Les impératifs économiques aidant, les éditeurs se pressent de sortir leur manuel sur les questions au programme des concours. Pour être présent aussi rapidement que possible sur le marché, ils confient le travail à une équipe d’auteurs. Autour d’Anne-Marie FRÉROT, professeur à l’université de Tours, six spécialistes, pas moins :
– Gabriel WACKERMANN, un homme qu’on ne présente plus tant on le trouve sur les étagères des librairies. Rappelons toutefois sa qualité de professeur émérite à l’université de Paris-Sorbonne.
– Gervasio SEMEDO, Docteur en économie et maître de conférences à l’université de Tours.
– Jean RISER, professeur à l’université d’Avignon.
– Gérard-François DUMONT, professeur à l’université de Paris-Sorbonne et bien connu pour être le président de la revue Population & Avenir.
– Pierre VOLPOËT, maître de conférences à l’université de Bourgogne.
– Gérard CLAUDE, chargé de cours à l’IEP d’Aix-en-Provence.

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Dès l’introduction, le ton est donné ! L’Afrique n’est pas « mal partie ». Elle « ne cesse d’étonner ». Face à une « mondialisation dépersonnalisante », on vante l’espoir représenté par les bouts de papier déposés dans nos boîtes aux lettres par les marabouts… On reste sans voix. Rien, en revanche, sur la cohérence du sujet, dont l’échelle devrait au moins questionner. D’autres ouvrages se sont montrés plus circonspects et consacrent au moins un avertissement à la vanité qu’il y a à traiter une telle diversité de situations.

De manière fort alléchante, en revanche, l’ouvrage se décompose en trois parties, progressives et apparemment problématisées :
– l’Afrique et le monde ;
– approche thématique interne ;
– campagnes et villes.
Au fil de la lecture, les redites sont nombreuses, les renvois aussi, évidemment, tant il est difficile d’intégrer six discours individuels en un tout cohérent. Et on n’en tiendra pas trop rigueur à l’ouvrage. Mais on a plutôt l’impression de lire six dissertations sur six sujets différents, dont chacun justifie sa propre critique.

Dans le premier chapitre sont traitées les dynamiques et mobilités africaines. L’auteur y analyse les freins au mouvement, puis les impulsions, enfin les domaines majeurs de la mobilité. Il conclut sur les effets turbulents de la mondialisation de l’économie récréative. Le lecteur avouera une certaine perplexité devant cette partie, très rapide, souvent très (trop ?) générale. Certes, on y donne beaucoup de conseils aux pays africains, on y critique largement la Banque Mondiale ; certes, l’auteur connaît son sujet, et utilise largement les recherches en cours, notamment de ses propres étudiants. Mais on se demande, une fois le chapitre achevé, de quoi il a bien pu parler. Les synthèses manquent souvent d’exemples régionaux développés, alors que certains exemples (le Burkina Faso) ne comportent pas de synthèse générale. Le discours est celui d’un expert en développement.

Le deuxième chapitre, Economie politique des questions africaines, est alléchant dans son intitulé. Les idées de l’auteur sont très intéressantes, parfois au point de prendre à contrepied l’honnête géographe (sait-on que l’Afrique est exportateur net de capitaux ?) ; les analyses sont détaillées et s’appuient sur de nombreux tableaux statistiques fort utiles, même si l’auteur passe parfois beaucoup de temps à décrire ce qu’une carte dirait en une seconde ou deux. Malheureusement, un certain nombre de problèmes entâchent l’intérêt intellectuel de ce chapitre : le discours économiste est inadapté aux géographes (ce que pressentait justement Anne-Marie Frérot elle-même dans son introduction) et restreint l’utilité du chapitre ; l’écriture est souvent fort difficile à suivre : style relâché, abus du gras et des parenthèses, ponctuation aux abonnés absents… Cela fait beaucoup pour des candidats à des concours d’enseignement. Sur le fond, on regrettera que l’auteur se borne pour l’essentiel à la défense et l’illustration du NEPAD (New Economic Partnership for Africa Economic Development). L’analyse reste largement macro-économique, et l’interprétation des performances économiques africaines, réalisée hors contexte, apparaît fort discutable. L’auteur esquive soigneusement la question du rôle des élites africaines dans les problèmes d’économie politique. On ne lui en fera pas trop grand reproche, tant il est vrai que cela serait politiquement fort incorrect !

