L’animateur écrivain et acteur mais aussi docteur en histoire, Christophe Bourseiller nous propose ici une bonne synthèse grand public sur le complotisme, phénomène aujourd’hui largement analysé de nos jours. L’ouvrage est divisé en trois parties.
Après une introduction où l’auteur définit le concept de complotisme comme une religion du doute qui « est sacralisé jusqu’à l’absurde », il revient également sur l’arrière-monde de l’extrémisme qui le nourrit.
La première partie propose avant tout et surtout une galerie de portraits. Si nous y retrouvons ici quelques-uns des personnages centraux désormais bien connus tels que l’abbé Augustin Barruel et Thierry Meyssan, cette partie est aussi l’occasion de faire connaissances avec quelques personnages moins connus du grand public tel que l’une des rares femmes reconnues comme complotiste : la britannique Nesta Webster [1876-1960]. Mais ces portraits ne se limitent pas à cette seule partie, les deux autres permettant d’en croiser bon nombre plus ou moins connus comme Jean-Paul Regimbal, prêtre canadien persuadé que les morceaux de rock sont régis par le rythme d’un sabbat luciférien !
La seconde partie intitulée récits complotistes permet de retrouver tout d’abord les grands classiques comme les Illuminati, très à la mode ces dernières années et les extraterrestres. Ici très clairement, l’auteur a fait des choix et a délibérément écarté certaines grandes théories du complot tel que le Moon Hoax. De même, il choisit plutôt de revenir sur les attentats de 2015 et non sur le 11 septembre, abordé dans le chapitre consacré à Meyssan. Le plus intéressant reste néanmoins les approches concernant les théories du complot ayant accompagné et parfois renforcé l’épidémie de Sida depuis les années 80, la crise du Covid ainsi que les rapports entretenus entre complotisme et pop culture. L’auteur revenant à quelques reprises sur les liens avec le monde de la musique ou le succès d’X Files par exemple.
La troisième partie intitulée les raisons de l’essor, est composée de trois chapitres. Plus courte que les précédentes, elle tente de donner des clés de compréhension sur la diffusion des théories du complot et leur popularité auprès du grand public via les médias et la multiplication des supports, internet en tête avec la création des réseaux sociaux dans les années 2000.
La conclusion intitulée le temps des coucous pose la bonne question : « alors que faire ? » Après avoir posé la question de la pertinence de la censure sur Internet et de ses effets à court terme, Christophe Bourseiller trace quelques pistes qui méritent réflexion. S’il réaffirme la nécessité de forger les adolescents à l’esprit critique (une évidence qui ne concerne pas que la question complotiste), il rappelle aussi la nécessité d’enseigner spécifiquement le web à ce public qui, contrairement à ce qu’il croit, le maîtrise très mal. Mais, pour reprendre son expression, « mettre les mains dans le camboui », ne concerne pas que les professeurs mais la société entière.
Si cet ouvrage est de bonne facture et se lit facilement, le lecteur peut être amené à s’interroger sur les choix qui ont été opérés. Je regrette personnellement que les Illuminati soient surreprésentés, alors que de l’autre, les jésuites qui ont été eux aussi l’objet d’accusations de complots, ne soient pas analysés. Les complots judéo-bolchévique et judéo-maçonnique, Henri Roger Gougenot des Mousseaux, les Protocoles des Sages de Sion restent mentionnés mais de manière très secondaire et pas analysés en tant que tels, ce qui de la part de Christophe Bourseiller peut paraître étonnant. Mais c’est clairement un choix de rédaction qui a été fait et qui ne pourrait lui être reproché car, reconnaissons-le, aucun ouvrage ne peut prétendre aborder toutes les théories du complot existantes depuis le XVIIIe siècle. Ces choix ne sauraient discréditer le fait que l’ouvrage s’appuie sur une solide bibliographie et les travaux d’historiens (Henry Rousso, Valérie Igounet …) de chercheurs reconnus sur le sujet tel que Pierre-André Taguieff, Gérald Bronner et Rudy Reischtadt animateur du site Conspiracy Watch par exemple.