Michel Desvigne est l’un des plus éminents paysagistes français en activité. Dans cet ouvrage, il annonce, paradoxalement, qu’il n’a rien à montrer ! Il est pourtant le père de l’idée de natures intermédiaires (cf titre éponyme de l’ouvrage). Il entend par là la fonction que doit remplir le paysage en tant que matrice pour le travail des urbanistes et des architectes. Son travail (ses natures intermédiaires) n’est pas amené à rester durablement dans le paysage. « Ces natures intermédiaires sont des architectures, sommaires, provisoires, en gestation ». Voilà pourquoi il dit ne rien avoir à montrer.

James Corner (professeur de paysagisme à l’université de Pennsylvanie), dans le texte qui débute l’ouvrage, présente le personnage comme quelqu’un à la fois de sensible, de rationnel et de méthodique. Dans cet éloge, il explique que Michel Desvigne n’est pas un paysagiste comme les autres. Par sa formation (en sciences naturelles), il donne une place centrale aux pratiques agricoles, à la géomorphologie et à la cartographie. Il joue sur les échelles en tant que chef d’orchestre et chorégraphe du paysage. Le côté « joli » du paysage importe peu à Desvigne. Le côté inachevé l’emporte, laissant toute sa place au temps qui œuvre sur l’évolution du paysage. Michel Desvigne développe l’idée que le paysage est un instrument (récupération des eaux de pluie, amélioration de la qualité de l’air et de l’eau, gage de biodiversité…) plutôt qu’un décor.

Le cœur de l’ouvrage est constitué par la présentation minimaliste de quelques projets. A partir de la découverte de ceux-ci, on constate que Michel Desvigne rejette l’artifice. Ainsi, dans le cas du quartier de Biesbosch Stad à Rotterdam, il propose de rendre toute sa place à l’eau en brisant les digues des polders. Les hommes habiteront sur les remblais constitués par la destruction des digues. La nature reprenant ainsi ses droits.

Le projet du quartier de Lyon Confluences, par la durée nécessaire de sa mise en œuvre (liée à l’abandon des voies ferrées, à la mutation des espaces industriels, à la mise en place d’un contournement routier, soit 10 ans) a permis à Desvigne de mettre en œuvre une nature intermédiaire, en attendant la construction du nouveau quartier. Celle-ci prend la forme d’une promenade de 2,5 km, accompagnant les transformations du lieu et permettant de donner au site un statut autre que celui de friche industrielle. Dans le cas de Bordeaux, un projet semblable a été mis en œuvre sur la rive droite de la Garonne. Le projet conçu pour l’Ile Seguin reprenait ce principe.

La problématique de l’étalement urbain intéresse aussi Michel Desvigne. Il déplore l’absence de liens entre les lotissements et le parcellaire agricole et l’explique par le fait que l’espace public n’existe pas. Il rejette l’idée de « ceinture verte » proposée par des nombreux urbanistes. Il préfère l’idée de la création de chemins de promenade permettant de circuler entre les parcelles ou de reconquérir les fonds de vallée abandonnés en raison de leur statut de terrains inondables. Ces chemins doivent s’accompagner de quelques espaces plus vastes, plantés de vergers, de peupliers. Cela n’a rien d’extraordinaire comme idée mais ces chemins permettent de maîtriser l’écoulement des eaux (par la création des fossés le long des chemins).

Michel Desvigne, même s’il travaille avec les « vedettes de l’architecture » propose des solutions toutes simples (association de graminées et de pelouses tondues ou tout simplement une pelouse dans le cas du tramway des Maréchaux), pleines de bon sens, visant à redonner aux populations le contact avec la terre, d’en faire leur territoire. Il mise aussi sur l’activité agricole maraîchère pour entretenir des espaces de verdure dans la ville.

L’autre défi auquel doit répondre le paysagiste est celui du temps de croissance des arbres différent de celui de l’aménagement d’un quartier. Pour y pallier, il a recours à la mise en œuvre de paysages ruraux pour « meubler » sans engager de nombreux moyens. Le végétal est un milieu à part entière qu’il faut savoir exploiter. Il ne rejette pas le recours à des végétaux exotiques. Reprenant les arguments de Gilles Clément dans L’Eloge des Vagabondes, il montre que les plantes présentes aujourd’hui dans notre milieu « naturel » n’ont pas grand-chose à voir avec ce qu’elles étaient au XVIIème siècle.

Même si, Michel Desvigne a réussi à présenter suffisamment de projets pour remplir 200 pages, il met en garde contre la force du modèle ou les recettes toute faites. Chaque espace est différent et demande des solutions adaptées.

Au final, cet ouvrage permet de découvrir et de comprendre la démarche d’un paysagiste qui œuvre aujourd’hui dans nos villes. On regrettera que les projets présentés ne soient pas datés. A la toute fin du livre, le lecteur finira par apprendre que l’agence de Michel Desvigne a 40 projets en construction ou en cours d’achèvement dans une vingtaine de pays. Les documents mis à disposition ne sont pas d’une grande qualité graphique. Comme le dit l’auteur : « Cette matière que nous mettons en œuvre n’est pas photogénique ». La lecture de TERritoires tend pourtant à prouver le contraire. Michel Desvigne refuse de lire le paysage comme un objet. L’organisation des parties de l’ouvrage demeure mystérieuse. Le texte de Gilles A. Tiberghien, philosophe, professeur à Paris I Sorbonne, spécialiste du Land Art, qui fait office de conclusion, n’apparaît pas en fin d’ouvrage mais à l’entrée de la dernière partie. On retiendra, toutefois, qu’il qualifie Michel Desvigne de paysagiste au sens premier du terme, c’est-à-dire de « peintre du paysage » puisqu’il estime qu’il dessine le paysage par les lignes qu’il y créé. La fin du livre est un fourre-tout de documents mal reliés avec les parties précédentes (photographies aériennes, maquettes, kaléidoscope). Comme si finalement, ce livre, comme le concept central qu’il expose, n’était qu’un état transitoire amené à évoluer au fil du temps !

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