Christian Chavagneux, économiste et éditorialiste à « Alternatives économiques », cherche dans ce livre à comprendre les crises financières. Il s’agit de la réédition d’un livre précédemment publié en 2011 et enrichie ici d’une postface inédite de l’auteur.
L’auteur souligne d’abord qu’avec le réchauffement climatique et la montée des inégalités, l’instabilité financière représente l’un des trois grands maux du capitalisme contemporain. Pour comprendre un tel phénomène le recours à l’histoire est nécessaire mais Christian Chavagneux propose de diversifier ses sources en convoquant, lorsque c’est nécessaire, les romanciers et les cinéastes. Au-delà des époques, le but est de repérer un schéma commun des crises. Pour cela l’auteur construit donc son livre en trois étapes : une approche historique avec une présentation et explication de plusieurs crises puis une partie sur la définition de ce qu’est une crise financière avant d’aborder, dans un troisième temps, la question de la régulation.
Une approche par l’histoire
Ce premier temps est organisé autour de quatre chapitres et autant de crises. Le propos est donc de raconter la crise mais aussi de l’analyser car l’ensemble des idées collectées servira dans la deuxième partie théorique. L’auteur commence par la spéculation sur les tulipes souvent vue comme le premier exemple d’une crise en Hollande au XVIIe siècle. L’auteur souligne d’abord les difficultés de sources sur cet épisode mais il pointe aussi le fait que l’on s’appuie parfois encore trop sur des travaux d’analyse anciens et pas forcément justes ! Il faut, par exemple, relativiser l’ampleur de cette crise qui n’a eu que des effets limités sur le Siècle d’Or en Hollande. La tulipomania est le fait d’un réseau restreint de grosses fortunes urbaines et de façon globale de quelques milieux riches. L’auteur compare ce marché à celui de l’art puis il montre que c’est l’introduction d’un certain nombre de nouveautés qui le déstabilise. Parmi celles-ci on peut relever la création de nouveaux intermédiaires entre les horticulteurs et les clients. Christian Chavagneux détaille ensuite les mécanismes de spéculation autour des tulipes. En tout cas, on peut parler de krach puisque les prix ont dégringolé de 95 % ! Au-delà des chiffres, ce qui est intéressant, c’est d’essayer de comprendre pourquoi cet épisode a tant marqué. On peut déjà retenir qu’il a eu lieu dans une société qui tirait sa fortune du commerce où les liens de confiance étaient essentiels. De plus, la société hollandaise a été « choquée par le fait que certains de ses membres avaient voulu sauter les étapes de l’ascension sociale. » L’auteur développe ensuite d’autres exemples comme celui de John Law. On dispose ici de nombreuses sources pour étudier cet « aventurier des finances ». Le problème à régler à l’époque est comment gérer des déficits budgétaires récurrents qui ont entraîné une progression de la dette ? Law a dû s’y reprendre à plusieurs reprises pour arriver à s’imposer comme un recours. Rappelons qu’une de ses idées, révolutionnaire à l’époque, fut de créer de la monnaie de papier. Ce fut en tout cas un système complexe et dans une reconstitution historique un des personnages dit d’ailleurs : « Personne n’a jamais rien compris à votre système. Aussi bien ceux qui vous doivent leur fortune que ceux qui vous reprochent leur ruine. » Au final, Christian Chavagneux dit que « des innovations à répétition ont développé un monstre incontrôlable qui a nourri une bulle boursière alimentée par un excès de crédit. » Le troisième éclairage historique est consacré à une crise peut-être moins connue à savoir la panique de 1907. On s’aperçoit à cette occasion qu’un certain nombre de pratiques dénoncées lors de la crise de 2008 existaient déjà à l’époque !
