Le 24 juin 1815, le ministre de la police, Fouché, signifia à Napoléon de quitter l’Elysée immédiatement. Dans les faits, et six jours seulement après la défaite de Waterloo, l’Empereur fut bel et bien chassé de son palais et de celui de la scène politique. Délogé comme un simple particulier après avoir été contraint d’abandonner le pouvoir, Napoléon dut se résigner à quitter définitivement la France et à partir pour un second exil après celui de 1814. Son second départ ,en juin et juillet 1815, fut planifié afin d’éviter de vivre une descente aux enfers. En effet, Napoléon, dans les jours qui suivirent Waterloo, tenta de reprendre en main sa destinée en s’imaginant une seconde naissance en Angleterre voire aux États-Unis. Cependant, de nombreux obstacles se dressaient devant ses yeux : ses anciens ennemis, tels Wellington et surtout Blücher ; Fouché, ses anciens sujets et la Royal Navy qui croisait aux larges des côtes françaises. Dans ce contexte, tout l’enjeu de ce dernier voyage fut d’éviter à tout prix de revivre la déchéance du pouvoir, comme l’avait profondément marqué son exil sur l’île d’Elbe un an auparavant. Charles-Éloi Vial, docteur en histoire, est spécialiste du Premier empire. Il est actuellement conservateur au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France.

La fin de règne avait été terrible. Napoléon pensait léguer à son fils un empire relativement prospère dans une Europe pacifiée. Il déchanta en 1814 puis, de nouveau en 1815 face à un terrible échec. Il dut se battre pour être toujours reconnu – et traité – par ses anciens adversaires, comme un ancien empereur, donc leur égal. La France de Louis XVIII refusait d’ailleurs de reconnaître son titre et le désigna comme l’Usurpateur. Après les Cent-Jours, l’Europe l’envisagea comme un dangereux aventurier, prêt à tout pour recouvrir le pouvoir. L’état de l’opinion avait changé en à peine une année. Ce fut un choc pour Napoléon. C’est alors qu’il se raccrocha à tout ce qui représentait les anciens attributs de sa fonction d’empereur : son dernier carré de fidèles bien entendu, son entourage familial, mais également tous les objets portant les armes impériales et signes distinctifs de son ancienne fonction. Son attitude ne fit pas exception à la règle. Monarque autoritaire, il entendait, même déchu, imposer le respect chez tous ceux qui le croisaient. C’est ainsi que, lors de ses deux derniers voyages, les questions cruciales portèrent sur l’entourage et la sécurité de Napoléon. Le monarque était en effet toujours habitué à voyager de façon ostentatoire, à recevoir les honneurs militaires et civils des villes visitées, à disposer d’une pléthore de serviteurs formant une véritable petite armée aux couleurs chamarrées.

Comme le stipule très clairement l’auteur, Napoléon n’était pas du tout disposé à être traité comme un simple particulier. Dans ses mémoires, Fleury de Chaboulon, éphémère secrétaire du cabinet impérial pendant les Cent-Jours, décrit un Napoléon n’hésitant pas à marcher à côté de ses grognards suite à son retour d’exil de l’île d’Elbe. L’empereur, qui eut, quelques mois avant sa mort à Saint-Hélène en 1821 l’occasion de parcourir ce livre, eut cette réflexion lapidaire : pourquoi à pied ? Il (Napoléon parlait de lui à la troisième personne du singulier) avait six chevaux à sa calèche ! On peut résumer ainsi, par ces deux petites phrases, le fondement de l’exil impérial. D’un côté, le faste impérial et cette voiture à six chevaux exclusivement réservée aux têtes couronnées, de l’autre, la terreur saisissante de se retrouver comme un simple voyageur anonyme, dépouillé de tous ses attributs.

