Panzer ! Ce mot qui signifie littéralement « carapace » évoque chez tous les historiens qui s’intéressent à l’histoire de la seconde guerre mondiale les qualités de manœuvre des divisions blindées allemandes qui ont pu, au moins pendant un temps, exercer leur suprématie sur les différents champs de bataille. Des plaines de Pologne aux Ardennes, en Ukraine comme dans le désert de Libye, ces unités de cavalerie mécanisée, que l’on appelait dans les armées françaises cuirassées, ont pu jouer un rôle décisif. Au moins lors de certains affrontements.
Déjà utilisé lors de la première guerre mondiale le blindé, appelé « tank » par les Britanniques a inspiré les penseurs militaires de l’entre-deux-guerres, y compris le colonel De Gaulle, et ses homologues allemands comme Guderian et quelques autres ont pu constater que la pensée militaire française n’était pas seulement crispée sur la guerre de position.
L’armée allemande de l’armistice, réduite à 100 000 hommes et privée d’artillerie lourde et de chars d’assaut a tout de même pu s’entraîner sur les plaines russes après le traité de Rapallo en 1922. Lors de l’opération Barbarossa, force est de constater que la manœuvre d’invasion a pu se dérouler en terrain connu.
Les protagonistes de la seconde guerre mondiale ont très vite compris l’intérêt du champ de bataille qui peut porter le feu sur de longues distances, assurer la protection sous blindage des équipages, et comme on l’a vu dans les Ardennes, réaliser la percée, dès lors qu’il dispose d’une couverture aérienne. Pendant toute la période de la guerre froide l’Union soviétique, forte de ses succès enregistrés à partir de juillet 1943, lors de la bataille de Koursk, a développé ses unités blindées en partant de l’idée que la confrontation qu’elles auraient à livrer à l’Ouest opposerait des divisions mécanisées. L’effet volume, avec la supériorité numérique de l’armée rouge, permettrait à coup sûr d’assurer la victoire.
Pendant la seconde guerre mondiale, et surtout à partir de 1942, les Allemands ont fait le choix du qualitatif, plutôt que du quantitatif. Conscient que l’industrie allemande ne pouvait pas rivaliser en matière de production avec celle des alliés, l’état-major de la Wehrmacht, Hitler lui-même, ont souhaité compenser l’effet de masse par le qualitatif. Et on retrouve dans l’histoire des blindés de la Wehrmacht, dès 1941, de véritables performances d’ingénierie, comme le Tigre, largement supérieur à ce que les deux alliés pouvaient aligner.
Cette bande dessinée raconte quelque part l’histoire d’un prototype qui en réalité n’a jamais été en service, le Panzer VIII, le plus gros char de bataille jamais construit. Il détient encore ce record, à toutes époques et toutes guerres confondues. 188 t sur la balance, à condition d’en trouver une qui puisse peser un tel engin ! Le moteur est particulièrement gourmand, 1400 l/ 100 km sur route, et 3800 l en tout-terrain. Une telle machine malgré son moteur de plus de 1000 chevaux ne pouvant se déplacer qu’à 20 km/h au maximum.
La puissance de cette machine sur le champ de bataille réside dans la pièce d’artillerie qu’elle porte, un canon de 128 mm tirant des obus de 50 kg, et sur son blindage de plus de 20 cm d’épaisseur permettant de résister à la plupart des projectiles adverses. La tourelle à elle seule pèse 55 t.
Le récit de cet album du scénariste Jean-Pierre Pécau est en réalité une uchronie. Ce char n’a jamais été mis en service, et il est resté à l’état de prototype, réalisé en deux exemplaires à peu près aboutis. Pour autant on apprécie l’histoire de cette lieutenante de l’armée rouge, à la tête de son escadron blindé de T44 qui va chercher à éliminer le monstre auquel elle a dû faire face dans les plaines ukrainiennes. On notera au passage que ce modèle de blindé, beaucoup moins diffusé que le T 34 n’a pas été engagé lors de la seconde guerre mondiale. Il a été réalisé par la suite après 2800 exemplaires et retiré du service actif en 1970.
