Mario, un vieil homme, acariâtre mais… sympathique
« Harpo è morto ». À la réception de ce message, Mario, vieil acariâtre impénitent d’origine italienne, se met en route depuis le petit village français où il vit. Petit, rondouillard, râleur mais sympathique il entreprend un voyage à pied de plusieurs jours pour rendre hommage à son ancienne amie. Au fil de ses pas, sa personnalité et ses choix de vie apparaissent. Quant à son histoire, elle est dévoilée par une série de brefs flashbacks.
De l’usine à l’action clandestine
Jeune homme né en Calabre, il quitte sa région et entre à l’usine dans les années 1970, époque de forte conflictualité sociale et de contestation par de nombreux jeunes du travail usinier et de la société dans son ensemble. Il se lie avec un autre ouvrier, Jacopo, tenté par l’action directe illégale voire violente ainsi qu’avec une jeune femme. Ce trio de Pieds Nickelés veut se procurer de l’argent pour un comité (qui semble évoquer les organisations clandestines telles les Brigades rouges) mais peut-être aussi pour eux-mêmes. Déguisés en Marx brothers ils séquestrent un petit patron mais repérés, ils doivent fuir et se séparent. Tous les trois par des chemins différents se réfugient en France dans les années 1980. En effet, François Mitterrand a alors annoncé que s’ils renoncent à l’action violente et n’ont pas commis de crimes de sang, les activistes italiens ne seront pas extradés.
Entre passé et présent, France et Italie
La mort de celle qui avait porté le masque de Harpo dans cette équipée et le voyage de Mario le long des routes et à travers champs permettent à l’auteur de dresser un portrait de la France actuelle. Il croise ainsi des « voisins vigilants », des chasseurs peu amènes, un jardiner du dimanche sympathique, des réfugiés syriens, des jeunes qui fument un joint… Mais il revient aussi par des flash-backs sur différents moments de l’histoire de sa vie et sur ses liens avec ses amis. Avec des allusions au parcours des anciens activistes italiens réfugiés en France dans les années 1980. Ces retours en arrière successifs ne sont pas sans évoquer le magnifique film d’Ettore Scola Nous nous sommes tant aimés (1974) qui portaient sur les espoirs déçus d’une autre génération dans l’Italie d’après-guerre.
Au bout de la lutte… le désenchantement ?
Que sont les anciens militants devenus ? Telle est une des questions présente dans cette bande dessinée. Le désenchantement et le repli sur le privé semblent les voies empruntées par deux des membres de notre trio de marxistes tendance Groucho et Harpo.
Cette bande dessinée porte sur le combat perdu d’une partie de l’extrême-gauche italienne qui a choisi l’action illégale et violente. Mais elle évoque aussi la France d’aujourd’hui et ses fractures présentées par Jérôme Fourquet et d’autres. Le lecteur intéressé par les années 68 en Italie, pourra poursuivre avec l’ouvrage de science politique de Isabelle Sommier, La Violence politique et son deuil. L’après 68 en France et en Italie, les beaux récits de Erri de Luca ou le témoignage de Alessandro Stella, Années de rêves et de plomb. Sans oublier l’historien Carlo Ginzburg qui a dénoncé la façon dont certains militants ont été jugés (Le Juge et l’historien. Considérations en marge du procès Sofri).