Bruno Tertrais est directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique. Il est spécialisé dans les questions de géopolitique et de stratégie. Il a obtenu le prix Vauban pour l’ensemble de son oeuvre (2010), et le prix Brienne du livre géopolitique de l’année (2016).

Delphine Papin est docteur de l’Institut français de géopolitique, et enseigne à l’IEP de Paris. Elle dirige le service infographie-cartographie du journal Le Monde.

L’Atlas des frontières

Dans le sillage de l’Atlas Global dirigé par Gilles Fumey et Christian Grataloup, les Arènes proposent un ouvrage reprenant le même format à propos des frontières.

A la suite d’une vingtaine de citations se rapportant au sujet allant de Régis Debray à Henri Dorion en passant par Donald Trump, Jean-Paul II et Vladimir Poutine, une frontière est définie comme étant « une limite géographique (ligne ou espace) dont le tracé reflète les relations entre deux groupes humains ». Les frontières sont désormais des « espaces et non des lignes ». L’expression de « frontière naturelle » est particulièrement critiquée dès l’introduction. « Lorsqu’une chaîne de montagnes sépare deux pays, la frontière naturelle est-elle la ligne de crête, ou celle du partage des eaux ? » Au XIXème siècle, le vice-roi des Indes Lord Curzon of Kedleston (1898-1905) et secrétaire britannique aux Affaires étrangères indiquait « qu’aucune frontière n’est plus naturelle ». En partant de ces apports épistémologiques, Delphine Papin et Bruno Tertrais s’appliquent à partir de l’échelle internationale pour les commentaires et à éclairer les études de cas par des cartes réalisées par Xemartin Laborde (Revue Carto, Le Monde).

S’inscrivant à la fois dans une véritable géohistoire des frontières (par l’étude du limes romain, de la muraille de Chine) et des événements les plus récents (les tensions en Mer de Chine méridionale, la guerre en Syrie-Irak), le livre se révèle être un précieux recueil d’études de cas et de cartes pour l’enseignement. Les accords de Sykes-Picot sont expliqués de manière très accessible (p. 24-25). Les limites culturelles sont précisément analysées à travers la confrontation du « limes contemporain » de Jean-Christophe Rufin avec les « civilisations » de Samuel Huntington (p. 40-41). La pertinence du terme de mur pour désigner des frontières difficiles à franchir est discutée tout en rappelant que la construction de murs est généralisée (Asie du Sud avec l’Inde/Bangladesh, Asie Centrale avec l’Ouzbékistan/Turkménistan, Afrique australe avec le Botswana/Zimbabwe). Les enjeux sont notamment politiques mais également sanitaires (épidémie) et économiques (entreprises du BTP, de surveillance, des infrastructures de défense et de repérage).

Une projection audacieuse présente la DMZ intercoréenne à partir d’une vue vers l’Est depuis Pékin. L’échelle « infrafrontalière » n’est pas oubliée à l’aide d’exemples à propos de Jérusalem et de Chypre. Un hôtel est notamment à la fois suisse et français en profitant d’un flou juridique. Une anecdote à propos de la localisation d’un bâtiment : c’est la porte d’entrée qui est le point de repère permettant son insertion dans un État. Alternant entre des infographies (présentant la taille des « murs » allant de 3 à 9 mètres pour l’époque contemporaine) et des schémas (pour les frontières originales comme l’enclave espagnole de Llivia ou les iles de Chizumulu et de Likoma à la frontière mozambico-malawite), la diversité des représentations graphiques est l’un des points forts de l’ouvrage.

Portée par une écriture simple et accessible, les Arènes publient un ouvrage qui fera date dans l’épistémologie de la notion.

Pour aller plus loin :

Antoine BARONNET @ Clionautes