Dans sa brève mais riche introduction, l’éditeur rappelle d’abord les fonctions d’un consistoire dans l’organisation ecclésiastique réformée. Composé des pasteurs, d’anciens et de diacres (chargés de l’aide aux pauvres), le consistoire, qui compte jusqu’à 21 membres, est « l’organe de décision au plan local ». Avec le synode qui réunit deux fois par an des délégués de toutes les Églises wallonnes, de Groningue à Flessingue, il « exerce un contrôle moral et doctrinal des fidèles, gère les deniers de la diaconie, dialogue avec les représentants du pouvoir politique et adopte toutes les décisions nécessaires au fonctionnement de la communauté » (p. 8).
Le consistoire est d’abord chargé du maintien de l’orthodoxie et des bonnes mœurs. Il se préoccupe notamment du déroulement et du contenu des cultes, de l’organisation des quatre saintes cènes annuelles (Pâques, Pentecôte, début de l’automne, Noël). C’est aussi au consistoire de procéder aux cérémonies d’abjuration et à celles de « réconciliation avec l’Église » voulues par ceux qui ont été contraints de céder aux intimidations ou aux violences et qui souhaitent désormais « réparer leurs erreurs ». Ainsi, le 17 septembre 1684, un certain David de La Panel, originaire de Caen, se présente à « la compagnie », témoignant d’« un très grand et sensible regret de la foiblesse et faute dans laquelle il est tombé en s’estant laissé emporter si avant par les persécutions des adversaires » de la religion réformée, jusqu’au point d’abjurer. Le consistoire, attentif aux marques « d’une vraye et sérieuse repentance », « a prié le Seigneur qu’il veuille luy pardonner sa faute et le fortifier de plus en plus dans sa bonne résolution ». Le requérant est finalement « admis au nombre des membres de cette Église » (p. 63). Le souci de l’orthodoxie préoccupe beaucoup le plus célèbre des pasteurs rotterdamois, Pierre Jurieu. Ce dernier s’attaque à des collègues actifs dans son Église ou dans diverses communautés du Refuge, tels Pierre Méhérenc de La Conseillère (Hambourg-Altona, 1690, p. 109 et suivantes), Gédéon Huet (La Haye, 1694, p. 190 et suivantes), Samuel Basnage et Élie Saurin (Zutphen et Utrecht, 1694-1696, p. 209-210 et suivantes). La plus importante des polémiques portées devant le consistoire met aux prises Jurieu et Bayle. Le premier accuse le second d’hérésie et d’athéisme. Pour comprendre les enjeux de cette longue querelle, dont les actes du consistoire ne donnent finalement qu’une « impression assourdie » (p. 13), il faut se reporter à l’ouvrage signé par Hubert Bost et Antony McKenna et intitulé « L’Affaire Bayle ». La bataille entre Pierre Bayle et Pierre Jurieu devant le consistoire de l’Église wallonne de Rotterdam, Saint-Étienne, Université Jean-Monnet, Institut Claude-Longeon, 2006.
Les conséquences de la Révocation
Les années 1680 constituent un défi sans précédent pour le consistoire de Rotterdam. Afin d’accueillir les réfugiés qui arrivent en masse après la révocation de l’édit de Nantes, de nouveaux pasteurs, supplémentaires et « extraordinaires », sont recrutés. Le temple est aménagé. Le « défi diaconal » demeure également immense (p. 18). La diaconie, qui fonctionne par « quartiers » (p. 20), constitue un « véritable service social » ouvert aux pauvres et aux immigrants (p. 19). Ainsi, le 2 décembre 1685, le consistoire décide « d’employer à l’avenir pour apothicaire de la diaconie de cette Église le sieur Pierre Du Chemin », venu de Rouen et qui saura se faire comprendre des réfugiés et répondre à « leurs besoins » (p. 69).
La lecture des actes du consistoire de l’Église wallonne de Rotterdam est facilitée par une chronologie récapitulative (p. 27-36), par quelques annexes (p. 425-431) et par un important index des noms de personnes, de lieux et d’ouvrages cités (p. 437-452). Au fil des actes (388 pages, agrémentées de 225 notes) et au milieu de multiples récits enchâssés qui conduisent le lecteur des Pays-Bas à Alger, récits dont il faudrait sans doute tirer une analyse quantitative, sur le mode des études proposées par Raymond Mentzer, on comprend mieux comment se nouent des enjeux majeurs, sur les plans économique et social, religieux ou intellectuel. Bien sûr, l’écriture consistoriale, elliptique, toujours soucieuse de gommer les conflits, de produire du consensus, constitue un écran dont il faut savoir se déprendre. À l’aube du siècle des Lumière, face à la « France toute catholique » de Louis XIV s’invente pourtant bien, aux Provinces-Unies, un monde nouveau, pétri de contradictions, traversé par le bouillonnement de cette « crise de la conscience européenne », si brillamment théorisée par Paul Hazard.
© Luc Daireaux, Centre de recherches historiques de l’Ouest