Cet ouvrage de Marc Deleplace (en fait, « sous la direction de ») aux Presses universitaires du Septentrion, daté de mars 2009, est composé d’une série d’études universitaires sur «la haine, objet historique» dans une perspective millénaire avec une seule étude sur l’actualité. C’est un livre pour spécialistes appréciant l’érudition plutôt que pour le citoyen éclairé cherchant une histoire de la haine et de sa formulation.
Cet ouvrage de Marc Deleplace (en fait, « sous la direction de ») aux Presses universitaires du Septentrion, daté de mars 2009, est composé d’une série d’études universitaires sur «la haine, objet historique» dans une perspective millénaire avec une seule étude sur l’actualité. C’est un livre pour spécialistes appréciant l’érudition plutôt que pour le citoyen éclairé cherchant une histoire de la haine et de sa formulation.

Le sujet est limité à la « haine dans la cité » et non de celle à l’occasion (ou à l’origine) de la guerre extérieure. Il ne s’agit pas non plus de la violence et de l’injure, « déjà très étudiées ». Il ne traite pas non plus des haines d’actualité, comme celle abondamment décrite dans les « banlieues », ni celles ayant cours dans les pays du Sud, notamment musulmans (et certains de leurs voisins), ni sur l’islamisme autre que négationniste.

On part d’avant J.C. …

La première étude, très érudite, décrit la haine anti-juive dans l’Égypte ptolémaïque. Suivent celles sur la mise en péril du lien social dans la cité antique (une sur Cicéron, une sur Plaute), puis quatre sur le Moyen-Age, dont l’une contre « les Grecs » lors de la 4è croisade et une autre dans les communautés monastiques.

On arrive alors au monde contemporain. Passons sur les deux études sur l’invective musicale et dans l’Opéra pour arriver au « métis dans la société coloniale », en l’occurrence du début de l’Amérique espagnole. Les sources éparses citées vont dans le sens (attendu) de l’infériorité juridique ou sociale du métis, mais (me semble-t-il) qui ne devait pas être systématique en pratique, puisqu’il fallait sans cesse la réaffirmer. Bref l’étude ne paraît pas concluante et d’ailleurs le mot « haine » n’apparaît pas dans la documentation. Passons ensuite sur la haine durable, et bien documentée celle là, entre « commis » et « malotiers » en Champagne au 18è siècle, pour arriver aux passions politiques qui peuvent davantage nous parler aujourd’hui.

…on passe bien sûr par la Révolution …

La première étude de ce genre concerne le Midi de la France sous la Révolution. L’omniprésence officielle et populaire du mot « haine » y est frappante. Elle accompagne « émeutes, meurtres, massacres et attentats » et la victoire d’une faction suppose l’anéantissement de l’autre (c’est toujours le cas aujourd’hui dans certains pays, ce qui y rend l’alternance si sanglante et donc le pouvoir en place si crispé et tyrannique). La rotation rapide et très bien documentée des rôles de massacreurs et massacrés donne le tournis. Le 18 Brumaire envoie des préfets « neutres » apaiser la situation, mais les haines individuelles et les vengeances héréditaires corrélatives perdurent bien après les violences politiques.

Toujours pendant la Révolution, la haine mène à la mort du roi et à la guerre à l’Angleterre (Robespierre). La réflexion (indulgente à mon avis) sur ce thème amène l’auteur de cette étude à regretter (si j’ai bien compris) les amnisties sélectives de la droite d’aujourd’hui, ce qui enlève quelque sérénité à sa « démonstration ». L’étude suivante enchaîne sur la réhabilitation de la Terreur, et particulièrement de Robespierre et de sa « haine de la tyrannie » par Laponneraye (années 1830) et les paradoxes corrélatifs de la mémoire républicaine. Laponneraye était fier, également, « d’exciter la haine des ouvriers contre les bourgeois ». L’auteur précise que « haïr » était de tous les camps, avec une connotation « presque positive », car étant « un devoir », côté républicain … et donc bonapartiste, la dictature napoléonienne étant assimilée à celle, positive, d’un comité de salut public.

… pour arriver à nos soucis actuels

On se rapproche de « nos » problèmes avec la haine nationaliste « légitime, saine et populaire » des années 1880 contre les Juifs. Pour les catholiques s’y ajoute la conviction, en cette période de rude anticléricalisme, que les Juifs « haïssent l’Église ». Drumont, journaliste, flatte et excite son public. Les années 1890 en voient le relais par les débuts de l’Action Française qui voudra compléter l’antisémitisme par un objectif positif : la monarchie. Je passe sur le discours de haine de trois évêques du front (14-18) qui rajoutent à leur liste les Francs-maçons, en plus, bien sur, des Allemands. On passe à la haine de Pierre Laval envers la république parlementaire (9 juillet 1940) et au vote qu’il organise ce jour là (par la chambre du Front Populaire) de ce qui permet la loi du 10 juillet qui instaura le régime de Vichy (4 voix « contre » le 9 juillet, donc bien moins que les fameux 80 le 10).

Puis c’est le RPF qui est ajouté à ce catalogue, par un dépouillement de son hebdomadaire, L’étincelle devenu Le rassemblement. Mais le terme « haine » n’y étant pas présent, l’auteur se rabat sur « les articles critiques », certes très virulents. Il pointe un « anticommunisme spécifique », dénonçant « Le Parti » plus comme une main de l’étranger dirigée par Staline que pour ses idées sociales. Il pointe surtout l’hostilité au « régime des partis ». Là encore, la richesse de la documentation ne fait qu’illustrer des propos déjà bien connus (et que l’avenir a souvent justifié depuis). Les quelques lignes sur l’antigaullisme haineux, communiste, socialiste ou de droite, sans être vraiment neuves, me semblent un rappel plus utile.

Le courant maoïste européen des années 1960-70 passe à son tour sur la table de dissection. Son origine est rappelée avec le discours fondateur de Mao de mai 1963, puis l’organisation des mouvements se voulant immédiatement révolutionnaires pour remplacer un parti communiste défaillant car « révisionniste » (comprendre : ayant trahi le marxisme). Bref, il s’agit d’un « retour à la pureté » incarnée suivant les groupuscules par Lénine ou Staline et revivifiée par Mao. On retrouve le « devoir de haine » en riposte à celle des antirévolutionnaires. C’est l’occasion d’une abondante documentation comparant les écrits de Marx et Engels d’une part, de Lénine et de Staline et enfin de Mao, d’autre part.

Passons sur la haine en Suisse, expression d’une inquiétude identitaire séculaire et devenue plus explicitement xénophobe avec la percée récente du Parti du centre, pour arriver au « pathos négationniste des sites islamistes ». Leur analyse est effectuée dans un langage assez spécialisé ; on en peut retenir qu’on est dans la recherche du pathos partagé plutôt que dans celle de la pertinence, voire de la simple cohérence, ce qui n’est pas une surprise. Là aussi l’intérêt vient d’abord de la masse des exemples, qui mettent en jeu des évènements et des personnalités d’aujourd’hui.

La conclusion très balancée sur la sérénité engagée de l’historien, facile pour certaines « haines », plus difficile lorsqu’il s’agit de haïr le contre-révolutionnaire, illustre la difficulté de synthétiser les diverses interventions du colloque.

Finalement

C’est donc un livre plutôt pour spécialistes appréciant l’érudition que pour « citoyens éclairés » cherchant une histoire de la haine et de sa formulation. Quelques points peuvent avoir un intérêt pédagogique, comme les caricatures anticommunistes du RPF. Par ailleurs, je suis un peu déçu d’arriver à la fin sans rien sur « les banlieues », les haines massacrantes au Sud et notamment dans les pays musulmans (et certains de leurs voisins), ni sur l’islamisme autre que négationniste. Trop universitairement dangereux probablement … Peut-être aussi n’est-ce pas encore de l’histoire bien que cela dure depuis un sacré bout de temps !

Copyright Les Clionautes