Emmanuel de Waresquiel, Le Duc de Richelieu, 1766-1822, Perrin, 2009, 28 euros.

Qui connaît le duc de Richelieu ? Arrière-petit-neveu du cardinal, Armand Emmanuel Sophie-Septimanie de Richelieu ne reçoit en général que quelques lignes dans les histoires de France,opru son rôle de premier ministre sous Louis XVIII. C’est pourtant lui qui négocia la fin de l’occupation du territoire par les Alliés. Avant cela, il avait voyagé et guerroyé en Europe, puis avait été pendant 11 ans le gouverneur de la province de Nouvelle-Russie. Tout au long de sa vie, il demeura un homme honnête et désintéressé, acharné à régler les dettes laissées par son grand-père et surtout par son débauché de père, alors que la Révolution avait confisqué ses biens : autant de raisons de s’intéresser à cet homme qu’Emmanuel de Waresquiel fait ici revivre.

Formation, voyages et gouvernorat de la Nouvelle-Russie

Très tôt, le jeune Armand voyagea à travers l’Europe. Durant la Révolution, il quitta la France mais se tint à distance des émigrés, s’engageant dans l’armée russe pour assouvir ses rêves de gloire. Durant les années 1790, il connut divers changements de fortune ; les Français, d’abord accueillis avec enthousiasme à la cour de Catherine II, furent ensuite considérés avec jalousie et mépris. Après l’assassinat du fantasque et instable tsar Paul Ier (1796-1801), son fils et successeur Alexandre Ier proposa à Richelieu d’être gouverneur d’Odessa puis de Nouvelle-Russie.
Depuis 1764, Catherine II avait entrepris une poussée vers le sud, et elle avait créé en 1774 la Nouvelle-Russie, confiée à Potemkine. Malgré les grandes campagnes de presse menées en Europe pour attirer des immigrants, les fameux « villages Potemkine » ne donnaient aux visiteurs de marque que l’illusion de la prospérité et masquaient les grandes difficultés auxquelles Richelieu dut faire face. Sa présence entraîna le développement à Odessa d’une communauté française, nobles émigrés ou marchands au long cours. Fondée en 1794, cette bourgade n’était à son arrivée qu’un ensemble de baraques dont il fit une ville d’influence classique et une place de commerce de premier plan pour l’exportation de blé. La liberté du commerce était aux yeux de ce lecteur des économistes une condition sine qua non pour la prospérité. La région était aussi stratégique sur le plan militaire car les tensions avec Constantinople n’avaient jamais cessé.
En 1814, Richelieu se rendit en France, à l’origine à titre provisoire : il ne revit jamais Odessa.

Premier ministre de Louis XVIII

Son retour en France, et à Vienne où il assista au congrès, fut rendu difficile par son manque de relations et son long éloignement de la politique française. À plusieurs reprises, il se dit prêt à repartir en Russie, d’autant que Talleyrand intriguait contre lui en le présentant comme l’homme d’Alexandre Ier. Le soutien du tsar, la réputation de probité de Richelieu et sa relative virginité politique, incitèrent cependant le roi, qui n’entrenait pourtant pas de relation d’amitié avec lui, à lui demander de composer le ministère en septembre 1815.
La première tâche était de négocier avec les alliés les conventions régissant l’occupation et prévoyant la libération du territoire : Richelieu parvint à obtenir des adoucissements des conditions en jouant sur les divergences entre alliés et sur la crainte d’une nouvelle révolution en France, mais ne put empêcher le maintien d’une tutelle des vainqueurs sur les affaires politiques intérieures.
Très tôt, ces dernières donnèrent à Richelieu du fil à retordre : la fameuse « chambre introuvable », composée largement d’ultras novices en politique et appuyée par frère du roi, le comte d’Artois (futur Charles X), n’eut de cesse de réclamer des mesures toujours plus répressives et réactionnaires, ainsi qu’une épuration féroce de l’administration. Il fallut convaincre le roi de la dissoudre, ce qui fut fait le 5 septembre 1816 et permit Richelieu de se consacrer à sa grande ambition : obtenir la libération du territoire et rétablir l’indépendance de la France. L’émission d’un grand emprunt, massivement souscrit par les banques européennes, permit de rembourser les indemnités dues, et le respect scrupuleux des engagements pris, ainsi qu’une diplomatie active, le mirent en position d’obtenir pour son pays des conditions favorables lors du congrès d’Aix-la-Chapelle à l’automne 1818.

Un grand diplomate

Ce succès diplomatique entraîna pourtant une recrudescence des oppositions intérieures, une fois l’hypothèque de l’occupation levée. Les doctrinaires du centre-gauche (Royer-Collard ou Guizot) prenant de plus en plus leur distance avec le ministère, Richelieu tenta en vain de rassembler la droite sans devenir l’otage des partisans du comte d’Artois, démissionna le 26 décembre 1818.
Son départ du gouvernement n’avait réglé aucun problème ; son successeur, Élie Decazes, haï par les plus conservateurs, fut la « victime collatérale » de l’assassinat par Louvel du duc de Berry, fils cadet du duc d’Artois et seul espoir de perpétuation de la lignée (13 février 1820). Considéré comme responsable, menacé de mort, le chef du gouvernement démissionna et prépara la voie au retour de Richelieu que même le comte d’Artois vint supplier de former un nouveau ministère. Dans une Europe marquée par divers soulèvements libéraux, la hantise d’un complot était omniprésente et Richelieu tenta de s’appuyer sur Villèle pour obtenir le soutien d’une partie des ultras. Avec le ministre de la Guerre, le général de Latour-Maubourg, il réforma l’armée, relança les travaux publics, réforma la cour, mais ne parvint pas à trouver une solution aux problèmes des biens des émigrés, ce qui accrut les tensions avec les ultras. Il dut démissionner le 8 décembre 1821 et laisser Villèle former un ministère très à droite. Le 17 mai 1822, il mourut brutalement d’une congestion cérébrale.

L’ouvrage nous plonge donc dans une époque mal connue de notre histoire au travers d’un personnage envers lequel il est difficile de ne pas ressentir de sympathie. Si la bibliographie paraît datée et très franco-française, ce défaut n’est pas rédhibitoire pour une biographie qui se lit comme un roman et qu’on peut donc recommander sans hésitation.

Yann Coz ©