L’ours semble un sujet à la mode. Coïncidence, au moment où nous publiions un article sur sa chasse au Moyen Âge , sortait ce livre du médiéviste Michel Pastoureau.

L’auteur, est d’abord connu pour avoir renouvelé l’étude de l’héraldique et pour s’intéresser de manière plus générale à la symbolique. Il avait consacré sa thèse à l’étude du bestiaire héraldique médiéval. Son étude sur l’ours, synthèse des résultats de plusieurs séminaires est donc le prolongement naturel de ses précédentes recherches, comme le symbolise la couverture un livre, un ours héraldique issu d’une bannière médiévale.

L’idée générale du livre se trouve résumée dans ce paragraphe de l’introduction : « En fait, à l’époque carolingienne, dans une large partie de l’Europe non méditerranéenne, l’ours apparaît encore une figure divine, un dieu ancestral dont le culte revêt des aspects variés mais demeure solidement ancré et empêche la conversion des peuples païens. Partout, ou presque, des Alpes à la Baltique, l’ours se pose en rival du Christ. Pour l’église, il convient de lui déclarer la guerre, de le combattre par tous les moyens, de le faire descendre de son trône et de ses autels. »

Ce livre se veut une histoire des rapports entre l’ours et l’homme. Il est centré sur le Moyen Âge où se déroule la lutte de l’Église contre l’ours et son remplacement par le lion comme le roi des animaux. Mais l’auteur replace cette histoire dans la longue durée. Il commence donc son étude par la Préhistoire pour l’achever au XXIe siècle.

Une cohabitation ancienne

Dans le premier chapitre M. Pastoureau reprend le dossier très polémique du culte de l’ours au Paléolithique. Il cite notamment la sépulture conjointe d’un homme et d’un ours dans la grotte du Regourdou, les peintures et les crânes d’ours disposés en cercle de la grotte Chauvet, la statue d’argile de la grotte de Montespan. Ces vestiges sont pour lui les premiers témoignages de cultes qui perdurent jusqu’au Moyen Âge. Il retrouve la trace de ces cultes dans l’Antiquité et le haut Moyen Âge : dans la mythologie grecque autour de la déesse Artémis, puis dans les mythologies et les pratiques des sociétés celtique, germanique, scandinave et slave. Dans les sociétés d’Europe du Nord, qui ne connaissent pas le lion ou l’éléphant, l’ours est le roi des animaux grâce à sa force, son invincibilité. Les Germains en font un animal totémique. Tuer un ours est souvent un rite de passage pour de jeunes guerriers. Boire son sang, manger sa chair est un moyen d’acquérir sa force. Des guerriers scandinaves, les Bersekir, se transforment en ours en se parant d’une « chemise d’ours ». L’anthroponymie atteste aussi de la place de l’ours.

L’Eglise méfiante

De nombreux prénoms sont tirés de son nom : Artémis, Arthur, ou encore Bernard qui signifie littéralement « ours fort ». L’ours apparaît enfin comme le plus proche parent de l’homme par sa stature, son régime alimentaire ou par la sexualité qu’on lui prête. Certaines familles vont jusqu’a se réclamer de la descendance de l’union d’un ours et d’une femme.
Mais l’Église voit dans ces croyances et pratiques un paganisme dangereux. Elle s’efforce donc de faire la guerre à l’ours. D’abord en l’éliminant physiquement par des battues et destructions massives, comme celles menées par Charlemagne dans les pays germaniques après leur conversion au christianisme. Puis en présentant l’ours comme un animal soumis. Plusieurs vies de saints rédigées aux VIIe-VIIIe siècle mettent en scène un homme d’église qui parvient par la parole à dompter un ours, à l’utiliser comme bête de somme ou de labour. Ensuite en présentant l’ours comme l’incarnation de nombreux vices, comme une créature diabolique. Enfin en ridiculisant l’ours, en en faisant un animal de cirque. Au tournant du XIIe siècle, le lion a pris la place de l’ours comme roi des animaux. En témoigne d’abord l’héraldique où le lion est la figure la plus populaire. Puis les contes et les encyclopédies où l’ours est systématiquement présenté sous un aspect négatif.
Michel Pastoureau termine son livre par le constat pessimiste de la disparition inéluctable de l’ours. Il remarque que c’est depuis que cet animal apparaît comme en voie de disparition qu’on s’y intéresse à nouveau. D’abord par le biais de la zoologie et de l’ethnologie. Puis en le muséifiant. Cependant, la vogue des ours en peluche, depuis le début du XXe siècle constitue pour l’auteur « la revanche de l’ours ».

Au total cette étude se révèle agréable à lire, très dense et très bien documentée, comme l’attestent une riche iconographie, une bibliographie et des notes abondantes. C’est aussi un livre exemplaire par sa méthode. Par la mise en perspective de l’histoire de l’ours dans la longue durée et par son caractère transdiciplinaire et transdocumentaire. Il apporte de nombreuses pistes de réflexion et de prolongement. Il propose notamment, pour la Préhistoire, de ne pas se contenter d’utiliser le comparatisme ethnologique pour interpréter les vestiges liés à l’ours, mais d’utiliser l’histoire des sociétés européennes. On ne peut donc faire sur cette étude que quelques critiques de détail. Par exemple l’affirmation (p. 232) que dans l’Antiquité l’ours n’était pas un animal de cirque mais de combat est à nuancer : un bas relief romain de Narbonne présente un ours faisant des acrobaties sur un tonneau. Mais surtout, on constate que pour la période médiévale, l’Europe du sud est peu représentée dans ce livre, sans doute par manque de travaux sur ce thème des historiens méridionaux.

En résumé, L’Ours, histoire d’un roi déchu satisfera aussi bien le grand public que les spécialistes.

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