siècles : le descriptif varie beaucoup !
Comme dans toute enquête, il y a des fausses pistes et l’auteur prend le temps de les signaler, comme celle qui voudrait que ce tableau ait représenté un bourgeois cocufié. Le cheminement de l’enquête aboutit à mettre en évidence des mystères. Parmi ceux que soulèvent Jean-Philippe Postel, on peut en citer un : pourquoi alors que Van Eyck fait preuve d’une maitrise technique incroyable, le chien ne se reflète-t-il pas dans le miroir ? D’autres détails intriguent si on compare la scène de la chambre et celle du miroir.

Plaidoyer pour le regard et l’observation

Au fur et à mesure de l’ouvrage, on semble lire en filigrane quelles sont les sources d’inspiration de l’auteur. Cette enquête est aussi un plaidoyer pour le regard, pour l’observation minutieuse. On est tenté de penser à Daniel Arasse et à ses travaux sur le détail en peinture. D’ailleurs, pour bien voir le tableau, en dehors du fait de se rendre sur place, on pourra aller avec profit sur le site de la National Gallery qui offre un niveau de reproduction et de zoom sur le tableau très impressionnant. Au fur et à mesure que le livre avance, l’auteur resserre la focale et s’intéresse à des détails du tableau, comme la chandelle unique et le sens à lui attribuer ou encore ces patins qui trainent dans la pièce.

Un double sens en permanence

Jean-Philippe Postel développe à plusieurs reprises l’idée de l’ambiguité du tableau. Cela se voit dès la présentation de la peinture avec la formule que l’on retrouve au-dessus des personnages à savoir « Johannes de Eyck fuit hic ». Rien que cette phrase peut nous plonger dans des abimes de perplexité car elle est très ambiguë. L’autre clé essentielle est ce double sens qui fait qu’on ne doit pas prendre pour une représentation réaliste ce qu’on voit. Jean-Philippe Postel invite à reconsidérer l’interprétation sur la femme du tableau. Pour celles et ceux qui veulent préserver le plaisir de la découverte, abandonnez ici votre lecture !

Qui est cette femme ?

Jean-Philippe Postel s’appuie notamment sur des écrits de l’époque pour proposer des pistes d’interprétation. On prendra de toutes façons plaisir au moins à lire son argumentaire. Les « silhouettes de l’homme et de la femme forment un M majuscule ; le miroir, un O, les patins, la lettre r ». On aboutit à « morz » c’est à dire la mort en ancien français. Pour l’auteur la femme serait en fait morte. Les indices qui semblent témoigner en faveur d’une maternité imminente, seraient à reconsidérer. Si l’on admet que la femme représentée est une « revenante », le sens de la scène change et fait peut-être référence à un enfant mort. Le lien avec le peintre est aussi à réexaminer…

On n’est pas obligé de prendre pour argent comptant l’ensemble des conclusions de Jean-Philippe Postel, mais il apporte, après d’autres, sa pierre à l’édifice pour tenter de décrypter ce tableau. Il propose au lecteur un chemin, un raisonnement. En tout cas, plus de cinq siècles après avoir été peints, ces époux Arnolfini continuent d’intriguer, de fasciner et d’interroger.

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes