L’ouvrage dirigé par Philippe Oulmont, directeur de recherche à l’institut Charles de Gaulle et qui est particulièrement attentif au travail que nous conduisons ici est un recueil d’articles consacrés à la carrière de cet officier à la carrière exceptionnelle. À ce titre, l’ouvrage est intéressant car il décrit très précisément une trajectoire, celle de ces hommes qui ont choisi de servir l’État mais surtout leur patrie avant même l’État. Cela les entraine parfois, au nom de ce sens de l’honneur extrême, à la désobéissance et au refus de l’inacceptable. Cela en fait parfois des soldats perdus, des assassins aussi comme ces officiers qui refusent l’inéluctable au nom d’un idéal dévoyé qu’il sont eux même contribué à rendre inaccessible. Le garde fous contre ces dérives n’est-il pas l’attachement à la République et aux idéaux de liberté et de justice dont la France a été porteuse depuis 1789 ? Pour Edgard de Larminat, présent au Levant au moment de la défaite de 1940, le choix était évident. Il est de ceux (rares) qui ont dit Non !
Fin tragique et récupération intéressée
Il est évident que cette trajectoire exceptionnelle et la fin tragique suscitent de multiples interrogations mais aussi des récupérations. Ainsi le geste désespéré peut-être diversement interprété. Il suffit de chercher sur la toile les références à cet officier pour comprendre que les nostalgiques de l’Algérie française soient tenté de mêler divers faits, comme la rue d’Isly, le massacre des harkis, l’exécution de Bastien-Thiry et de s’approprier le geste de cet officier qui écrivait peu de temps avant sa mort, le déchirement intérieur qui était le sien.
De la même façon, on peut parfaitement imaginer que des gaullistes un peu trop empressés et dénués d’esprit critique aient pu vouloir dédouaner le Général de Gaulle de toute responsabilité dans le geste désespéré d’Edgard de Larminat. Peu de temps avant sa mort, le Général de Larminat est l’objet d’une campagne de presse très dure faisant état de ses troubles neurologiques. Un diagnostic de syndrome dépressif sévère est établi. Quelques jours après sa nomination de Président de la Cour militaire de justice, Larminat est soigné au Val de Grâce.
Il est évident que le déchirement intérieur de cet homme a dû peser sur sa décision. Mais comment peut-on interpréter ce geste ? Un geste de refus de juger ses pairs ? Ceux qui comme lui en 1940 ont été amenés à dire non ? Son premier dossier à traiter était celui du lieutenant Degueldre, responsable des commandos Delta, fusillé au Fort d’Ivry.
On le voit le geste de Larminat est encore objet de polémique. Il peut être interprété comme celui du refus de l’abandon de l’Algérie française ou comme l’aboutissement d’un terrible drame intérieur. Dans sa dernière lettre pour expliquer son acte, Edgard de Larminat se défend de toute exploitation de son suicide, affirme encore sa fidélité au Général de Gaulle, s’accusant lui-même de sa faiblesse.
Mais le destin de Edgard de Larminat ne se limite pas à son geste et les travaux dirigés par Philippe Oulmont méritent mieux que la résurrection de polémiques.
Des tranchées à la Coloniale
L’ouvrage est divisé en onze articles et préfacé Étienne Burin du Roziers. Il commence par l’analyse du Professeur André Martel sur l’officier de la Troisième république. On me permettra encore une fois de rendre un respectueux hommage à celui qui fut mon maître en relations internationales et qui a su me faire découvrir l’histoire militaire tout en étant le Président de l’Université Paul Valéry entre les années 1970 et 1980.
Entre 1895 et 1935, années qui décrivent le cheminement intellectuel de cet officier, Larminat a suivi la trajectoire d’un officier sous la troisième république. Mobilisé dès la guerre de 14, avec toute sa promotion de Saint-Cyriens, il mesure, De retour du front, l’importance du sacrifice de ses compagnons. Sur les 774 admis de sa promotion, seuls 344 sont encore en vie.
C’est l’armée coloniale qui séduit ce jeune officier, et il entame cette tournée qui le conduit du Maroc à l’Afrique occidentale avant de passer par l’Indochine. A l’école supérieure de guerre, Larminat s’initie à la tactique et les réflexions du professeur Martel dans cet article permettent de nuancer les affirmations souvent fausses sur une armée encore imprégnée des principes de la guerre de 14-18. Les Généraux Estienne ou de Flavigny, sans parler du Commandant de Gaulle prônent l’offensive, la mécanisation et le mouvement des armées, mais il est vrai que dans ce domaine, la responsabilité est d’abord politique avant d’être militaire .
Edgard de Larminat est nommé au Levant en 1935 avec un grade de lieutenant colonel. Ce n’est pas un placard loin s’en faut, le Canal de Suez, dans la perspective d’une guerre en méditerranée étant un enjeu stratégique majeur.
Dans son article sur Larminat au Levant, Henri Lerner évoque son indépendance d’esprit est déjà le sentiment compréhensible d’être sous employé. Dans la médiocrité quotidienne d’une ville comme Beyrouth, ses connaissances de la politique anglaise, ou de la politique druze ne sont pas exploitées à leur juste valeur.
Un de ceux qui a dit NON
L’auteur de cet article n’est pas avare de réflexions caustiques de larminant sur ses supérieurs à commencer par le général Weygand.
C’est à Beyrouth qu’il apprend l’armistice du 22 juin 40, il n’a évidemment pas entendu l’appel du 18 juin, et le 27 juin, il diffuse une circulaire conseillant le passage en Palestine anglaise pour continuer la guerre. Il est mis aux arrêts et s’évade le 30 juin pour passer au Caire.
Philippe Oulmont traite de la brève mais très dense période pendant laquelle Larminat est haut commissaire de l’Afrique libre entre 1940 et 1941. On comprend dans cet article les cheminements intellectuels de ces officiers et hauts fonctionnaires de l’État qui entrent en dissidence. Larminat n’a pas vraiment d’états d’âme. Il s’engage sans regarder derrière lui.
Les spécialistes de la période pourront lire dans cet article la rugosité avec la quelle se déroulent les premiers échanges épistolaires entre de Gaulle et son subordonné. De Gaulle procède à des affectations sans en aviser son représentant sur place, Larminat réplique avec vigueur. De ce point de vue le subordonné n’est en rien en supporter complaisant et cette indépendance d’esprit marquera toute la vie du Général dans ses relations avec de Gaulle.
Jean-Christophe Notin dans son article sur la franchise des français libres revient sur les relations tumultueuses entre le maréchal Leclerc et le Général de Larminat. Les deux hommes au caractère bien trempé ont eu des relations difficiles mais se sont retrouvés sur cette ardente obligation que constituait la lutte jusqu’ à la victoire finale. Pourtant, comme avec de gaulle dans l’article précédent, Larminat avait toutes les raisons de reprocher à Leclerc ses décisions, prises souvent sans qu’il en ait été avisé. Le soutien de Larminat même après l’échec de Dakar ne s’est jamais démenti. Mais c’est à Koufra que les tensions sont les plus vives, Leclerc reprochant à Larminat la lenteur d’équipement de sa colonne.
Julie Le Gac traite pour sa part de l’action du Général Edgard de Larminat en Italie, tandis que Paul Gaujac traite de la bataille de Provence pendant laquelle l’officier s’est violemment opposé au Général Catroux à propos de la libération de Toulon. Cette opposition qui vaut à Larminat d’être envoyé sur le front de l’Atlantique pour liquider les dernières poches allemandes a pesé lourd par la suite lors de l’épisode de 1962.
Au caractère farouchement indépendant
Larminat n’a pas été simplement un serviteur dévoué au général de Gaulle. Claude d’Abzac-Epezy développe une intéressante contribution sur le sujet de l’armée européenne en 1952 et 1953. Le contexte est évidemment connu. Il s’agit de cette question de la Communauté européenne de défense, promue par un autre gaulliste de la première heure, René Pléven qui a lui aussi été présente en Afrique dans la période 1940-1941.
