Vincent Duclert : un des spécialistes français de l’affaire Dreyfus
Né en 1961, Vincent Duclert est agrégé d’histoire. Il obtient son doctorat, préparé sous la direction de Dominique Kalifa, à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Directeur du CESPRA (Centre d’Études Sociologiques et Politiques Raymond-Aron) dépendant de l’EHESS-CNRS il donne toujours des cours à L’EHESS. Il a aussi été chargé de conférences à l’ENA. Le 24 avril 2013, il est nommé à l’Inspection générale de l’Éducation nationale (IGEN). Il fut, entre 2004 et 2009, le responsable des pages livres du magazine La Recherche.
Vincent Duclert fait partie des spécialistes français de l’affaire Dreyfus :
- L’Affaire Dreyfus. La Découverte, 2006 (1re éd. 1994)
- Écris-moi souvent, écris-moi longuement, correspondance de l’île du Diable, 567 p., Mille et une nuits, 2005 ;
- Alfred Dreyfus, l’honneur d’un patriote, 1260 p., Fayard, 2006 ;
- Dreyfus est innocent ! Histoire d’une affaire d’État, 240 p., Larousse, 2006 ;
- Dreyfus au Panthéon : Voyage au cœur de la République, 596 p., Éditions Galaade, 2007 ;
- Savoir et engagement : Écrits normaliens sur l’affaire Dreyfus, 184 p., Éditions Rue d’Ulm, 2007 ;
- L’Affaire Dreyfus, Larousse, 2009 ;
- L’Affaire Dreyfus, Quand la justice éclaire la République, Privat, 2010 ;
Il a notamment publié une biographie très complète sur le capitaine Alfred Dreyfus (Alfred Dreyfus, l’honneur d’un patriote). Pour cet ouvrage, il a obtenu le prix Jean-Michel Gaillard, en 2006. À l’occasion du centenaire de la réhabilitation d’Alfred Dreyfus, en 2006, il propose le transfert des cendres du capitaine Alfred Dreyfus au Panthéon. Sa proposition n’a pas été retenue par le président Jacques Chirac. En 2009, après la sortie de La Gauche devant l’histoire : à la reconquête d’une conscience politique, il reçoit une lettre de Lionel Jospin qui lui fait part de son désaccord. L’ancien Premier ministre lui reproche notamment d’avoir écrit non pas un ouvrage historique mais « un pamphlet sur la gauche depuis 1971 ». La lettre est publiée dans le mensuel l’OURS (mensuel socialiste de critique littéraire). En octobre 2016, Najat Vallaud-Belkacem, – en tant que ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche -, le nomme (en tant qu’IGEN) à la présidence d’une mission d’étude sur la recherche et l’enseignement des génocides et crimes de masse.
L’affaire Dreyfus de Vincent Duclert est la quatrième édition de ce titre de la collection « Repères / Histoire » n° 141. En effet, la première édition est parue en 1994 (dont Pierre Vidal-Naquet, mort en 2006, « avait eu l’idée de ce livre, en 1993 » (p. 2), comme l’écrit l’auteur), au moment du centenaire du premier procès du capitaine Dreyfus. Douze ans après, la deuxième édition sort en 2006, à l’occasion du centenaire de la réhabilitation d’Alfred Dreyfus, puis 6 ans plus tard, la troisième en 2012. Enfin, la quatrième et dernière édition en date est publiée en 2018, soit 6 ans après et 120 ans après la parution du « J’accuse… » d’Émile Zola. Composé de dix chapitres, le livre déroule les principaux moments de l’affaire Dreyfus, de sa condamnation en 1894 à sa réhabilitation en 1906, sans oublier la mémoire de cet évènement dans l’histoire de France, jusqu’à nos jours. En outre, ce livre comporte des remerciements (p. 2), une introduction (p. 3), 10 chapitres (p. 4-117) ainsi que tous les attributs de l’ouvrage scientifique : sources (dont quelques références sitographiques) et bibliographie (p. 118-124), une chronologie (p. 125), puis, enfin, une table des matières (p. 126-127). Il est à noter qu’il n’y pas de conclusion, à proprement parler.
