Les deux journalistes Clément Brault et Romain Houeix ont voulu en savoir plus sur ce mur entre les Etats-Unis et le Mexique et sur cette frontière si médiatisée. Ils entrainent le lecteur dans leurs pérégrinations avec l’idée de faire la part des choses sur ces 3114 kilomètres.

L’Amexique : un espace particulier

Cette frontière est très particulière car elle est la plus fréquentée au monde. S’appuyant sur les travaux d’Ed Vulliamy, les auteurs rappellent que « la région frontalière est un lieu de paradoxes : d’opportunités et de pauvreté, de promesses et de désespoir… ». L’ «Amexique » est le terme choisi pour désigner la frontière et ses alentours. C’est une région tout à la fois américaine, mexicaine, indienne, coloniale, urbaine et désertique. Clément Brault et Romain Houeix précisent que leur livre ne peut être qu’un instantané car sur un tel sujet les choses évoluent vite. Parmi les paradoxes d’un tel lieu, ils pointent d’abord le fait que plus on s’éloigne de la frontière, plus on trouve des gens favorables à la construction d’un  mur.

L’ombre du mur sur le Rio Grande

Un des premiers arrêts a lieu à Matamoris, une zone marquée par la violence. L’ambiance change du tout au tout lorsqu’on est du côté des Etats-Unis. La construction du mur peut parfois impliquer d’empiéter sur des espaces privatifs. Certains se mobilisent et parfois victorieusement pour que le mur ne se fasse pas. Il peut s’agir par exemple de préserver la biodiversité dans la vallée du Rio Grande qui est une des régions les plus riches des Etats- Unis en ce domaine. Clément Brault et Romain Houeix passent en revue quelques exemples de mobilisation mais concluent qu’ici le mur se fera car tout est prêt. 

Des villes soeurs

Comme le disent les auteurs, Laredo et Nuevo Laredo ne vivent que « par et pour le commerce ». C’est la présence de la frontière qui crée de l’activité économique. Ici  donc, l’idée d’un mur ne réjouit personne, que ce soit les travailleurs ou les entrepreneurs. On trouve à plusieurs reprises dans le livre des portraits des gens rencontrés, comme Gerardo Guerra. Ce père de deux enfants, sans papier, vit au Nouveau Mexique depuis plus de quatorze ans. Il ne voit presque pas sa famille sauf dans des moments de rencontre organisés à la frontière. Il a en effet peur de ne pas pouvoir revenir aux Etats-Unis s’il franchit la frontière. On découvre ensuite l’action de Hope Border, un organisme catholique, très critique envers l’action des présidents des Etats-Unis, qu’ils s’appellent Donald Trump ou Barack Obama. 

Des oasis dans le désert

On se dirige ensuite vers la région de Sonora qui est à la fois un des plus grands déserts d’Amérique du Nord mais aussi un des corridors les plus empruntés et les plus dangereux. Des associations oeuvrent ici pour venir en aide aux migrants. Steve Saltonsall, 74 ans, parcourt le désert et ravitaille des points d’eau dans le désert. L’Arizona concentre aujourd’hui la moitié des décès de migrants sur toute la zone frontalière. Mais un autre bénévole de l’association Humane Borders précise que même ce chiffre est bien en-dessous de la réalité. Dans l’autre camp, on suit l’Arizona Border Recon avec ses membres armés de fusils d’assaut. « Le Sonora partagé entre miliciens et humanitaires est ainsi devenu une zone de flou ». Les auteurs précisent bien que cette situation n’est pas nouvelle et ne date donc pas de l’arrivée au pouvoir de Donald Trump.

 

Are you a citizen sir ?

Les auteurs ont ensuite rencontré un  membre de la Border Patrol qui a quitté cette administration et qui raconte ce qu’était son quotidien. Il est parti car il ne pouvait plus assumer le rôle qu’on lui demandait de jouer. Il raconte notamment comment se déroule l’intégration dans une telle institution. Chaque nouvel arrivant se voit distribuer une carte d’un « partenaire silencieux », c’est-à-dire une carte qui représente un des 127 agents tués dans l’exercice de ses fonctions.  Le nouvel arrivant doit garder cette carte en permanence avec lui. On apprend que la Border Patrol est aussi une institution très genrée, avec seulement 5 % de femmes, et en même temps, c’est une femme qui est à sa tête depuis 2018. Clément Brault et Romain Houeix montrent aussi que la Border Patrol fait tout pour recruter mais cela ne porte pas véritablement ses fruits malgré un salaire de 4500 dollars par mois. On mesure également que la perception de la frontière et des Mexicains a évolué tout au long du siècle puisque, vers 1900, l’immigration mexicaine était plutôt souhaitée : tout dépend comme souvent du contexte économique et social. 

California aqui empieza la Resistencia 

Les auteurs se déplacent ensuite vers Tijuana où le mur est très présent puisqu’il se jette même dans l’Océan Pacifique. Il est aussi devenu une oeuvre d’art investie par des artistes. On découvre que deux heures par jour le week-end, le mur est ouvert pour que les familles séparées puissent se voir. Tijuana est devenu un lieu central et le récit se poursuit en montrant l’action du collectif Borders Angels. Celui-ci aide les migrants qui tentent de gagner les Etats-Unis. Le maire de Tijuana ne leur facilite pas le travail. On rencontre également Marely Ramirez,  mexicaine naturalisée américaine,  qui, comme elle le dit elle-même, n’avait jamais rien eu d’une activiste jusque-là. Mais aujourd’hui, elle multiplie les engagements dont une adhésion aux Indivisibles. C’est un mouvement qui multiplie les moyens de pression sur les politiques en fournissant par exemple un « mode d’emploi du lobbying ». Elle précise bien que beaucoup des militants qui sont avec elle n’ont pas leur carte au parti démocrate. 

L’Amexique, miroir de l’Amérique de demain ? 

Clément Brault et Romain Houeix s’interrogent enfin sur l’avenir de l’Amexique. « Symbole de division, le mur est aussi support de création artistique, …il est le marqueur d’une différence mais aussi le vecteur d’une identité propre ». Il faut également mesurer que les Etats-Unis changent puisque la population blanche devient progressivement une minorité. La population hispanique des Etats-Unis est ainsi passée de 14,8 millions de personnes en 1980 à 58 millions en 2016. Le mélange des cultures est déjà une réalité et, par exemple, le Cinco de Mayo qui commémore la victoire mexicaine sur les forces françaises est désormais davantage célébré aux Etats-Unis qu’au Mexique. 

Clément Brault et Romain Houeix permettent donc d’en savoir plus sur les réalités d’une frontière si médiatique. Longue de plus de 3 000 kilomètres, elle ne peut être uniforme et suscite des sentiments souvent contradictoires. Multipliant les rencontres et donc les points de vue, cet ouvrage constitue un point d’appui essentiel pour le thème 3 de la spécialité HGGSP consacré aux frontières. 

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes