A partir de recherches menées dans le Nord et en Picardie, trois archéologues livrent leurs résultats. Cet ouvrage complète d’autres livres, d’une certaine manière, qui récemment ont fait s’interroger sur le champ d’étude de l’archéologie. Centré sur la première guerre mondiale, il permet de voir une autre réalité des combats. L’accent est mis sur le concret. L’ouvrage est aussi richement illustré. Cette guerre est encore bien présente car chaque année les services de déminage relèvent 500 tonnes de munitions.
Organisé en cinq chapitres, il traite successivement du statut de l’archéologie, de la confrontation entre archéologie et vestiges ; il évoque ensuite les aspects inédits de la vie quotidienne des soldats, de la « boucherie » que fut ce conflit, puis s’interroge sur la préservation de ce patrimoine si particulier.
Dans le cadre des cours, cet ouvrage peut permettre d’apporter des éclairages nouveaux sur la première guerre mondiale, par exemple en classe de première.

Histoire, mémoire et archéologie.

Les auteurs soulignent d’abord que les endroits de la grande guerre ont souvent été profondément modifiés par les aménagements du XX ème siècle. Ainsi, ils soulignent qu’entre Cambrai et Arras ce sont pas moins de cinq lignes de défense allemandes et autant de britanniques qui sont désormais recouverts. Pour autant qui en a conscience ?
Les auteurs témoignent aussi du fait que cette archéologie a aussi des spécificités, ne serait-ce que par le rapport aux corps découverts. Ils ne nient pas les implications contemporaines notamment lorsqu’il fut décidé de retrouver le corps d’Alain Fournier, le célèbre écrivain. La mémoire est donc une facette quasi incontournable de cette exploration archéologique.
Lors de fouilles, on a retrouvé le corps d’Archibald Mac Millan que l’on a pu identifier grâce à une plaque qu’il s’était fabriqué et qu’il portait. Comme le veut la tradition britannique, il devait donc être enterré dans le cimetière militaire le plus proche. On fit alors des recherches et un homme de 90 ans vint quelque temps plus tard assister à l’inhumation d’un père qu’il n’avait presque pas connu. Ici on est vraiment sur une corde raide et les auteurs s’interrogent sur les conséquences de leurs découvertes lors des fouilles.

Ce que l’on découvre du quotidien de la guerre.

Dans cette partie du livre, c’est l’occasion d’ éclairages parfois différents sur le quotidien des soldats. Ainsi si l’on sait bien que cette guerre supposait une logistique importante, on le cerne encore mieux quand sont évoqués les dépotoirs retrouvés avec des centaines de récipients qui permettaient d’acheminer la boisson aux premières lignes. On découvre aussi les ateliers d’artisanat des soldats. On trouve des étuis de protection, des encriers, des bougeoirs et tout cela fabriqué à partir de douilles. L’iconographie se révèle ici précieuse. Enfin on peut souligner l’exemple des plaques Carslberg qui interroge à la fois sur le quotidien et sur l’archéologie et ses méthodes. Sur une chainette qu’un soldat s’était fabriqué, on a trouvé un motif de croix gammée qui a interpellé les archéologues. Ils ont alors retrouvé que ce motif était utilisé par les brasseries Carlsberg au début du XX ème ( fait confirmé par la lecture de l’autre face de l’objet) et n’avait donc rien à voir évidemment avec le parti nazi. En même temps, les auteurs se demandent : « Quelle aurait été notre interprétation de cette découverte, si le revers de ce médaillon n’avait pas encore porté le nom d’une marque de bière encore célèbre ? »
Quand on est au plus près de la matérialité des corps, on est peut-être aussi au plus près des sentiments que pouvaient éprouver les soldats. Ce que trouvent les archéologues questionne l’historien. Ainsi on peut relever des pratiques funéraires jusque-là peu prises en considération par l’historien comme les fosses communes. Ici, il s’agit de comprendre pourquoi les corps sont placés de telle façon et ce que cela peut révéler. Des particularités craniennes notées sur trois corps d’une tombe collective incitent à penser qu’on avait affaire à trois membres d’une même famille. Les fosses communes étaient sans doute signalées comme le montre la découverte d’un culot d’obus enterré verticalement à chaque extrémité, mais les profonds bouleversements liés aux bombardements de 1918 détruisirent à jamais cette marque de souvenir et de respect que les autres soldats avaient installée.

Préserver ?

Le constat final s’intéresse à la question des traces et de la préservation. Prenant appui sur le cas des tanks, les auteurs montrent que ce n’est que récemment qu’il a été décidé d’ extraire des exemplaires de cette époque. Il n’existe plus par exemple que cinq exemplaires de tanks Mark IV à travers le monde !
Des galeries sont mises au jour, recouvertes de graffitis qui forcément risquent de se dégrader : comment préserver cela ? Ce n’est pas de l’anecdote car ces carrières pouvaient héberger 24 000 soldats, c’est-à-dire l’équivalent de la population civile de la ville d’Arras juste avant la guerre !

Au total, il s’agit d’un ouvrage prenant appui sur une réalité régionale, mais le secteur géographique concerné est souvent celui que l’on cite pour parler de la Grande Guerre. Il dépasse donc une stricte vision locale. L’ouvrage cherche à être au plus près des réalités de terrain et des découvertes, mais n’oublie pas néanmoins de laisser percer, chemin faisant, les doutes et interrogations que peuvent susciter cette archéologie. C’est en tout cas révélateur d’une discipline en plein questionnement, c’est-à-dire en pleine vie.

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