Souvent évoqué, souvent fantasmé, la forteresse médiévale du «Krack » des chevaliers est restée ancrée dans la mémoire collective. Perchée sur éperon rocheux, cette construction défensive représentait une formidable place militaire qui garantissait la sécurité de la Terre sainte. Mais les croisés n’étaient pas les premiers à avoir eu cette idée. Bien avant eux, les Romains avaient considérablement renforcé le site éponyme, d’où le terme latin de cratus, qui donna crac.

A leur tour, les conquérants arabes ont utilisé ce jalon majeur sur la route de la mer. Les croisés s’en saisissent en 1099 et, un demi-siècle plus tard, le comte de Tripoli, Raymond II, le céda à l’ordre religieux et militaire des Hospitaliers qui l’agrandissent, sur 300 mètres de long et 140 de large – l’acte de cession est ici présenté. Le sultan mamelouk Baybars s’en empare en 1271 : une inscription gravée sur une colonne de l’enceinte extérieure l’atteste. Récupéré par des paysans à l’époque ottomane, il n’est redécouvert dans sa force symbolique qu’au XIXe siècle. L’ouvrage présente de nombreuses photographies anciennes, pour beaucoup conservées au musée Albert-Kahn, des aquarelles et dessins, des carnets d’archéologues scandent les étapes de sa renaissance, de l’expédition du baron Rey en 1859 aux missions de l’entre-deux-guerres.

A l’époque mandataire (1920–1946) la France décide de créer un service des Antiquités. Durant ces années, pas moins de soixante-dix sites sont fouillés et étudié dont « le beau château », traduction de son nom arabe, Qal’at al-Hosn. Des sites mythiques, comme Palmyre sont aussi investis puis étudiés par de nombreux archéologues du monde entier invités par la France.

L’époque des voyages lointains et exotiques est alors à la mode. Aussi, les autorités françaises n’hésitent pas à mêler étroitement archéologie et tourisme. Les affiches invitant les passants à découvrir la Syrie et, en particulier, le « Crac » des chevaliers fleurissent sur les murs des villes en France. L’ancêtre de nos tours opérateurs vantent les bienfaits du climat, du dépaysement garanti et de la rencontre avec les populations allogènes. Des guides touristiques comme Itinéraire descriptif, historique et archéologique de l’Orient décrivent un pays merveilleux. Enfin, d’autres artifices commerciaux sont usités pour attirer petits et grands (vignettes dans des plaquettes de chocolat).

Une riche collection de photographies, de dessins et de peintures illustre la façon dont le Crac, à partir du milieu du XIXe siècle et surtout au temps du mandat français sur le Liban et la Syrie, a été redécouvert. A partir de 1927, sous l’impulsion de l’historien Paul Deschamps (1888-1974), une poignée d’érudits et d’architectes unifièrent leurs efforts pour explorer le château, le restaurer et le faire connaître en France.

L’exposition qui se déroule jusqu’au 14 janvier 2019 à la Cité de l’architecture et du patrimoine (Palais de Chaillot), s’ouvre sur une maquette majestueuse, qui permet d’admirer les prouesses architecturales, enceintes, glacis vertigineux, galerie à arcades gothiques. Elle propose aussi des moulages de chapiteaux précieux car le crac a souffert des combats sur le territoire syrien et de bombardements de l’armée de Bachar al-Assad. En effet, ce dernier espérait venir à bout des djihadistes qui l’avaient investi. C’était en 2013 et, depuis, le monument est inscrit sur la liste établie par l’Unesco des 55 biens culturels en péril. Cette riche exposition souligne combien serait dommageable la perte de ce patrimoine mondial.

Un livre et une exposition à ne pas manquer

Bertrand Lamon

Pour les Clionautes