Cet ouvrage trouvé chez un bouquiniste québécois est le fruit des recherches minutieuses d’un couple de professeurs d’histoire lorrains engagés dans la défense du patrimoine du bassin des sources de la Saône, un travail très honnête dans l’interprétation des faits, des sources lacunaires.
A travers l’histoire d’un Lorrain, Nicolas Jacquin Philibert, ils font découvrir un pan de la vie en Nouvelle France dans la première moitié de XVIIIe siècle.
Quatre chapitres permettent de rapporter les éléments de l’enquête minutieuse menée par les auteurs. L’érudition des auteurs, les recherches dans les archives notamment notariales permet un essai réussi de microhistoire.
Le premier chapitre sur le village natal du personnage, né au pied des Vosges retrace la situation de la famille et plus généralement des habitants, droits et devoirs, hiérarchie sociale, liens de dépendance. C’est dans ce contexte que la famille Jacquin, sans doute originaire de la Franche-Comté voisine et soumise aux guerres, s’installe à Martigny les Bains dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Le père est boulanger-forgeron, une famille à la recherche d’une ascension sociale comme le montre la vie des frères de Nicolas dans la carrière ecclésiastique.
C’est ensuite la relation des conditions de départ vers le Canada et des appuis potentiels dont il a pu bénéficier.
L’arrivée à Québec et les débuts dans la colonie constituent le second chapitre. Si comme les auteurs le déplore, on ignore la date et les conditions exactes de son arrivée sans doute en 1729, leur enquête conduit à relater le voyage de son employeur le coadjuteur puis évêque de Québec Hermann Dosquet. Les auteurs utilisent avec bonheur les textes relatant sa traversée qui fut peut-être celle de Nicolas et rendent la lecture de l’ouvrage très vivante.
On découvre la ville de Québec où le personnage est serviteur de Dosquet sous le nom de Nicolas Philibert. Nom qu’il utilise aussi pour signer son premier contrat commercial le 17 mars 1731, contrat sur des blés, denrée bien connue de ce fils de boulanger et premier acte de son aventure marchande. Les auteurs rapportent son mariage, en 1733, l’acquisition d’une maison dans la ville haute, rue de Buade, qu’il transforme avec entrepôts et boulangerie. Ce logis atteste d’une certaine aisance et de son ascension sociale.
Le bourgeois Philibert, décrit au chapitre trois, fait commerce de blé, fournit les nombreuses institutions ecclésiastiques qu’il connaît depuis son premier emploi. IL leur fournit bien d’autres denrées (vins de Bordeaux, huile d’olive, chandelle, tabac, sucre) qui montrent un commerce tant local que vers la métropole et les Antilles. Les auteurs montrent les difficultés économiques de la colonie : le manque de numéraire, les rigueurs de l’hiver et les menaces de la guerre contre les Anglais après 1744. La description des affaires de Philibert mettent en évidence un commerce triangulaire : départ en octobre de Québec vers les Antilles puis en décembre départ vers La Rochelle ou Bordeaux où l’on arrive en avril pour repartir vers Québec en juillet, avec des montages financiers complexes. Nicolas Philibert se lance aussi dans la construction des bateaux1 nécessaires à son commerce comme le montrent des contrats notariés comme les archives judiciaires.
Dans le même temps Nicolas a toujours gardé des contacts avec sa famille et ses soutiens en métropole. Le chapitre se termine sur la description du cadre de vie dans la maison du chien jaune2,de la rue de Buade grâce aux inventaires faits à la mort de Nicolas. On retiendra la présence de quatre esclaves : deux hommes de race noire et deux Amérindiennes.
En bourgeois de son temps Nicolas a également acheté des terres (à Sillery et au Cap Rouge) et rêvé d’anoblissement.
Enfin à partir de la reprise des hostilités avec l’Angleterre3 il intervient comme munitionnaire du roi, commerce lucratif qui sera poursuivi par sa veuve.
Le quatrième chapitre est consacré à son assassinat le 20 janvier 1748 par Pierre Legardeur de Repentigny, descendant d’un petit noble normand débarqué en Nouvelle France en 1636. Les auteurs présentent le meurtrier et sa famille, confrontée aux Amérindiens et fidèles au service du roi depuis leur arrivée, à partir des travaux de l’historien canadien Pierre-Georges Roy.
Les auteurs relatent les causes du différent qui conduisent au drame et son déroulement d’après le récit fait par l’agresseur dans sa lettre au roi pour demander sa grâce, récit dont ils font une analyse critique.
Restait à expliquer pourquoi ce banal fait-divers est resté dans les mémoires et a été popularisé par deux romans : The goldon dog/Le chien d’or de William Kirby (1877) et plus récemment Une dette de sang de Daniel Mathivat (2003). Ils tentent d’en expliquer le succès et en montrent les écarts au réel et notamment en ce qui concerne la veuve et la descendance de Nicolas Philibert.
En annexe on trouve les inventaires après et décès et d’autres documents notariés.
Ce livre d’une méthodologie rigoureuse se lit avec plaisir et rappelle une histoire souvent peu connue en France, celle de la Belle Province.
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1Aux pages 86 et 87 les auteurs décrivent le Saint-Pierre et sa pharmacie de bord d’après un inventaire de 1741
2La maison et ensuite le personnage lui-même doivent ce surnom à une petite sculpture d’un chien jaune qui se trouvait au dessus de la porte et est encore visible aujourd’hui dans un mur de la poste de Québec construite au XIXe siècle sur l’emplacement de la maison de Nicolas Philibert.
3Chute de Louisbourg en 1745