Située entre deux mondes milliardaires, l’indien et le chinois, l’Asie du Sud-Est est un espace plus faiblement peuplé, avec seulement (!), 520 millions d’habitants.
Cet espace est celui où a eu lieu également le passage de pays pauvres au statut envié de pays développés. Que l’on pense à la Corée du Sud des années cinquante, ravagée par une guerre de trois ans, à Taïwan, refuge d’une armée en déroute pour mesurer l’ampleur du chemin parcouru.
Cet espace sud-est asiatique est aussi liquide, archipélagique et péninsulaire, même si ses grands États, comme le Vietnam, la Thaïlande ou la Birmanie ont été de grandes puissances territoriales et aspirent à devenir aussi des puissances régionales.
La géographie de l’Asie du Sud est a été, bilan positif de l’héritage colonial français oblige, largement défrichée. Surtout du point de vue des paysages et des espaces aménagés. Le propos de Michel Bruneau est différent et original, s’inspirant sans doute de l’approche géopolitique. Au-delà de ces paysages aménagés depuis des millénaires, de leur structuration à partir des littoraux et des berges des grands fleuves, on retrouve aussi des constructions politiques particulières, organisées par la volonté politique de Princes et de Rois. C’est sans doute là aussi l’originalité relevée par l’auteur, une construction inscrite dans la longue durée.Cette longue histoire que l’on rattache à Braudel et à son concept de temps géographique est également celle de ces États héritiers de grands royaumes dont certains étaient largement conquérants.
L’Asie du Sud est située à l’intersection de deux modèles, celui de l’Inde, avec sa myriade d’États et de principautés que l’on retrouve en partie dans le modèle fédéral de l’Union indienne d’aujourd’hui et celui de la Chine, centralisateur par un hégémonisme démographique qui s’est toujours maintenu. Les États d’Asie du Sud est ont toujours su, pour préserver leur identité entre les deux mastodontes, s’adapter et réaliser des unités qui ont pu perdurer au-delà de séparatismes ethniques dont certains, notamment à bases religieuses, traduisent aussi une certaine inadaptation aux périodes actuelles.
La colonisation britannique en Inde s’est adaptée à ce substrat de chefferies traditionnelles et a défini des limites impériales en fixant des sortes de protectorats ou des zones sous contrôle. De ce fait, et surtout actuellement, ces frontières, ou ces marches entre Inde et Asie du Sud est, comme l’Assam sont dans une situation ambivalente. Limite ou zone de contact dans lesquelles un fort particularisme indigène s’oppose à une conquête par submersion démographique des bengalis proches et affamés de terres à cultiver.
Michel Bruneau explique également comment les constructions politiques proches de l’Inde se sont adaptées et ont reçu le vernis hindou qui est en partie à la base de la culture locale la Birmanie à la Thaïlande. Mais le socle a quand même été celui du bouddhisme qui a su trouver dans ces sociétés les moyens de son enracinement.
C’est cet enracinement que l’on retrouve dans les sociétés thaïlandaises et birmanes avec l’omniprésence des temples qui contribuent également à l’organisation de l’espace dans certains quartiers de Bangkok ou de Rangoon.

C’est dans la partie sur l’organisation de l’espace que Michel Bruneau apporte un renouvellement par rapport à Jean Delvert son prédécesseur. Certes certaines problématiques sont connues comme la difficulté actuelle des centres à intégrer les périphéries, mais pour le reste l’approche et largement novatrice. On notera d’ailleurs que l’auteur évoque des espaces évolutifs, comme la formation du territoire de la Thaïlande qualifié de « territoire à géométrie variable », avec comme conséquence actuelle l’omniprésence économique et démographique du Nord et ce développement inégal du centre à la périphérie. Au passage, on note que des politiques volontaristes de développement ont été mises en œuvre par les différents gouvernements et que le pays a également réalisé un réseau routier de qualité. L’écart s’est creusé en la matière avec la Birmanie proche mais il est vrai, et les thaïs ont toutes les raisons de le rappeler, que la colonisation directe ne s’est jamais imposée sur le pays. Citons d’ailleurs Bruneau lui-même qui rappelle que « la colonisation a eu a long terme un effet négatif sur les territoires nationaux en Asie du Sud est continentale. » p. 159.

A ces modèles centraux, on oppose dans le chapitre 7 les modèles axiaux de la méditerranée asiatique qui concernent les territoires de la Malaysie, de l’Indonésie, de Singapour et de Brunei. On trouvera page 173 et 174 deux cartes remarquables des espaces transfrontaliers « liquides », c’est-à-dire basés sur les flux de la circulation maritime à travers le détroit de Malacca.
L’ensemble des logiques de formation des territoire est ainsi évoqué pour toute l’Asie, et Michel Bruneau rappelle également le modèle japonais, ainsi que des logiques différentes, fragmentation pour les philippines, cohésion pour l’Indonésie même si l’actualité récente a pu permettre de discuter, ce que fait l’auteur, de la pertinence de cette approche.

L’ouvrage s’achève sur une belle présentation des systèmes urbains nationaux et des processus de métropolisation en cours avant d’évoquer également la piraterie comme menace ou encore l’ASEAN comme facteur d’intégration.

Cet ouvrage mérite à mon sens largement l’intérêt du professeur du secondaire confronté à la question de l’Asie orientale en terminale. Il y trouvera matière à exemples précis, sortant des éternels modèles des manuels qui se reprennent mutuellement. L’appareil cartographique est également très utile et peut donner matière à réflexion.
Pour ce qui me concerne, cet ouvrage a servi l’élaboration du cours de « géopolitique du temps présent » délivré à l’IEP de Lille dans le cadre de la section préparatoire de l’ENA. En effet, cette réflexion sur les logiques territoriales des États illustre bien les formes de rapports de forces, de coopération mais aussi de conflictualité de cette Asie d’entre Inde et Chine que l’auteur ne limite pas à l’Asie du Sud est, puisqu’il y intègre le Japon, ce qui est un choix sans doute pertinent.

Bruno Modica

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