Il ne faut pas juger un livre à sa couverture : celle de celui-ci pourrait laisser penser que nous avons ici affaire à un ouvrage de développement personnel, et l’allusion à Sun Tzu en sous-titre fait trop marketing.

Tout n’est pas la faute de l’éditeur : dans son prologue, l’auteur présente effectivement son livre comme une réponse à Sun Tzu – pourquoi pas Clausewitz pensé-je, à mon sens plus pertinent pour ce qui est de penser la guerre « comme fait humain et comme principe d’action humaine » ; il faudrait probablement que je relise Sun Tzu mais dans mon esprit, il s’agit plus de principes stratégiques et de préceptes énoncés sous forme d’aphorismes.

L’idée de l’auteur est donc de « tenter de saisir la paix de la même manière et avec la même hauteur [que Sun Tzu], comprendre cette construction historique tourmentée qui fut la sienne pour définir enfin les bonnes pratiques permettant de l’accomplir ». A cette fin, Bertrand Badie mêle histoire, philosophie et géopolitique, pour éclairer la notion de paix, sa conception occidentale, les raisons de sa fragilité ou encore les moyens de sa construction. L’éditeur présente l’ouvrage en ces termes : « Tandis que la guerre refait irruption en Europe et au Proche-Orient, si l’on étudiait comment faire la paix au XXIe siècle ? » Une problématique qui ne manquera pas de susciter l’intérêt des collègues de spécialité HGGSP qui doivent précisément la traiter en classe de terminale.

S’appuyant sur quantité d’exemples historiques ou contemporains et une bibliographie d’une douzaine de pages, Bertrand Badie démontre au préalable « pourquoi la paix est un art autant que la guerre » en faisant de la sémantique comparée, et convoquant les penseurs de l’Antiquité qui, d’Héraclite à Homère, voyaient dans la guerre « le père de toutes choses » et Emmanuel Kant. Après ce prologue, l’auteur déroule neuf chapitres qui marquent chacun non seulement une vertu, mais une étape vers une paix globale et durable :

– Le premier s’efforce de remettre à l’endroit une conception nouvelle de la paix.

– Le deuxième appelle à s’humaniser en se rapprochant des besoins humains fondamentaux, « plaçant le social avant la force ».

– Le troisième souligne sa dimension de plus en plus subjective, intégrant l’apport de chaque humain « en termes de pensée, de ressenti et de sens donné à ce qui l’environne ».

– Le quatrième définit l’approche comme systémique, en lui opposant les défis présentés comme intimement liés alors que le présent ne souffre plus « la  sectorisation de la pensée qui accrédite l’idée – insupportable aujourd’hui –qu’il y a un champ stratégique ou géopolitique ».

– Le cinquième la décrit comme « globale » afin d’intégrer tous les intérêts à défendre.

– Le sixième analyse les institutions adaptées dont elle a besoin qui sont autant de « normes en prise avec la mondialisation ».

– Le septième l’appelle à conduire à la réinvention d’une « diplomatie pragmatique et fluide éloignée des connivences du Congrès de Vienne ».

– Le huitième renvoie à l’idée d’hospitalité chère à Kant, « écho indispensable à ce mouvement et à cette motilité  qui font la modernité ».

– Enfin le neuvième propose de reconstruire une « paix éduquée » en fonction d’un apprentissage nouveau et lucide.

Tout au long de l’ouvrage, l’auteur, en pédagogue accompli, navigue entre théorie et réalité à travers toute l’histoire, de l’Antiquité aux belligérances actuelles. Il faut dire que l’invasion russe de l’Ukraine, la guerre tous azimuts d’Israël contre ses voisins, la spirale de conflits africains et la concrétisation de la menace du réchauffement climatique nous appellent d’urgence à rénover la pensée des relations internationales. L’approche théorique entretient des rapports étroits avec les terrains actuels étudiés lors des innombrables voyages de l’auteur, notamment dans les pays du Sud global : interviews d’acteurs, questions d’étudiants et expériences vécues de Bertrand Badie.