« La France compte plus de talafis [pseudos-salafis qui rejette le djihad] que de vrais musulmans. Et tout bon musulman devrait refuser la démocratie, seule la loi d’Allah devrait s’appliquer. Moi, je ne vote plus. Mais depuis que je vis pleinement ma religion, je n’ai connu que des ennuis. J’ai été renvoyé de mon travail ; ma femme est embêtée par la police dès qu’elle sort vêtue de son niqab… Et l’an prochain, il faudrait que je mette mon fils à l’école ! Les enseignants sont les pires des kouffars ! Des ‘’laveurs de cerveaux’’ qui détournent à longueur de journée les enfants de la foi».

Tarek, musulman radicalisé à Cécile, mère de Benoît Laurent Galandon (scénariste), Dominique Mermoux (dessinateur), L’Appel, Glénat, 2016, p. 85. .

Présentation de l’éditeur
« Et si votre propre fils partait faire le Djihad en Syrie ?
Pour Cécile, mère célibataire, ce devait être un matin comme les autres. Sauf que la chambre de son fils, Benoît, est vide. Sur son ordinateur, un message vidéo dans lequel il annonce être parti faire le Djihad en Syrie auprès de ses « frères » de l’État Islamique. Il est heureux, affirme-t-il ; elle n’a pas à s’inquiéter. Il promet de l’appeler… Cécile est sous le choc, elle n’a rien vu venir. Elle a besoin de comprendre : comment son fils, qui n’était même pas croyant, a-t-il pu se radicaliser aussi vite ? Qui sont les responsables ? Et pourquoi ne s’est-elle rendue compte de rien ? Interrogeant ses amis, ses connaissances, elle part en quête du moindre indice. Mais le soir, seule, chez elle, ne reste que le silence de l’attente. Les yeux rivés sur son téléphone, elle attend son appel. Celui qui lui redonnera peut-être espoir».

Laurent Galandon Laurent Galandon, né le 16 mars 1970 à Issy-les-Moulineaux, est un scénariste de bande dessinée français. Il se déplace dans des collèges, lycées, etc. pour faire découvrir ses livres à des enfants (adolescents) et y organise des séances de dédicaces. Récompensé par plusieurs prix, ses écrits traduisent un engagement de l’auteur du côté des « petits », des opprimés.
Pour une biographie complète, consultez le site internet de l’auteur.
et Dominique Mermoux Dominique Mermoux est né en 1980, en Haute-savoie. Après un Bac en arts appliqués à Grenoble, un BTS en communication visuelle à Besançon et un diplôme en illustration aux Arts décoratifs de Strasbourg, il se lance dans la bande dessinée. Récompensé à plusieurs reprises par des prix « Jeunes talents » (Angoulême, Lausanne, Sierre), il débute sa carrière dans la presse chez Glénat pour le Mégazine Tchô! puis décide de travailler sur des albums en collaboration avec des scénaristes. D’abord chez Vents d’Ouest (Mon Blog est un cœur qui bat, avec Vincent Ravalec puis L’Invitation, avec Jim) ou dans la collection «Shampooing» chez Delcourt (Un jour il viendra frapper à ta porte, avec Julien Frey). http://dominiquemermoux.fr/bio/. nous livre ici une fiction sous la forme d’un roman graphique d’une actualité tragique, sombre, glaçante. À travers les planches de ces 128 pages de L’AppelVoir la bande-annonce littéraire de L’Appel de Laurent Galandon et Dominique Mermoux, réalisée par les élèves du collège Joseph-Lagrosillière de Sainte-Marie, en Martinique., les auteurs nous plongent dans les rouages de l’embrigadement et de la radicalisation islamiste qui conduisent Benoît un jeune adulte « ordinaire » et orphelin à effectuer le voyage vers la Syrie (le « cham ») et mener le djihad. C’est aussi l’histoire de l’incompréhension d’une mère, Cécile, qui préfère attendre l’appel de son fils plutôt que d’appeler la police et qui va tout faire pour tâcher de comprendre, pleine de doutes et tout entreprendre pour ramener son fils à la raison (et à la maison), avec une force de caractère qui suscite l’admiration !