Avec son canon de 85 et son blindage de 120 mm, les T 44 ne faisaient évidemment pas le poids, face au panzer VIII, appelé avec humour MAUS, c’est-à-dire souris.
Dans le récit on retrouve un certain nombre de références au modèle stalinien, avec l’officier du NKVD qui fait comprendre à l’héroïne qu’un échec de sa part la conduirait en Sibérie, et en même temps la capacité d’adaptation de ces soldats prêts au sacrifice ultime pour défendre la Rodina, la mère patrie.
Pour venir à bout du panzer VIII la lieutenante Ivana reçoit en dotation un canon automoteur britannique, le Tortoise. Armé d’un canon de 94 mm, mais sans tourelle, et affichant sur la balance 80 t, cet engin n’a jamais véritablement connu le champ de bataille. Impossible à transporter sur un porte char, ferroviaire et encore moins routier, il a été fabriqué à six exemplaires et testé en Allemagne en 1945. Dans le récit de l’album l’utilisation de ce canon automoteur se termine par un échec.
Le panzer comme son adversaire putatif britannique sont le résultat de l’évolution de la pensée tactique du moment. Le blindage permet d’assurer la survie de la pièce d’artillerie, accessoirement de l’équipage, et donc de tenir la position en appui feu face à l’adversaire. Du côté allemand ce char super lourd avec comme vocation la destruction méthodique des escadrons de chars de l’adversaire, beaucoup moins résistants aux impacts sur les tourelles.
Au niveau graphique cet album est une réussite. Le travail de l’illustrateur et du coloriste, Senad Mavric et Jean Verney, est absolument remarquable et sur la présentation des machines, il ne manque pas un seul boulon.
On rentre même dans le détail technique avec l’apparition sur le champ de bataille des optiques de tir à visée nocturne, venues d’Angleterre également, dans le cadre de la loi du prêt bail très probablement.
Pour venir à bout du Maus, Ivana détourne de son usage un 252u, un char lourd appelé IS 6, qui en réalité n’a jamais été développé.
L’affrontement final permet de découvrir les particularités du Maus, équipé d’un système de schnorchel, comme les sous-marins diesels électriques, qui lui permet de traverser les cours d’eau en immersion, ainsi que la résistance de son blindage de plus de 200 mm qui assure sa survie. Face à ce « loup gris, son adversaire de l’armée rouge, équipé tout de même d’un blindage de plus de 140 mm, dispose de la mobilité. Mais c’est le talent de Ivana, son sens de l’initiative tactique, notamment en zone urbaine, qui lui permet de l’emporter.
L’album est complété par un cahier technique de haute tenue qui permettra aux amateurs d’avoir une synthèse très complète sur ce char, ainsi que sur les multiples problèmes qu’il a posés au moment de sa réalisation. Pratiquement la surenchère en matière de blindage rendait le transport de cet engin par rail impossible puisqu’il dépassait l’écartement maximum de 3700 mm des chemins de fer allemands de l’époque. On retrouve le même problème avec le canon automoteur britannique cité plus haut.
Cette uchronie amène à quelques considérations qui dépassent largement le simple divertissement que l’on peut trouver à la lecture de cette bande dessinée. On retrouve aujourd’hui, avec l’hypothèse des conflits de haute intensité, le débat sur l’effet volume qu’apporte sur le champ de bataille l’arme blindée cavalerie. On retrouve également le débat entre la sophistication technologique, celle que l’on pourrait espérer en France avec le char Leclerc rénové, et le nombre d’unités déployées sur le terrain. Dans le contexte de la seconde guerre mondiale les dispositifs de brouillage n’existaient évidemment pas. Ils seraient pourtant la seule garantie de survie des blindés dans un affrontement de haute intensité.
Au final ce serait toujours la même histoire qui serait répétée, celle de l’opposition entre le glaive et le bouclier, le canon avec ses projectiles toujours plus efficaces, mais également de plus en plus chers, et les blindages réactifs, eux aussi particulièrement coûteux.
Ce panzer Maus a été le résultat d’une fuite en avant d’Adolf Hitler en direction du « plus gros, plus grand, plus lourd ». En réalité cette démarche s’est révélée comme une erreur stratégique, mais aussi, malgré la prouesse technique, comme une impasse technologique.