Sébastien Chevereau est historien de la Seconde Guerre mondiale en Touraine, auteur de nombreux travaux sur le sujet, il a coordonné la création de la Maison du Souvenir de Maillé, dont il a été le directeur de son ouverture jusqu’en 2012. Nul n’était donc mieux indiqué que lui pour faire le point sur le massacre de 124 habitants du village de Maillé le 25 août 1944, massacre bien moins connu que celui d’Oradour qui s’était produit deux mois et demi plus tôt. S’ouvrant sur un tableau du village à la veille de la guerre et se terminant par un chapitre sur la mémoire de Maillé, le livre expose les faits, mais aussi les difficultés qu’il y eut à expliquer le massacre et à en identifier les responsables. C’est un ouvrage riche de près de 150 illustrations et dans lequel sont cités de nombreux témoignages de survivants.

Maillé : un bourg rural situé sur un axe de communication

Maillé se situe à 40 km au sud de Tours et à 30 km au nord de Châtellerault. C’est un bourg rural de 500 habitants environ ; parmi eux des réfugiés de l’exode et des bombardements ultérieurs. Le village se situe à proximité de la ligne de démarcation et sur des axes de communication importants : la voie ferrée Paris-Bordeaux et la nationale 10 traversent le village.  Les Allemands ont la nécessité de les préserver car ils les empruntent pour leur repli afin de ne pas être pris en tenaille : près de 100 000 soldats traversent la région en août 1944. A 1,5 km du village se trouve le camp de Nouâtre, un camp de ravitaillement où 300 soldats allemands séjournent depuis 1940. Le 25 août 1944, les Américains sont à 40 km, Orléans est libéré depuis plus d’une semaine, le général de Gaulle descend les Champs Élysées.

Des groupes de résistance fédérés par l’abbé Péan

L’abbé Péan est un curé assez extraordinaire qui multiplie les activités de résistance et structure des organisations. L’activité première fut celle du passage de la ligne de démarcation, de prisonniers de guerre évadés, puis de pilotes désireux de regagner l’Angleterre en passant par l’Espagne. L’abbé est le chef départemental du réseau « Turma-Vengeance », il est actif au sein d’un réseau du SOE britannique, il est en contact avec les responsables de mouvements et d’organisations politiques. Il obtient trois parachutages. Il est arrêté en février 1944, torturé et tué par ses bourreaux. Une quarantaine de résistants vont tomber par la suite. En août 1944, six groupes de résistance différents créent de petits maquis de qui se donnent pour  objectif de ralentir le repli des Allemands. Ceux-ci deviennent d’autant plus agressifs qu’ils tiennent à sécuriser la zone.

Un massacre prémédité

Le mode opératoire du massacre est la preuve de la préméditation. Le village est cerné en début de matinée, le 25 août 1944. Les soldats ont reçu des munitions, ils avancent dans le village et tirent à bout portant sur tous les habitants qu’ils rencontrent, hommes, femmes, enfants, vieillards. A l’occasion ils égorgent et achèvent. On leur a donné des plaques incendiaires, qui coûtent cher et qu’on ne confie qu’à des troupes d’élite. Par deux fois les soldats prennent le temps de déposer sur un cadavre un billet griffonné dans un mauvais français expliquant qu’il s’agit de la « punition des terroristes et de leurs assistants ». Il n’y a pas de mise en scène, de rassemblement ou de regroupement de la population, comme ce fut le cas à Oradour ; il n’y a pas d’exécution publique, sauf celle de sept hommes à la fin du massacre. Quand le massacre est terminé, le village incendié est bombardé par 80 obus. Le maire et le curé obtiennent l’autorisation d’évacuer les rescapés vers 17h 30 ; un train s’arrêtent dans lequel ils montent, sauf ceux qui étaient parvenus à se cacher et qui restent terrés. C’est un affreux massacre. Il y a 124 morts, dont 44 enfants de moins de 14 ans. Des familles entières ont été abattues, plusieurs survivants (qui souvent ont simulé la mort pour ne pas être achevés) témoignent avoir vu leur proches abattus à bout portant, ou horriblement blessés puis achevés. Les deux tiers des maisons sont détruites.

Qui et pourquoi ?

Il fut longtemps très difficile de répondre à ces deux questions. Les travaux des historiens permettent aujourd’hui de mieux comprendre le processus qui conduit au massacre, mais les certitudes ne sont pas absolues : « Il semble très probable que l’on ne saura jamais de manière précise qui a commis ce crime de guerre, ni pourquoi ». Les actions de la Résistance dans une  zone considérée comme stratégique par un ennemi en repli constituent le facteur explicatif, une embuscade de maquisards qui fit une ou deux victimes allemandes le 24 août fut sans doute le facteur déclenchant.

Les hommes qui massacrent les habitants de Maillé appartiennent à la 17e Waffen SS Panzer Grenadier Division Götz von Berlichingen. Constituée d’environ 17 000 hommes, elle est stationnée à Thouars, Saumur, Châtellerault et Tours. Créée tardivement, elle n’a pas combattu sur le front de l’Est. Néanmoins, le bataillon de réserve divisionnaire, constitué à Châtellerault en février 1944 est impliqué dans trois crimes de guerre commis dans le département de la Vienne en août 1944. L’enquête la plus sérieuse a permis d’identifier le responsable direct du massacre : le lieutenant Gustav Schlüter, commandant du détachement SS stationné à Sainte-Maure. Mais il n’a pas pu être le seul dans le processus de décision qui a conduit à l’opération.

Des premiers secours à la reconstruction

Le lendemain du carnage, les secours peuvent évacuer les blessés. Les corps sont installés dans une chapelle ardente improvisée ; ils sont visibles par tous, même par les enfants, pendant une journée. Le 27 août, les victimes sont enterrées au cimetière de Maillé, dans une fosse commune pour le plus grand nombre. Les autorités d’occupation ne cherchent pas à cacher les exactions commises dans le village et, les jours suivants, elles laissent s’y rendre les personnes extérieures. La préfecture, les communes voisines et la Croix rouge se mobilisent pour apporter des secours en vivres, vêtements et moyens financiers aux sinistrés. En octobre les enfants font leur rentrée scolaire dans les salles de bals des deux cafés du village non détruites.

Dans l’immédiat après-guerre, le village reçoit deux aides particulières auxquels l’auteur consacre deux chapitres : une aide de l’Afrique Equatoriale Française dont il expose les origines, et l’aide conséquente d’un couple de milliardaires californiens de Santa Barbara, les Hale, dont la mémoire est encore très vive à Maillé.

Les rescapés vécurent provisoirement dans le village détruit, après avoir réparé dans l’urgence ce qui pouvait l’être. A l’inverse d’Oradour-sur-Glane, il n’y eut à Maillé aucune volonté de conserver les ruines héritées du drame. Contrairement à Oradour, il restait dans Maillé des habitations et des familles qui n’avaient pas été entièrement anéanties. Le choix fut donc fait d’une reconstruction intégrale. Dès 1945, l’Etat imagina cette reconstruction et le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme prit en charge le chantier. Une équipe d’architectes fut chargée par la commune d’établir un projet de reconstruction. Les premiers bâtiments furent mis en chantier en 1946-1947. Mais l’Etat manqua bien vite des moyens suffisants, les reconstructions étant nécessaires dans toute la France. On revit les projets architecturaux à la baisse, et l’Etat ne fut plus le maître d’œuvre mais seulement le coordinateur. Les familles sinistrées ne purent s’installer dans leurs nouvelles maisons qu’à partir de 1952.