L’affaire Dreyfus : de la culpabilité à la révision (1894-1899) : Chapitre I à V
En 58 pages, Vincent Duclert retrace l’histoire du capitaine Alfred Dreyfus, de sa condamnation à l’issue du premier procès de 1894 à la révision de 1899. Cette période comporte cinq chapitres ayant respectivement 12, 8, 11, 13 et 15 pages : chapitre I (« La France, l’armée et les Juifs » : p. 4-15), chapitre II (« Les mécanismes d’une culpabilité (1894-1895) » : p. 16-23), chapitre III (« Raison d’État et République parlementaire (1895-1897) » : p. 24-34), chapitre IV (« La vérité est en marche » (octobre 1897-août 1898) » : p. 35-47) et chapitre V (« La France et la révision (septembre 1898-septembre 1899) » : p. 48-62).
Le chapitre I (« La France, l’armée et les Juifs » : pp. 4-15) brosse le portrait de la France de 1894 « qui s’achemine vers la stabilité après avoir surmonté trois crises majeures » (p. 4) : le boulangisme de 1889, le scandale de Panama de 1892 et la menace anarchiste de 1894. Cette France de 1894 s’appuie sur l’armée (« arche sainte » de la nation républicaine) qui a pour revers un antisémitisme d’une virulence croissante (l’ouvrage d’Edouard Drumont « La France juive » de 1892, avec son journal La Libre Parole) qui est une donnée fréquente dans l’armée et, désormais, une composante de la société française.
Quant au chapitre II (« Les mécanismes d’une culpabilité (1894-1895) » : p. 16-23), il explique le verdict inique du 19 décembre 1894, à Paris, devant le 1er Conseil de guerre clôturant le procès militaire du capitaine Dreyfus. Il montre comment la Section de statistique (contre-espionnage militaire français) a fabriqué la culpabilité du capitaine Dreyfus en utilisant des moyens illégaux (le « bordereau ») et en créant les preuves qui manquaient (le « dossier secret »), le tout couvert par l’état-major au nom de la raison d’État.
Le chapitre III (« Raison d’État et République parlementaire (1895-1897) » : p. 24-34) montre comment et pourquoi la révision politique et parlementaire du procès de 1894, a échoué en novembre 1897, malgré l’engagement du publiciste Bernard Lazare au début de 1895, du colonel Picquart à la tête de la Section de statistique en juillet 1895 et du sénateur Scheurer-Kestner durant l’été 1897.
Avec le chapitre IV (« La vérité est en marche » (octobre 1897-août 1898) », le camp dreyfusard reprend espoir en l’automne 1897, malgré l’acquittement d’Esterhazy du 11 janvier 1898 et l’épuisement des voies légales. En effet, le 13 janvier 1898, sort le fameux article d’Émile Zola « J’accuse… ! » dans le quotidien L’aurore de Georges Clemenceau ainsi que, les 14 et 15 janvier, les deux pétitions des « Intellectuels » en faveur de Dreyfus. Le premier procès Zola (7-23 février 1898) se termine par la condamnation de l’écrivain, à la peine maximale, puis le second (23 mai-18 juillet 1898) se clôt par l’exil de Zola en Angleterre. De plus, avec les législatives de juin 1898, le président du conseil Brisson obtient une majorité républicaine antidreyfusarde et constitue « un ministère de coalition plutôt ancré à gauche et favorable aux nationalistes » (p. 46).
