CR de Catherine DIDIER – FEVRE, professeure au lycée Catherine et Raymond Janot à Sens et au collège du Gâtinais en Bourgogne à Saint Valérien.

Cet ouvrage, paru aux éditions de La Villette, s’inscrit dans l’actualité éditoriale foisonnante sur le sujet. (voir G. Capron. Quand la ville se ferme. Quartiers résidentiels sécurisés. Bréal, 2006. http://www.clionautes.org/?p=1236). Sous un titre volontairement provocateur, inspiré d’un ouvrage de Mike Davis, Stéphane Degoutin livre ici une analyse très documentée et illustrée sur ces nouveaux quartiers urbains.

Architecte d’intérieur, artiste et chercheur, Stéphane Degoutin a bénéficié d’une bourse du programme de recherche « L’envers des villes » initié par la Caisse des Dépôts et consignations et de l’Association française d’action artistique. Cette bourse lui a permis de séjourner aux Etats-Unis pour étudier le phénomène sur le terrain. Stéphane Degoutin anime, par ailleurs, des sites internet (que d’aucuns jugeront loufoques) tels que nogoland.com ou googlehouse.net.

L’ouvrage se propose de répondre à la problématique suivante : En quoi les gated communities constituent-elles une mutation sociale profonde ?

Le phénomène n’est pas spécifiquement américain, même s’il a tout d’abord été étudié aux Etats-Unis (voir les travaux de Mike Davis, de Blakely et Snyder, de l’Ecole de Los Angeles). Il existe en Afrique du Sud, en Amérique Latine, comme en Europe et en Asie. Aux Etats-Unis, 3,5% de la population vit dans ce genre d’espace.

Blakely et Snyder distingue trois types de gated communities :
Les lifestyle communities : pour des personnes partageant une activité commune (golf, yacht, avion…) ou un mode de vie (retraités, gays…)
Les prestige communities : pour des personnes ayant la volonté de vivre dans un environnement luxieux.
Les security zones : pour des personnes qui cherchent à se protéger de la criminalité. Le phénomène est d’autant plus développé que les inégalités sont fortes. Conçu à l’origine pour les classes supérieures, ce modèle a été adapté aux classes moyennes. Ce type peut prendre la forme d’un lotissement fermé crée ex-nihilo à la périphérie des villes ou fermé postérieurement (roads closures), ou bien d’une forteresse (pour les résidences situées dans les centres-villes).

Il est tentant de voir dans les gated communities une réapparition des villes fortifiées. Toutefois, l’enceinte ne suffit pas à faire la ville. Les gated communities dépendent de la ville : réseaux urbains, emplois, commerces. Elles sont destinées à loger une population qui utilise la ville mais ne veut pas y habiter. Les lotissements fermés sont régis par des règlements très pointilleux qui ont pour objectif la qualité et la tranquillité du voisinage, caution de la valeur immobilière du bien. Cela équivaut à une réduction des libertés de la part des propriétaires, étant donné que tout un tas de choses leur sont interdites : affichage d’un drapeau, obligation d’entretien du jardin, réglementation sur le nombre de visiteurs et la durée de leur séjour, nombre et poids des animaux domestiques…
Les associations de propriétaires peuvent aller jusqu’à faire le choix de l’autonomie territoriale et se transformer en municipalités indépendantes. Cela se fait au détriment de la ville puisque ce transfert de pouvoir s’accompagne alors de celui de la fiscalité. Les riches paient pour les riches. Si les racial covernants sont interdits aux Etats-Unis depuis 1948, leur remplacement par des lifestyle covenants revient au même. On sélectionne la clientèle sur son mode de vie, son pouvoir d’achat et on exclue ainsi les pauvres blancs ou noirs.
La multiplication d’espaces privés ségrège la ville et réduit considérablement le libre accès et la gratuité des espaces publics. Les gated communities ne peuvent fonctionner que grâce à l’existence d’un vaste réseau du même type à accès réglementé : centres commerciaux, campus universitaires, ensemble de bureaux, aéroports, parcs d’attractions…). Elles figurent le symptôme d’une transformation radicale des sociétés humaines. Les lotissements fermés ne sont que la partie la plus voyante de la ségrégation ethnique et sociale.

La réflexion menée par Degoutin sur la maison – mégapole est particulièrement intéressante. Au XXI° siècle, encore plus qu’au XX° siécle, on trouve à la maison, en miniature, des fonctions autrefois réservées à l’espace public : home cinéma, machine expresso, livraison de plats préparés à domicile… La maison devient une ville en modèle réduit : une maison – mégapole ou micromégapole. Sortir de chez soi devient alors inutile, voir dangereux.

Stéphane Degoutin livre ici un ouvrage très documenté. Son livre est richement illustré (en couleurs) et donne à voir ce phénomène pas si nouveau que cela mais qui continue à intriguer les Européens. Il fait preuve d’un bon sens du récit et fait vivre son sujet. L’ensemble est accompagné d’une bibliographie abondante, qui mêle sans distinction des références livresques à des adresses de sites internet ou à des émissions télévisées. Au fil de la lecture, la cohésion du livre échappe parfois au lecteur : des chapitres sont perçus comme à la limite du sujet proposé. D’autres s’apparentent à une compilation de lectures (usage immodéré de la citation) et n’apportent qu’un regard bien peu critique au sujet (chapitre 12 : immigration, esclavage, ségrégation, ghettos).

Au-delà de ces remarques, c’est un ouvrage qui apporte beaucoup. Il donne à voir le phénomène et c’est sa grande qualité. De nombreuses photographies illustrent l’ensemble. Stéphane Degoutin a le souci d’être très précis dans les modes de fonctionnement de ces espaces (voir les règlements des homeowners associations). Cet ouvrage est une mine pour préparer un cours sur la ville aux Etats-Unis (en seconde, comme en terminale). Un tableau comparatif (p 334) des caractéristiques urbaines de Los Angeles, de Disneyland et des gated communities constitue un excellent document d’étude pour montrer que, dans leur mode de fonctionnement, les lotissements fermés sont semblables aux parcs d’attraction.

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