La justice n’a jamais été vraiment rendue

L’identification des responsables fut très difficile et ils ne furent jamais condamnés. Le procès-verbal de la gendarmerie, daté du 25-29 août 1944, fut le fondement de toutes les investigations qui suivirent. Il fut pendant près de 60 ans le seul véritable élément d’enquête mis à la disposition des familles des victimes. Sur neuf pages dactylographiées, un seul paragraphe mentionne des éléments pouvant servir à l’identification des auteurs du massacre. « Une absence de communication de la Justice va longtemps laisser l’impression que les massacrés du 25 août 1944 ont été oubliés et que les auteurs n’ont été ni énergiquement recherchés ni condamnés ». L’auteur estime qu’on a manqué d’enquêteurs compétents et que des éléments utiles n’ont pas été relevés.

En 1950 on ne sait toujours pas quelles unités militaires ont participé au massacxre. Le juge d’instruction du tribunal militaire de Bordeaux reprend le dossier et pressent la possibilité de la présence des SS. Il fait auditionner la maîtresse du lieutenant Schlüter : témoin principal, elle ne l’avait pas encore été bien qu’on connaisse son identité ! Son témoignage permet d’identifier Gustav Schlüter et de le faire auditionner à Hanovre, le 27 juin 1950. Il nie toute implication dans le massacre de Maillé, mais le lendemain il disparaît et se réfugie en zone d’occupation soviétique. Il est condamné à mort par contumace par le Tribunal militaire permanent de Bordeaux, pour complicité de crime de guerre, le 20 février 1952. La RFA refusant d’extrader ses nationaux, il peut revenir en RFA et décéder chez lui en 1965 sans avoir été inquiété. En 1972 sa condamnation est prescrite.

Une nouvelle procédure judiciaire fut ouverte par le parquet de Dortmund en 2005, la justice allemande ayant été alertée sur ce crime impuni. Cette procédure et le travail des historiens permirent de mieux comprendre les événements du 25 août à Maillé et d’impliquer la la 17e Waffen SS Panzer Grenadier Division Götz von Berlichingen, secondée par des éléments de la Wehrmacht.

50 ans de mémoire occultée

Le massacre de Maillé fut oublié dans les commémorations nationales, et même locales dans une certaine mesure. Entre 1945 et 2006, il n’y eut aucun ministre présent aux commémorations annuelles. « Pourtant beaucoup de Tourangeaux ont été ministres, durant les décennies qui ont fait suite à la Seconde Guerre mondiale (…) L’attirance des festivités parisiennes était sans doute plus forte ». La mémoire du massacre s’est peu à peu inscrite dans le paysage du village, qui possède ses plaques, monuments et espaces mémoriels. A l’échelle familiale, il n’y eut pas de transmission de mémoire des parents aux enfants, phénomène sans doute facilité par l’absence de ruines.

Une exposition organisée par les Archives départementales d’Indre-et-Loire en 1994, fut le facteur déclenchant la libération de la parole. Une association se créa avec pour objectif la création d’un lieu de mémoire. Le 27 février 2006, la Maison du Souvenir ouvrait ses portes au public. « Mais les deux première années sont très laborieuses. Maillé n’est alors considéré que comme l’un des trop nombreux massacres commis en France pendant la Seconde Guerre mondiale (…) La mention du massacre du 25 août est quasiment absente des ouvrages évoquant la guerre, des différents sites mémoriaux, des articles de presse, d’Internet ».

La médiatisation commence à l’été 2008 avec la venue du procureur général de Dortmund qui vient informer les familles de son enquête judiciaire. Le 25 août 2008, Nicolas Sarkozy, Président de la République, assiste aux cérémonies du 64e anniversaire du massacre et inaugure la Maison du Souvenir. Le film documentaire du réalisateur Christophe Weber fut diffusé sur France 2 le 23 juin 2011 et rassembla 1 200 000 spectateurs. Ce livre contribue lui aussi à mieux faire connaître ce village-martyr.

© Joël Drogland pour les Clionautes