Avec le chapitre V (« La France et la révision (septembre 1898-septembre 1899) » : p. 48-62), l’affaire Dreyfus touche la vie politique française au plus profond au point que « le régime républicain lui-même [qui] paraît alors en question » (p. 52), en janvier 1899. Mais, le 3 juin 1899, la Cour de cassation rend son arrêt de révision signifiant que le jugement du Conseil de guerre de 1894 est cassé et le capitaine Dreyfus est renvoyé devant le Conseil de guerre de Rennes. Le 22 juin 1899, une majorité parlementaire de « Défense républicaine » se dégage désignant le sénateur Waldeck-Rousseau comme président du conseil, afin de mettre fin à l’affaire Dreyfus, avec le procès de Rennes (août-septembre 1899). Le 8 septembre 1899, le verdict tombe : Dreyfus est coupable avec circonstances atténuantes (sic !). Le 19 septembre (11 jours plus tard) le président de la République Émile « Loubet signe le décret de grâce du capitaine Dreyfus au Conseil des ministres » (p. 61) pour raison médicale, permettant ainsi à Waldeck-Rousseau de déposer (le 17 novembre 1899) « un projet de loi d’amnistie générale pour toutes les procédures judiciaires rattachées à l’affaire Dreyfus » (p. 62). Ainsi, l’affaire Dreyfus est close grâce à un verdict « politique » afin que l’armée, antidreyfusards, dreyfusards puissent sauver la face. De plus, le pays peut se passionner désormais pour l’Exposition universelle de 1900, à Paris.
L’affaire Dreyfus : analyse thématique (1894-1899) : Chapitre VI à VIII
En 37 pages, Vincent Duclert analyse l’affaire Dreyfus, de 1894 à 1899, avec une grille de lecture thématique, comportant trois chapitres ayant respectivement 14, 12 et 11 pages : chapitre VI (« Politique, État et pouvoirs devant l’Affaire » : p. 63-76), chapitre VII (« La « ligne dreyfusarde » : dreyfusards, dreyfusisme et intellectuels » : p. 77-88), chapitre VIII (« Les antidreyfusards, la France et l’étranger » : p. 89-99).
Le chapitre VI (« Politique, État et pouvoirs devant l’Affaire » : p. 63-76) étudie tour à tour l’éclatement et la rénovation des forces politiques en France, la mutation intellectuelle du socialisme français, la transformation du personnel politique hexagonal, la politique dreyfusienne de Waldeck-Rousseau, la démission gouvernementale durant l’Affaire, les responsabilités et les culpabilités des militaires, la marche de la justice pendant l’Affaire, puis, enfin, sciences et savants dans l’Affaire et la politique dans la cité.
Quant au chapitre VII (« La « ligne dreyfusarde » : dreyfusards, dreyfusisme et intellectuels » : p. 77-88), il s’attache à étudier successivement le capitaine Dreyfus et les siens, de la cause dreyfusarde à l’engagement dreyfusiste, la planète dreyfusarde, la Ligue des droits de l’homme (fondée le 4 juin 1898), le dreyfusisme entre socialisme et libertés, la naissance des intellectuels en France et, enfin, les dreyfusards devant la mort et l’oubli.
Avec le chapitre VIII (« Les antidreyfusards, la France et l’étranger » : p. 89-99), Vincent Duclert étudie la dimension antidreyfusarde dans l’Affaire, le socle antisémite et autoritaire, l’engagement antidreyfusard, la France antidreyfusarde, le reflux antidreyfusard et l’échec anti-dreyfusiste de 1899, les racines de l’extrême droite, les élites en France du conservatisme à la République, usages sociaux et pratiques culturelles de l’Affaire et, pour finir, l’étranger et l’affaire Dreyfus.
L’affaire Dreyfus : de la réhabilitation (1902-1906) à nos jours : Chapitre IX et X
En 18 pages, Vincent Duclert reprend l’histoire du capitaine Alfred Dreyfus, de sa réhabilitation en 1906 à la postérité de l’Affaire dans l’histoire, jusqu’à nos jours. Cette période comportant deux chapitres de 9 pages chacun : chapitre IX (« La réhabilitation du capitaine Dreyfus (1902-1906) » : p. 100-108) et chapitre X (« L’Affaire dans l’histoire et au présent » : p. 109-117).