1929 : la crise qui a changé la face de la finance
Dans cette approche historique, Christian Chavagneux s’arrête plus longuement sur la crise de 1929. Plutôt que de revenir en détails sur ce moment très étudié, il souhaite plutôt « tirer le fil des précédents chapitres » pour déterminer les mécanismes de dérapage de la finance. Ce qui fait la particularité de cette crise c’est surtout le traitement politique des dérapages constatés. Il faut d’abord établir un tableau de la situation de la fin des années 20 aux Etats-Unis pour constater que les 10 % les plus riches concentraient environ la moitié des revenus et même que les 1 % les plus riches avaient à eux seuls un quart des revenus ! Il existait alors un lien très fort entre pouvoir politique et financier. Avant d’arriver à la crise de 1929 il faut donc prendre conscience que d’autres scandales financiers ont émaillé les années 20. On retiendra la fraude de Carlo Ponzi, « l’inventeur » en quelque sorte du système pyramidal qui sera repris bien plus tard par Bernard Madoff. Il faut aussi reconsidérer certaines images sur la crise de 1929 car, comme l’explique l’auteur, seulement 1,2 % des Américains jouaient en bourse, ce qui n’empêcha pas évidemment que les conséquences furent plus larges que ce simple cercle. Comme dans les autres crises analysées, ce furent des innovations financières qui posèrent problème. L’auteur explique ensuite le rôle joué par Roosevelt. Celui-ci a réussi à mettre en place des mesures pour réguler le capitalisme. On suit facilement la mise en place de cette idée mais surtout on mesure combien elle a été utile tant qu’elle a duré, c’est-à-dire jusqu’à la dérégulation des années 80. D’ailleurs Christian Chavagneux propose de tirer trois leçons de cette expérience : la régulation financière est un dossier politique, pas technique, les solutions ne se trouvent pas en une fois et la définition d’une régulation financière post-crise s’inscrit dans un triangle dont les trois sommets sont la rentabilité des établissements, la stabilité financière et la fourniture de crédits bon marché à l’économie. Retenons également qu’il n’est pas possible de tenir les trois critères en même temps.
Qu’est-ce qu’une crise financière ?
Il s’agit à présent d’une « tentative de mettre un peu d’ordre dans ces dimensions multiples ». On peut noter la clarté de l’exposé présenté qui souligne d’abord qu’au départ il y a « une simple perte d’équilibre ». Poursuivant sur l’image du triangle, on peut constater qu’à chaque épisode de crise au moins deux des côtés du triangle de Roosevelt ont été rompus. Il y a eu à chaque fois, et l’auteur l’a bien montré, des innovations financières non contrôlées. Elles sont imaginées pour fonctionner lorsque le temps est calme mais elles se révèlent désastreuses dès que la tempête arrive. On peut relever également le rôle des bulles de crédits qui vont multiplier les prises de risque. La gouvernance est également souvent fautive, raisonnant avec des indicateurs souvent défaillants. Les modèles statistiques ne peuvent pas tout prévoir, surtout pour des innovations financières pour lesquelles il manque de données statistiques longues. On peut poursuivre l’analyse avec ce que Christian Chavagneux appelle les effets secondaires de la course aux profits, et c’est dans ce cadre que se situe une affaire comme celle de Bernard Madoff. Les inégalités sont également un carburant de la crise. Il ne faudrait pas oublier certaines dimensions plus psychologiques comme l’aveuglement au désastre souligné par André Orléan dont les travaux sont repris ici par l’auteur. On a toujours tendance par exemple à considérer que « cette fois c’est différent ». Christian Chavagneux détaille ensuite les différentes réactions internationales entre 2008 et 2012.
Le temps de la régulation
Fort logiquement, cette dernière partie revient sur la question de la régulation, tant cette idée a été sous-jacente tout au long de l’ouvrage. C’est la partie du livre la plus technique mais elle reste tout à fait abordable. L’auteur revient sur la titrisation, une des causes de la crise de 2008. Rappelons qu’il s’agit là de la transformation d’un crédit en actif financier négociable. On peut dire qu’il est positif que ce type de pratique soit désormais très encadrée mais on relèvera en parallèle qu’elle s’est effondrée depuis et ce genre d’instruments très surveillés a « désormais peu de chance de servir de voie de passage pour la prochaine bulle ». Parmi les pistes tracées, il y a celle qui consiste à rendre la spéculation plus chère. Il faut également réguler les banques, imposer par exemple que « leur capital représente au moins 20 à 30 % du total de leurs actifs ». Il faut aussi s’intéresser aux fonds spéculatifs qui, s’ils n’ont pas été à l’origine de la crise de 2008, en ont en revanche considérablement amplifié l’écho. L’auteur se demande également si la gouvernance des banques n’est pas le trou noir de la régulation.
Dans la postface Christian Chavagneux se demande « à quand la prochaine crise financière ? ». A la mi-2019, la dette mondiale avoisinait 250 000 milliards de dollars soit 70 000 milliards de dollars de plus que dix ans auparavant ! L’auteur identifie ensuite plusieurs risques qui pèsent encore aujourd’hui et demain comme l’endettement des entreprises et il s’interroge aussi sur le boom de la finance numérique.
Il s’agit donc d’un ouvrage très complet qui, prenant appui sur l’histoire, dégage des éléments d’analyse très clairs et qui donnent à réfléchir. Il pose clairement les enjeux du débat et le nourrit de multiples éclairages.
© Jean-Pierre Cositlle pour le sClionautes.