L’Afrique refuse-t-elle vraiment le développement?
Le texte de sa conférence de juin 2005 dans le cadre d’un colloque organisé à Champigny par le cercle de réflexion pour le développement de l’Afrique est une réponse à l’ouvrage de Stephen Smith: Négrologie, pourquoi l’Afrique meurt paru en 2003, qui invitait les Africains a abandonner leurs traditions au profit du modèle occidental.
C’est le premier chapitre et sans doute le plus intéressant, le plus argumenté, l’auteur s’appuie pour son plaidoyer sur une bibliographie très fournie, de François Partant (1982) à Serge Latouche (2002), de Kä Mana (1991) à Aminata Traoré (2005). Il tente de répondre à diverses questions comme l’ouverture est-elle reniement du passé? et propose, à la suite d’Edgar Morin de reconsidérer la notion de développement.
Jean-Claude Djéréké analyse les facteurs multiples de la situation actuelle de l’Afrique: il fait une place aux causes endogènes: corruption des élites, régimes à parti unique mais aussi poids de la parenté qui empêche l’épargne sans oublier les causes exogènes qu’il décrit longuement: soutien occidental aux dictateurs, enjeux géopolitiques sur les matières premières et l’énergie, modèle d’une économie néo-libérale, dépendance de l’aide, indépendances politiques des années 60 plus nominales que réelles, phénomène de la dette. Il termine son propos sur un appel à en finir avec l’impérialisme.
On lira également avec intérêt sa vision de ce que devrait être l’engagement de l’Eglise en Afrique (ch.6): il récuse l’idée d’une neutralité possible de l’Eglise au nom même de l’évangile, il demande aux prêtres un engagement réel, une dénonciation des atteintes au “vivre ensemble” prenant exemples sur l’abbé Pierre ou l’archevêque de Cracovie dans son soutien à Solidarnosc, mais aussi de participer à des manifestations publiques et de s’investir dans des oeuvres de charité ce qui suppose de ne pas être trop lié aux pouvoirs politiques et en s’appuyant sur les textes canoniques, il rappelle l’interdit de participer à la vie des partis politiques: une voie étroite donc.
Un autre article à lire le portrait mi-éloge/mi-critique de Léopold Sédar Senghor (ch.14): dans cet article pour le centenaire de la naissance du poète sénégalais, s’il loue la poésie et la place faite à la culture noire, s’il reconnaît en Senghor un leader démocrate rappelant qu’il a pris l’initiative de quitter le pouvoir et n’a pas imposé le régime du parti unique il lui reproche son épouse blanche, sa retraite en Normandie et surtout ses amitiés avec les hommes politiques français et de n’avoir pas dénoncer la “Françafrique”. .
Pour le reste c’est une série de courts articles de circonstance. Si on peut suivre l’auteur quand il souhaite que les Africains en finissent avec leur complexe d’infériorité (ch 3) ou quand il plaide pour qu’une redéfinition des rapports entre les anciennes puissances coloniales et les anciennes colonies soit mise en oeuvre (ch 2), on est plus gêné par une dénonciation très peu nuancée de la “Françafrique”, la politique de Jacques Chirac ou celle de l’ONU à travers un jugement très sévère de son secrétaire général Kofi Annan (ch. 10: “ c’est avec sa complicité que certains pays africains ont été humiliés et martyrisés… gestion partisane et calamiteuse de la crise ivoirienne. Une crise dans laquelle l’homme a montré incompétence, arrogance et malhonnêteté”).
L’auteur pêche souvent par manque d’objectivité. Beaucoup de ces articles reviennent, de façon si partisane sur le conflit en Côte d’Ivoire et en particulier l’affaire de l’hôtel Ivoire de novembre 2004 que le lecteur peut difficilement se faire une opinion.
Le chapitre 12 sur les vrais enjeux d’une fausse guerre ethno-religieuse est à la fois une critique violente de la politique française, du traitement de la crise dans la presse et un soutien inconditionnel à Laurent Gbagbo. Certes la critique est respectable mais le manque de recul et la faiblesse de l’argumentation nuisent à l’analyse, par exemple quand l’auteur affirme à la page 175: “ la vérité est qu’un individu – Alassane Ouattara – a essayé (en vain) d’instrumentaliser les ethnies du Nord – abusivement appelées dioula – et la religion pour accéder au pouvoir. A propos de l’islam, selon diverses sources, les imams étrangers, qui sont plus nombreux que les imams ivoiriens, ont été financés par Ouattara pour mobiliser sur l’idée que le moment était venu d’avoir un président musulman en Côte d’Ivoire.” il n’apporte aucune preuve à ses dires, les sources ne sont pas précisées. Le texte devient même une véritable diatribe contre Jacques Chirac, comparé à Ponce Pilate (p179), et contre la presse française: “à mon avis, en plus de l’inculture ou de l’ignorance, il y a le fait que la presse est inféodée au pouvoir politique et économique et que cette collusion manipule et fausse l’information. Cette presse n’est pas toujours insensible à l’argent de certains dictateurs africains… on a ainsi le sentiment que la presse française ne s’intéresse aux auteurs africains que s’ils sont prêts à dire du mal de l’Afrique, à charger certains de leurs dirigeants, à faire l’éloge de la colonisation, à préférer le fromage au manioc et le costume trois pièces au boubou.” (p189-191). Le fait que l’ensemble de la presse soit ainsi présentée sans exemples précis, sans nuances conduit à l’expression une certaine francophobie.
Dans la conclusion du livre Jean-Claude Djéréké affirme: “ Nous n’avons pas dit que tous les Blancs étaient méchants ” nous voilà rassurés.
Un ouvrage certes inégal mais à lire si on veut comprendre la francophobie d’une certaine Afrique.
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