Les amateurs de bandes dessinées basées sur des scénarii historiques seront assurément comblés par la découverte de ce premier album d’une série prévue pour trois épisodes consacré à une période plutôt mal connue de l’histoire du second empire outre-mer.
Lao Wai met en scène les aventures de deux marsouins du quatrième régiment d’infanterie de marine, (RIMA), François Montagne et Jacques Jardin. L’action se situe lors de la seconde guerre de l’opium, au moment de l’intervention franco-britannique de 1859, qui intervient après une longue série d’incidents, parfois extrêmement violents, qui opposent l’administration de l’empire du milieu, avec les empereurs mandchous, les commerçants britanniques qui souhaitent imposer la diffusion de l’opium sur l’ensemble du territoire chinois.
Les guerres de l’opium
La première guerre de l’opium avait déjà opposé la marine britannique et les jonques chinoises qui avaient été détruites, ce qui avait conduit l’empire du milieu à concéder aux britanniques la libre disposition de Hong Kong, par le traité de Nankin le 29 août 1842.
Des dealers occidentaux
Les Britanniques avaient infligé défaite sur défaite à des forces chinoises bien inférieures au niveau technique, et en menaçant la ville de Nankin, obligé l’empereur à négocier. Une escadre britannique avait pu remonter le Yangzi Jiang jusqu’à Nankin, obligeant le gouvernement de l’empereur Tao-Kouang à capituler.
L’humiliation représentée par cette défaite avait contribué au déclenchement de la révolte des Taiping entre 1850 et 1864. Cet épisode demeure encore mal connu, et rarement évoqué , en dehors des travaux de spécialistes de l’histoire de la Chine. Si les chiffres veulent encore dire quelque chose dans ce domaine, la révolte des Taiping, une guerre civile totale en fait, est considérée comme l’un des conflits les plus meurtriers de l’histoire. Les estimations chiffrées vont de 10 à 30 millions de victimes. (Plus en tout cas que la première guerre mondiale !)
C’est dans ce contexte très particulier que se situe l’action de cet album. Malgré le traité de Nankin, l’administration impériale n’avait pas renoncé à sa volonté de protéger la population chinoise de l’importation d’opium. Obtenu à partir du pavot cultivé dans l’empire des Indes, importé par les négociants britanniques qui retiraient d’immenses profits de ce commerce, l’opium représentait pour la Chine un véritable fléau sanitaire. Les fumeries d’opium connaissaient un immense succès malgré les mesures d’interdiction prises par l’administration chinoise de villes comme Canton, assez corrompue, il est vrai.
Des intérêts économiques défendus par les canonnières
À partir de 1854, les Britanniques, alliés aux États-Unis et à la France, cherchent à imposer l’ouverture au commerce de l’opium et du textile de la ville de Canton. L’arraisonnement d’un navire sous pavillon britannique en 1856 par la marine chinoise sert de prétexte à une reprise des hostilités.
L’action de l’album commence au moment où l’armée française décide d’organiser un débarquement de fusiliers marins, recrutés et entraînés à proximité de Toulon. En quête d’aventures, mais aussi pour honorer la mémoire de son parrain, missionnaire chrétien en Chine, et décapité en 1856, François Montagne, accompagné par Jacques Jardin, plus doué pour dessiner que pour le métier des armes, s’engage dans cette expédition.
La justification de cette opération militaire n’est évidemment pas le commerce de l’opium. Le second empire présente cette intervention comme une action d’évangélisation, une façon pour Napoléon III de se concilier le soutien de l’église catholique.
Une fois sur place, François Montagne découvre la réalité, la corruption d’un certain nombre de sous-officiers de la coloniale et la complicité d’une partie de l’administration chinoise.
Le scénario est solidement construit, et répond parfaitement aux canons du récit d’aventure. Le taux main se termine lorsque François Montagne poursuivi par son sergent, partie prenante du trafic d’opium, se jette dans une mer infestée de requins. Effet de suspense garanti, même si l’on se doute bien, puisqu’il y aura une suite, que les squales de la rade de Canton n’auront pas la peau du marsouin. (Le terme argotique qui désigne l’infanterie de marine).
Le graphisme est très classique, celui que l’on peut retrouver dans des albums comme ceux de Charlier Giraud, de l’époque de Blueberry, ou dans un genre plus récent, la série Durango de Yves Swolfs. Le dessinateur et Coloriste de Lao Wai, Xavier Besse, s’est livré à un travail de recherche documentaire particulièrement précis, notamment sur les uniformes et les navires. Les planches dessinées sur ce premier tome ne permettent pas de voir les détails concernant l’armement. Le revolver d’ordonnance qui équipe le sergent mériterait d’ailleurs une étude plus approfondie. Si le dispositif à barillet est apparu dans son principe, aux États-Unis en 1836 avec le modèle Colt Paterson, il n’était pas forcément rentré en dotation dans l’armée française 20 ans plus tard. Avec quelques recherches on peut retrouver mention d’un revolver Lefaucheux mis en service en 1858, et qui pouvait équiper, probablement de façon marginale, quelques personnels des troupes de marine. Toutefois, le dessin de face que l’on trouve page 42 de l’album évoque davantage le modèle Révolver MLE 1870 Calibre 11, avec son départ de canon de forme hexagonale.
Genèse du pistolet dans l’armée
Mais il s’agit là d’une remarque qui pourrait intéresser les spécialistes de l’histoire des armes à feu, mais qui ne remet pas en cause tout l’intérêt que l’on a pu trouver à découvrir cet épisode. On est d’autant plus impatient de lire la suite de cette série prometteuse.