Fin août 2014, lors d’une belle journée d’été, Cécile découvre une vidéo bouleversante. Son fils Benoît, n’est pas en Ardèche pour faire du rafting mais s’est envolé pour Istanbul en lui laissant un bref enregistrement sur clé USB qui suggère qu’il souhaite se rendre en Syrie mener le « djihad » et lui promet de l’appeler. Plutôt que de contacter la police, la première réaction de cette mère est d’aller revoir son ex-compagnon Sofiane, avec qui elle a passé six ans, pour lui en parler. Celui-ci l’enjoint d’attendre l’appel de Benoît et qu’elle arrivera à lui faire retrouver raison.

Cécile, soutenue par Nadia, son amie et collègue, est une femme courageuse qui ne s’effondre jamais durant toutes les pages de ce roman graphique. Elle garde la tête froide guettant le moindre signe de vie de son fils. Elle passe rapidement à l’action et son combat plonge la lectrice, le lecteur dans les investigations d’une mère prise d’incompréhensions. Elle décide d’entrer dans la vie privée de son fils pour saisir le pourquoi… Elle va rencontrer Maud, l’ex-petite amie de son fils, qui lui apprend les raisons de leur rupture, le changement de comportement de ce dernier après la mort d’un de ses deux grands amis, un « arabe » et petit trafiquant du nom de Bilal. Cécile va ensuite trouver la mère et la sœur de Bilal pour en apprendre peut-être davantage sur la mort de ce dernier dans des circonstances obscures. Après une discussion avec Baakari, ami d’enfance de son fils avec qui, bien que ne pouvant pratiquer, il partageait une passion commune pour la boxe, elle découvre l’élément déclencheur de la colère de Benoît… Un soir en sortant de l’entraînement, les trois amis, Baakari, Benoît et Bilal, les « B3 » pour « Black, Blanc, Beur » (p. 37) comme les appelle Sofiane, une intervention musclée contre Bilal tourne à la bavure policière et entraînera sa mort. Lors de cet échange avec Baakari, Cécile apprend aussi comment son fils est tombé dans l’islamisme. Après avoir récupéré le sac de Bilal, les deux amis découvrent que leur ami s’était radicalisé et Benoît finit par se faire contacter par un des contacts Facebook du défunt, un certain « Abou Muhajir » dont les messages de propagande finisse par l’attirer. La mort injuste de Bilal conduit Benoît à la colère et une révolte contre la société dans laquelle il a grandi. Son engagement est sans retour possible pour lui.

L’engrenage pour cet orphelin refusant l’injustice et le combat de sa mère pour le ramener à la « raison », quitte à aller le chercher directement est dépeint avec une neutralité froide, sans jugement ni morale de la part de Laurent Galandon. Il donne ainsi une réelle crédibilité à ce récit laissant penser que ce cas pourrait arriver n’importe où et n’importe quand… Les personnages sont issus de la diversité sociale et culturelle qui est le ciment de la France et cette histoire montre que la radicalisation et le terrorisme ne sont pas des données acquises par la naissance mais des constructions sociales qui se bâtissent au grès des aléas et des difficultés de la vie. La force de caractère de Cécile pour lutter contre le fléau dont est victime son fils suscite l’admiration et illustre la puissance émancipatrice de l’éducation pour pallier ces phénomènes. Les traits de Dominique Mermoux, tout en noir et blanc, contribuent à accentuer cette œuvre belle mais oppressante et terrifiante, ouvrant à une palette d’émotions visibles notamment dans les visages et expressions des protagonistes et traduisent bien la complexité des phénomènes dont les causes restent à chercher dans les nuances du gris.

En somme, il s’agit d’une œuvre que tout citoyen ou citoyenne se doit de (re)lire et de posséder dans sa bibliothèque. Elle nous concerne toutes et tous pour ne pas dans tomber dans un manichéisme réducteur sur les questions d’islamisation, de radicalisation et d’embrigadement et elle répond à des questions d’actualité brûlantes dans un contexte multiscalaire de fractures multiples (luttes sociales, contexte géopolitique de la guerre en Syrie, des migrations transnationales, inégalités économiques croissantes, perte de repères) ! Pour l’enseignant.e, elle peut servir de point de départ ou d’appui pour un travail sérieux et dépassionné sur ces questions, notamment dans le cadre de l’EMC et de la prévention des risques Voire à ce propos deux très bonnes séquences proposées par des collègues suite aux attentats de mars 2018 à Trèbes. Elle semble donc devoir trouver sa place dans tous les CDI des collèges et des lycées de France et de Navarre.

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Rémi Burlot, pour Les Clionautes