Cette BD est la fin d’une trilogie débutée en 2013 avec Les Guerres silencieuses, puis poursuivie en 2016 avec Nous n’aurons jamais 20 ans. Dans ces précédents ouvrages, Jaime Martin évoquait d’abord son père, envoyé faire son service militaire dans le désert du Sahara. Le contexte était à la fois celui de la guerre de l’Ifni entre l’Espagne et le Maroc, mais aussi celui du franquisme et des difficultés et aspirations de la jeunesse dans une société autoritaire. Dans le second opus de la trilogie, l’auteur dressait le portrait de ses grands-parents communistes voire anarchistes, dans une Espagne plongée en pleine guerre civile. Plus particulièrement centrée sur sa grand-mère Isabel, Jaime Martin parlait de la résistance au Généralissime.

Le 3e volume de ce récit autobiographique est consacré cette fois à l’auteur. La BD est découpée en 5 chapitres, auxquels s’ajoutent un prologue et un épilogue. Au point de départ, la mort de Franco, annoncée à la radio; la joie dans la famille de Jaime; l’inquiétude chez sa grand-mère: de quoi demain sera-t-il fait?

Dans une Espagne en reconstruction, influencée par les grands changements idéologiques occidentaux, mais aussi en proie aux luttes intestines, Jaime raconte son enfance, son adolescence et son entrée dans l’âge adulte. La présence de l’extrême-droite espagnole, l’omniprésence de l’Eglise et de son carcan idéologique sociétal, l’émancipation des femmes, tous ces sujets, et encore plus, sont au cœur de l’analyse que nous propose Jaime Martin. Pour Jaime, c’est l’époque des doutes aussi, des questions sur sa famille: les idées politiques, la liberté de croyance, le futur professionnel. Mais surtout la découverte du dessin et ce à quoi il permet échapper.

Dans cette adolescence, nous suivons aussi un garçon innocent qui découvre le monde et des réalités insoupçonnées, banales pour un enfant français par exemple, mais révélatrices et émancipatrices pour un enfant espagnol de cette époque : la découverte des magasines érotiques qui viennent de l’autre côté des Pyrénées, du rock, des comics books, la drogue, l’amour et la drague des filles. L’auteur pose un regard poétique sur celui qu’il était, un regard réaliste sur les difficultés sociales et politiques de l’Espagne. Nous le retrouvons brinquebalé entre les influences familiales, sociétales et amicales, voulant faire plaisir à tout le monde, découvrant tout avec une touche d’angélisme et souvent un manque de regard critique propre à cet âge.

Les chapitres 3 et 4 prennent place dans une Espagne des années 80 en crise. Cette crise est multiple. Crise de repères pour les jeunes qui sont touchés massivement par le chômage. Au grand désarroi de la famille Martin, le frère de Jaime, Jose Maria, va même jusqu’à s’engager dans l’armée. Crise sociale avec des manques de nourriture, le fort développement des trafics de drogue dure (héroïne) et de l’alcoolisme. Remises en cause personnelles devant l’absence de perspective professionnelle.

Le dernier chapitre et l’épilogue traitent de l’âge adulte. Les parents de Jaime ont déménagé. Ses amis et lui-même ont des enfants, une vie plus rangée, plus ou moins éloignée de la culture underground des décennies précédentes. Mais ils ont tous toujours des doutes, rejettent leur vie présente, souffrent de leurs vies passées. Et Jaime Martin leur annonce qu’ils seront au cœur de son prochain travail éditorial.

Jaime Martin conclue sa trilogie de la plus belle des manières. Il nous livre une œuvre dense, intimiste, réaliste qui permet de rentrer dans les têtes de chacun. Les personnages, même les plus éphémères, ont une réelle profondeur. Même sans avoir lu les 2 premiers tomes, cette BD est accessible à tous et il tout à fait possible de ne lire que ce dernier tome sans rien perdre du contexte familial et sociétal.

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Présentation de l’œuvre par l’éditeur.

Après Jamais je n’aurai 20 ans et Les Guerres silencieuses, suite et fin de la trilogie de Jaime Martin. Jaime Martin avait 9 ans le 20 novembre 1975, le jour de la mort de Franco. Alors que sa famille en liesse sabrait le champagne, dans la cuisine, les mots de sa grand-mère résonnent encore aujourd’hui : « Il y a un long chemin à parcourir et un ciel plein d’oiseaux noirs ». À travers ce récit autobiographique, l’artiste retrace sa trajectoire dans l’Espagne de l’après dictature en miroir d’une génération portée par l’enthousiasme de la démocratie et sévèrement frappée par la crise économique. Jaime s’en sort grâce au dessin, sa passion depuis l’enfance. Ado, sa carrière d’auteur de BD se décide quand il découvre le rock et Métal Hurlant. L’âge adulte vient ensuite creuser les distances avec son ancienne bande tandis que le système libéral fait des victimes chez ses vieux amis. Après Jamais je n’aurai 20 ans, sur la jeunesse de ses grands-parents engagés dans la guerre civile espagnole et Les Guerres silencieuses sur la jeunesse de son père pendant son service militaire dans l’Espagne franquiste, ce témoignage personnel vient clore le cycle de ces chroniques familiales et sociales. Fort de l’histoire des générations qui l’ont précédé, le dessinateur porte son regard lucide et plein d’humanité en invitant à croire en l’avenir et aux rêves toujours possibles.

Présentation de l’auteur par l’éditeur.

Depuis 1985, la vie professionnelle de Jaime Martin est dédiée à la BD et à l’illustration. Il commence à publier ses premiers travaux dans des magazines d’humour pour la jeunesse (Bichos, Pulgarcito) mais aussi pour adultes (Canibal, Humor a Tope). En 1987, il débute une collaboration régulière avec la revue El Vibora en réalisant des histoires plus personnelles avec un certain contenu de critique sociale. En 1990, Jaime Martin reçoit le prix Révélation Auteur du 8e Salon international de BD de Barcelone, pour Sangre de Barrio. En 1995, il reçoit le prix Historieta Diario de Avisos (Tenerife) du meilleur scénario d’histoire réaliste pourLa Memoria Oscura. En 2008, le prix Mor Vran 2008 du Salon du roman policier et de la bande dessinée de Penmarch lui a été remis pour Ce que le vent apporte (Aire Libre/ Dupuis).