Le troisième chapitre, sur les conditions naturelles, est plus classique, mais peut paraître décevant au regard du titre général très accrocheur (« Approche thématique interne »). L’auteur analyse d’abord les climats et la végétation, dans lesquels se marque la tropicalité. Ces passages sont excellents, au point qu’on les trouvera parfois insuffisamment développés. On déplorera la faible visibilité des diagrammes ombrothermiques proposés (dont le mode d’emploi n’apparaît d’ailleurs qu’après 15 pages). On avouera aussi un certain scepticisme sur la partie strictement géologique, inadaptée au public-cible. Les deux dernières parties, sur les fleuves et les agents d’érosion, sont utiles, mais également rapides, et l’Homme en est bien absent. Deux dossiers clôturent ce chapitre : l’isolement géographique de Madagascar et l’Afrique berceau de l’Humanité, dont on se demande, malgré leur intérêt culturel, dans quelle mesure ils s’intègrent au reste de l’ouvrage.

Le quatrième chapitre traite de la population de l’Afrique. La synthèse est excellente, bien menée, souvent richement illustrée, mais quelle rapidité ! Moins de 20 pages de texte : on reste un peu sur sa faim, d’autant que – de l’aveu de l’auteur lui-même, via ses notes de bas de page qui compensent l’absence de bibliographie – la lecture de quelques numéros de la revue Population & Avenir aurait pu conduire au même résultat. Les spécificités du peuplement sont bien mises en perspective historique ; les mouvements naturel et migratoire sont illustrés de manière fort éclairante. On sera peut-être moins convaincu par les paragraphes sur les disparités du peuplement, où l’auteur s’évertue à décrire en près de 40 lignes ce qu’une bonne carte – encore ! – aurait montré de façon immédiate. Le traitement des régimes démographiques – comme celui du mouvement migratoire – n’est pas toujours irréprochable non plus, l’analyse se bornant au niveau des Etats, avec une série de cartes que l’on aurait bien vue dans un manuel de collège, mais que l’on n’attendait guère dans un ouvrage de préparation à l’Agrégation !

Le cinquième chapitre aborde les campagnes africaines. L’auteur questionne d’abord le problème alimentaire, avant de l’expliquer par la sécheresse et le caractère rudimentaire des techniques ; il confronte ensuite ce problème au « défi du nombre », où diverses hypothèses sont envisagées, ainsi que la réponse des systèmes agricoles ; le rôle de l’Etat est enfin évoqué. La synthèse est lumineuse, avec des exemples régionaux bien développés. Malheureusement, le dossier consacré à l’agriculture subsaharienne fait un peu double emploi, et l’on se demande pourquoi un ensemble plus synthétique n’a pas été rédigé. D’autant que la pratique de l’encadré rend le tout plus disparate encore.

Le sixième et dernier chapitre traite du fait urbain en Afrique. L’auteur fait le point sur la croissance urbaine, ses modalités, ses disparités, ses causes ; puis étudie la distribution spatiale et les réseaux urbains ; évoque les paysages, puis conclut sur les problèmes urbains. Là encore, la synthèse est d’un excellent niveau : comme souvent dans cet ouvrage, l’auteur sait de quoi il parle. Cependant, les exemples régionaux sont trop rapidement traités : quel besoin de donner cinq exemples de réseaux urbains ? N’eut-il pas mieux valu en analyser finement deux ou trois ? On notera également quelques maladresses, comme celle qui consiste à décrire la forte croissance urbaine, puis son ralentissement, avant de revenir à la croissance en détaillant ses causes. La fin du chapitre, notamment sur les problèmes urbains, a tendance à dériver vers un discours moralisateur et lapidaire, tel ce paragraphe sur le difficile accès aux services publics (p. 235) où quatre lignes suffisent pour : affirmer la faillite de l’Etat, anoncer de nouvelles formes d’organisation, critiquer la déréglementation et régler son compte au schéma libéral. Le moins qu’on puisse dire est que l’on aurait aimé des explications un peu plus détaillées.

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Deux défauts majeurs méritent d’être mis en exergue.

La pauvreté de l’image géographique.
S’agissant d’un manuel de géographie, on notera d’abord la rareté des cartes, surtout des cartes utiles. Que dire de la carte de la page 7, qui présente… les Etats africains ? Que dire de la carte p. 222, dépourvue de légende ? Que dire de la carte p. 213, dont la montée en valeur est franchement incorrecte ? Les quelques photographies – une initiative louable – sont d’intérêt anecdotique, sans couleur mais surtout sans commentaire.

Le Maghreb aux abonnés absents.Le Maghreb est le grand oublié de cet ouvrage. Certaines parties l’évacuent totalement. S’agit-il donc d’une géographie de l’Afrique noire ?

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Ce manuel de préparation aux concours d’enseignement semble donc avoir été écrit trop rapidement. Le résultat est fort disparate, les chiffres parfois contradictoires, telle la densité du continent africain qui oscille entre 20 habitants/km² et 28, descendant même à 7 (p. 222) ! Il vaudra sans doute mieux, concernant la géographie de l’Afrique, se reporter à d’autres ouvrages, peut-être plus longs, certainement mieux faits.

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