Tourisme et travail, les deux termes peuvent paraître difficiles à associer dans une société où les loisirs sont de plus en plus distincts du monde du travail. Pourtant Tourisme et Travail (abrégé TT) fut une association dont le but était de promouvoir le tourisme pour les classes populaires, dans un objectif d’édification et d’éducation des masses dans la lignée directe des idéaux lagrangistes de 1936. Comme le dit l’auteur, Sylvain Patthieu, c’est l’Histoire vue par les chemins de traverse. Et rapidement la lecture de cet ouvrage s’avère passionnante en ce sens qu’il permet une relecture des Trente Glorieuses, de mai 68 et de mai 81 à travers les activités de Tourisme et Travail, ainsi que l’abdication inéluctable de l’idéologie face aux intérêts marchands.
Tourisme et Travail, et c’est ce qui fait son originalité, c’est d’abord, dès 1954, une association largement influencée par les idéaux communistes et par la CGT après le départ des membres affiliés à la CFTC. Des liens avec le PCF existent, mais sont plus distendus. Les orientations définies par Tourisme et Travail sont prescrites par le désir de faire du tourisme un instrument de combat social. Il faut donc permettre aux classes laborieuses d’accéder au tourisme au même titre que la bourgeoisie, mais avec une dimension sociale marquée, une volonté d’éduquer, de promouvoir certaines valeurs, bref, de ne pas bronzer idiot. Il faut alors se démarquer du tourisme socialement typé de saint-Tropez-Chamberry, avec parfois de véritables luttes populaires face aux plages privées en Corse ou autour de la vocation du fort de Villefranche-sur-Mer: en plein territoire Niçois dominé alors par le très à droite Jacques Médecin, Tourisme et Travail eut toutes les peines du monde à convaincre l’Etat et la préfecture de son projet d’installation d’un centre populaire de loisirs en bord de mer. L’affaire se termine d’ailleurs par un échec pour Tourisme et Travail, mais aussi pour le projet adverse soutenu par Médecin.
De par sa volonté de promouvoir le tourisme populaire, Tourisme et Travail se trouve rapidement face à certaines contradictions dues au marché touristique : comment intégrer à la fois une dimension sociale et faire en sorte de ne pas perdre des adhérents, ni d’argent. Un réel numéro d’équilibriste, d’autant plus que bon nombre d’adhérents à Tourisme et Travail, pour la plupart issus des comités d’entreprises, ne semblent pas friands de la dimension éducative de l’association. Autour des années 1965-1970 on voit émerger une contesation des vacances morales et très sages promues par Tourisme et Travail, essentiellment mainfestée par des jeunes adhérents, plus tard influencés par l’hédonisme estudiantin de 1968. A l’ouvrier syndiqué et militant s’oppose une jeunesse moins soumise à une « tradition » cégétiste, moins politique dans son approche. Ainsi, après les années 70, un tournant est définitivement pris par Tourisme et Travail : la priorité est à la détente, comme le font ses concurrents (Club Méditerranée, pour n’en citer qu’un) et les catalogues et les programmes de séjour ressemblent à s’y méprendre à ceux des autres acteurs du tourisme.
L’affaire se termine mal pour Tourisme et Travail car, malgré l’élection de François Mitterrand à l’Elysée en 1981 qui semble lui donner un nouveau souffle, l’association dépose son bilan en 1985, au bord de la faillite : prestations médiocres, animateurs caractériels ou incompétents, gérants hésitants, postes de pouvoir pléthoriques, clients de plus en plus exigeants….face à la modification des formes de tourisme populaire, Tourisme et Travail n’a pas su s’adapter. On passe d’une logique idéologique telle qu’elle était définie au début du mouvement à une logique marchande qui lui échappe de plus en plus : un des principaux paradoxes se trouvant dans le prix des voyages pour l’Europe de l’Est. Ces derniers étaient devenus une sorte de secteur incontournable de Tourisme et Travail, une occasion d’aller voir de visu ce que donnait le communisme en URSS ou en RDA, même si les séjours les plus populaires étaient situés en Roumanie, Bulgarie et Yougoslavie. Pourtant, vers la fin des années 70, ce sont les concurrents de Tourisme et Travail qui proposent les meilleurs prix pour l’Europe de l’Est, provoquant la colère des comités d’entreprise affiliés à Tourisme et Travail.
Il reste un pari, une idée à part, une forme d’utopie. Le mérite de Sylvain Patthieu est de faire revivre, avec une documentation impressionnante, des anecdotes très humaines, toutes ces années de tourisme populaire où certains se reconnaîtront peut-être, dans un monde où l’on restait sur le qui-vive idéologique même en vacances, un monde de valeurs parfois ridiculisées aujourd’hui, un monde où l’adversité était clairement définie. Une certaine nostalgie émane des lignes de Sylvain Patthieu, qui produit d’ailleurs des photos de centres de vacances appartenant à sa collection personnelle, peut-être à rapprocher avec l’« Ostalgie » des anciens citoyens de la RDA, pour ce monde où l’espoir était encore possible et qui semble désormais définitivement enterré sous le poids des logiques marchandes et individualistes.

Mathieu Souyris, le 31 décembre 2009.