L’article fait la genèse de ce projet de CED qui a empoisonné la vie politique sous la quatrième république et qui a permis à de Gaulle de se remettre en selle après le déclin du RPF en 1951. On connait les motivations de Pléven et de Jean Monnet : éviter la reconstitution d’une armée allemande au moment où la France, engagée en Indochine ne peut aligner des effectifs supérieures à ce que les contingents allemands pourraient fournir dans cette armée européenne. Mais dans le même temps, il assume la position du gouvernement sans doute persuadé d’agir pour l’avenir. René Pléven qui l’a pourtant engagé dans cette aventure le lâche peu à peu et réduit ses relations avec lui, tandis que Larminat devient dans la presse militaire le théoricien de la CED. Cet officier s’engage dans la polémique sui oppose les centristes de l’époque, les tenant de la troisième force et des hiérarques militaires aux motivations variables. Certains veulent faire oublier leur tiédeur de 1940 tandis que d’autres sont simplement attentistes incapables de s’engager pour des idées. Larminat se révèle alors comme un caractériel et un polémiste acerbe, réglant ses compte avec ceux qui, entre 1940 et 1944 ne se sont pas engagés. On pourra dire que ces mots excessifs ont desservi sa cause mais Larminat, de caractère entier, avait du mal à maitriser sa plume . Il écrit pourtant un ouvrage important, l’armée européenne que l’on pourrait sans doute aujourd’hui relire avec profit.
Brûlé au service d’une idée
En mai 1962, quelques mois avant son suicide, le Général Edgard de Larminat publie ses chroniques irrévérencieuses chez Plon, la même maison d’édition que le Général de Gaulle. François Broche présente cet ouvrage et développe le contexte de son écriture. Larminat se livre et raconte son enfant somme toute heureuse mais on reste iun peu à la lecture de cet article un peu sur sa faim. Certes les grandes étapes de la biographie de Larminat sont évoquées mais le cheminement intérieur de cet officier exigeant avec lui-même et avec les autres avait aussi une plume dure, souvent drôle. Elle aurait peut-être mérité un meilleur traitement.
La publication se termine par un essai de patho-biographie rédigé par Alain Larcan. L’accès aux document a permis de dresser le portait le plus précis possible de cet homme quelques semaines avant sa décision. Il demeure évidemment des zones d’ombres et notamment celle de la conversation privée entre de Gaulle et Larminat quelques jours avant le 1er juillet 1962.
Témoignages, annexes documentaires, récit des derniers instants du Général enrichissent cette mise au point que l’on referme avec un sentiment partagé.
En le retournant avant de passer l’ouvrage au scanner pour en numériser la couverture avant la mise en ligne, la photographie de Une prise à Brazzaville le 26 aout 1941 interpelle. De Gaulle est au centre, Larminat sur le côté. Les uniformes ont identiques, deux étoiles de général de brigade sur la manche et même la petite moustache des deux homme a un air de famille. Ce sont deux officiers républicains aux trajectoires familiales assez proches qui se sont retrouvés ainsi. Les deux hommes animés du même sens de l’honneur et du devoir se sont rencontrés lors des grandes étapes de la lutte pour la libération nationale. Mais le second s’est sans doute usé à servir le premier. De Gaulle a-t-il usé cet homme ? En Avril 1961, le Général de Larminat dénonce les généraux du Putsch d’Alger, ses collègues à la carrière bien plus brillante que la sienne qui a marqué le pas après 1945. Sans rancœur mais par fidélité à une idée incarnée par un homme comme en 1940.
De Gaulle a sans doute, au nom de l’État qu’il entendait incarner, sacrifié cet individu complexe, fragilisé par la maladie. Plus que le suicide dont les motivations resteront secrètes, c’est la destinée exemplaire de cet officier farouchement patriote et républicain qui retiendra l’attention. Au service de l’État, dans ses chroniques irrévérencieuses, il n’aura pas de mots assez durs pour se gausser de ceux qui ont servi le Képi plutôt que la France. Il a voulu ainsi mourir en homme libre…
Bruno Modica