Ecrit sous la direction du moderniste Etienne Faisant et du médiéviste Dany Sandron dans le cadre du laboratoire d’excellence Ecrire une nouvelle histoire de l’Europe, ce livre vient à point nommé rafraîchir de façon limpide un pan de l’histoire assez peu mis en lumière dans l’enseignement secondaire, celui des arts.
Présenter de manière critique une série de grands mouvements qui articulent l’histoire de l’art du moyen Âge à nos jours n’a rien d’aisé. Surtout lorsqu’il s’agit, comme dans cet ouvrage, d’aborder ces dynamiques esthétiques dans une perspective élargie à l’Europe. Ambitieux donc, mais l’objectif est atteint.
Place aux circulations
L’ensemble est adossé au concept central de mouvement, complexe parce-qu’instable, large également. Il fait la part belle aux circulations des hommes, de leurs œuvres et des idées. En sept chapitres chronologiques (de l’antique aux avant-gardes), les dix auteurs mobilisés partent à la rencontre des grandes heures et des malheurs de l’antique, du roman, du gothique, du classicisme, de la révolution romantique, des styles nationaux enfin des avant-gardes.
L’analyse de la matrice antique, creuset sans cesse revisité par tous les mouvements postérieurs, vient entre autre nous rappeler tous ses proches et lointains descendants, comme le chapiteau corinthien qui devient historié aux XIe-XIIIe siècles, ou encore la récupération, toujours au cours de la période romane, du plan basilical, hérité des constructions publiques romaines.
Finalement, l’ouvrage s’efforce de mettre en avant un obstacle épistémologique propre à toute histoire raisonnée. En effet, aussi vastes soient-ils, les mouvements esthétiques européens décrits présentent la difficulté de discerner ce qui ressort de la constante de ce qui est spécifique (périodes, territoires, secteurs créatifs). Rupture, continuité, cqfd.
Des écoles pas si nationales
L’historiographie est bien sûr convoquée et scrutée pour nous montrer les excès liés à tel ou tel courant artistique. L’étude de l’importance exagérée conférée aux cadres nationaux aux XIXe et XXe siècles est une illustration particulièrement éloquente de cette exaltation. Affleure ici la question des écoles – “flamande”, “française” – que questionnent les auteurs qui perçoivent, tant dans la production contemporaine de ces deux siècles que dans un revival, celui de l’exploitation des primitifs flamands par exemple, des impasses. L’exemple de la mythification du passé national médiéval, ou la quête de génie primordiaux, promus par les romantiques notamment, ajoute à ce processus. Le cadre d’analyse pertinent se confond plutôt avec celui de l’espace européen.
De la rupture ?
Considérés à cette échelle d’analyse, les courants artistiques témoignent d’une construction européenne, lente et laborieuse, fil d’Arianne d’une histoire millénaire.
L’ouvrage est illustré de documents variés et bienvenus, le plus souvent en couleurs. On y croise aussi bien des œuvres patrimoniales communes (La liberté guidant le peuple, Delacroix, p 130) que des ovnis, telle ce chapiteau roman de Toscane (p 61) ou cette façade de l’hôtel de ville de Vienne l’autrichienne (p 166).
En somme, ce bain artistique procure beaucoup de bien. Les chapitres-articles sont écrits avec un souci de clarté méthodique (esthétique, chronologie, géographie, historiographie) qui réconciliera certains lecteurs rétifs à l’histoire de l’art. L’ouvrage constitue aussi une réflexion vivifiante sur la place et la fonction des représentations au cœur de notre société européenne, soulignant nombre de continuités, à la fois spatiales, esthétiques et temporelles.
La présentation de l’ouvrage par l’éditeur :