Le chapitre IX (« La réhabilitation du capitaine Dreyfus (1902-1906) » : p. 100-108) montre que la réhabilitation du capitaine Alfred Dreyfus prend son origine dans le discours de Jean Jaurès (6-7 avril 1903) qui déclenche une enquête du ministre de la Guerre (le général André), le rapport Targe, remis au président du Conseil Émile Combes, en octobre 1903. Poussé par le gouvernement Combes, Dreyfus dépose une requête en révision du procès de Rennes. Le 25 décembre 1903, à Paris, la Cour de cassation est saisie de l’arrêt du Conseil de guerre de Rennes. Plus de 2 ans et demi après, le 12 juillet 1906, la Cour de cassation casse le verdict du Conseil de guerre de Rennes, rétabli le capitaine Dreyfus dans son grade de capitaine et réhabilite ce dernier. Le lendemain (13 juillet), la Chambre des députés vote le projet de loi soumis par le gouvernement en promouvant Dreyfus chef d’escadron (commandant) et le nommant chevalier dans l’ordre de la Légion d’honneur. Le 20 juillet 1906, (7 jours plus tard), Dreyfus reçoit la Légion d’honneur dans la petite cour de l’École militaire, selon son souhait.
Avec le chapitre X (« L’Affaire dans l’histoire et au présent » : p. 109-117), Vincent Duclert aborde la postérité de l’affaire Dreyfus dans l’histoire de France, en analysant tour à tour : l’affaire Dreyfus ou l’histoire, mémoire et modernité de l’évènement, d’un centenaire à l’autre (1994-1998), 2006 « année Dreyfus » et, enfin, une décennie perdue (années 2010) ? Outre le fait que l’affaire Dreyfus est devenu un sujet majeur pour les historiens, l’Affaire a fait naître l’extrême droite moderne, raciste et xénophobe et « n’a pas vacciné la France contre l’antisémitisme » (p. 109). Le centenaire de 1894 (premier procès de Dreyfus en 1894) a été un évènement historique et médiatique mais pas politique. Le centenaire de 1998 (« J’accuse… ! » de Zola de 1898) fut assumé par le pouvoir politique comme le centenaire de 2006 (réhabilitation de Dreyfus en 1906) qui fut exemplaire par « les hommages publics [qui] s’articulèrent sur le savoir historien, donnant aux manifestations […] une profondeur savante tandis que les travaux scientifiques purent s’exprimer dans un cadre public élargi » (p. 114). Cet investissement dans la connaissance de l’affaire Dreyfus se poursuivit en France et à l’étranger alors que la décennie 2010 s’achève sur la promesse de travaux sur la dimension mondiale de l’affaire Dreyfus.
L’Affaire Dreyfus de Vincent Duclert (4e édition, 2018) : la dernière synthèse en date sur l’Affaire
Pour conclure de manière provisoire, cette quatrième édition (soit celle de 2018) de L’affaire Dreyfus de Vincent Duclert est la dernière synthèse en date sur l’Affaire. En 128 pages, cette dernière est particulièrement dense et réussit la gageure d’embrasser tous les aspects de l’affaire Dreyfus, y compris l’aspect mémoriel, avec rigueur. Il est vrai que Vincent Duclert est l’un des meilleurs spécialistes français de l’Affaire et qu’il travaille toujours dessus, en étudiant la dimension internationale de cet évènement. Ce petit ouvrage est particulièrement destiné aux étudiants et aux enseignants qui veulent avoir une connaissance rapide mais, tout à la fois, précise et claire de l’Affaire. Ainsi, nous espérons que la cinquième édition comportera une véritable conclusion afin de rendre service aux étudiants et aux enseignants qui ont besoin de synthèse construite de manière académique.
Jean-François Bérel pour Les Clionautes