UN PREMIER EXIL TRAUMATISANT

Un retour en arrière s’impose pour comprendre le caractère erratique de l’empereur en juin 1815. Le premier exil d’avril 1814 le marqua durablement et explique, en grande partie, son attitude l’année suivante. Dans la nuit du 12 au 13 avril 1814, Napoléon avait tenté de de suicider en avalant du poison. Ce geste n’était pas dénué de sens. Il souhaitait, outre conserver son honneur en ne ratifiant pas le traité de Paris, réduire un des principaux arguments des détracteurs d’une régence de Marie-Louise au nom du roi de Rome : Napoléon disparu, l’Europe n’aurait plus à craindre un empire militaire français. Son titre impérial finalement reconnu par le traité de Paris qu’il se résigna à signer, il prépara son exil avec une domesticité importante et nombre de bagages et valises. Les émissaires étrangers chargés de le surveiller et de le conduire sur l’île d’Elbe furent stupéfaits, lors de leur arrivée à Fontainebleau, de trouver le palais fonctionnant à l’identique comme celui des Tuileries ! En fait, la cour impériale, ou ce qui en restait, procurait à l’empereur déchu une sorte de bulle protectrice qui l’isolait des tracas quotidiens et concourrait à son équilibre psychique. Tout était fait pour lui rappeler son règne : meubles, étiquette du palais, fastes, apparats. Lors de son départ de Fontainebleau, il demanda à changer d’itinéraire. Aussi, les villes où il s’arrêta le reçurent avec fastes. Tout semblait, alors, se dérouler dans un rêve où l’Empire perdurait malgré la défaite et l’occupation militaire étrangère. Cependant, d’autres cités refusèrent de le recevoir et, en Provence, la belle mécanique des visites protocolaires voulu par Napoléon tourna au calvaire. Cette région qu’il connaissait bien pour y avoir été acclamé à son retour d’Égypte en 1799 l’accueillit désormais comme « l’Ogre » et non plus comme l’empereur. A Orange, personne ne l’acclama. Pire ! A Avignon, des milliers de personnes armées de sabres, de fourches et de fusils le menacèrent en entourant sa voiture. Enfin, dans le petit village d’Orgon, il dut s’échapper en domestique à défaut d’être écharpé ! On comprend pourquoi Napoléon tira un très grand enseignement de ce premier exil traumatisant. Dès son retour en France le 1er mars 1815, il chercha rapidement à renouer avec les fastes du pouvoir. L’empereur, depuis le Directoire, avait toujours été très entouré. C’est donc, pour lui, un gage de sécurité, de stabilité et de puissance qu’il tente de préserver par tous les moyens pour garantir une légitimité face à Louis XVIII et aux puissances étrangères. Lors de cette remontée sur Paris, il devient à nouveau « pleinement empereur » à Lyon, où les corps constitués le reçoivent. Il assiste au défilé militaire de la garde nationale place Bellecour. Dans cette ville, la partie aventureuse de son épopée tirait à sa fin comme le mentionna Thierry Lentz dans son ouvrage, Nouvelle histoire du Premier Empire. Durant les vingt jours que dura ce « vol de l’Aigle » qui le remit en selle sur le trône, deux questions se posèrent à la population : qui, de Louis XVIII ou de Napoléon devait réellement régner ? Et par la suite, se posa également la question des apparences du pouvoir. Le roi, en quittant précipitamment Paris le 16 mars avait, de facto, abdiqué. Il reprit la route du nord vers la Belgique tandis que «l’Usupateur» parvenait, porté par l’enthousiasme populaire, à gravir de nouveau les marches du pouvoir. De retour à Fontainebleau le 20 mars 1815, soit onze mois après son départ, le gouvernement impérial se mit à fonctionner dès le 21 mars 1815.

LA CHUTE DEFINITIVE DU PHOENIX

Alors que la fumée des canons de la bataille de Waterloo se dissipait à peine, Napoléon, de retour à Paris et après moins de trois mois de restauration du pouvoir impérial, fut de nouveau obligé de sauver en hâte son pouvoir. Il s’installa, non pas aux Tuileries, mais à l’Élysée, signe de son extrême faiblesse. En effet, il n’était plus le seul à tenir les rênes du pays. La chambre des pairs et des représentant l’en empêchèrent. Comme en avril 1814, il y eut abdication de l’empereur et Napoléon dut se résoudre à quitter, une seconde, fois la France. Mais, cette-fois ci, le départ serait définitif. Si le traité de Paris lui garantissait son rang, son titre et une protection, en juin 1815, il n’en n’était plus de même. Vaincu militairement, il était en fait considéré comme un véritable hors-la-loi que les Alliés avaient hâte de mettre hors d’état de nuire. Il ne dut alors compter que sur sa seule ingéniosité et ses ressources propres. Son but était clair : quitter rapidement mais dignement la France et échapper aux griffes du gouvernement provisoire de Fouché qu’il soupçonnait de vouloir le livre aux Alliés. Ce fut alors un véritable jeu du chat et de la souris qui se mit en place. Mais, isolé, dépressif, il fut chassé par Fouché de l’Élysée, puis de Malmaison. Il quitta alors Paris pour arriver à Rochefort. Il n’y eut pas d’émeute durant ce voyage mais le cérémonial se désagrégea peu à peu comme en 1814. En se comportant comme un souverain, même déchu, avec des officiers pour le protéger et une domesticité nombreuse pour son confort, il était à peu près certain de conserver son autonomie. Cependant, en renonçant à son rang, il devenait anonyme, voire un vagabond dangereux pour la tranquillité publique. De l’Élysée à Malmaison en passant par Rambouillet, Rochefort, l’île d’Aix puis sur le navire anglais le Bellerophon qui l’emmenait vers Saint-Hélène, Napoléon tenta, jusqu’au bout, de concilier deux démarches antagonistes : son renoncement au trône tout en se se prévalant du titre d’Empereur pour conserver sa liberté.

Ce livre décrit très précisément la fin d’un règne et d’un homme et, avec lui, la fin du XVIIIe siècle. Le récit est alerte et nous propulse au plus près des acteurs et de cette histoire dignes d’une tragédie cornélienne.

Bertrand Lamon