Les publications tirées de thèses abordent souvent des sujets originaux et nous ne pouvons que nous féliciter du choix des éditions du comité des travaux historiques et scientifiques. Juliette Dumasy a consacré la sienne à l’étude de la baronnie de Séverac-le-Château à la fin du Moyen Age. Un territoire que certains lecteurs ont peut-être déjà traversé sans le savoir. Ce territoire, situé aux confins du Rouergue et du Gévaudan, est désormais la porte d’entrée dans l’Aveyron pour le voyageur venu du nord par l’A75, dernière étape avant le viaduc de Millau.

Mais il ne s’agit pas ici d’une excursion touristique, bien que l’étude de Juliette Dumasy invite à parcourir ce terroir méconnu. En effet, celle-ci a choisi de s’interroger à la vie et au rapport à l’espace des habitants de ce terroir.

Des sources originales

Pour sa thèse, J Dumasy utilise de nombreuses sources. Certaines sont classiques et le spécialiste ne sera pas surpris de voir mentionner des registres de taille, compoix et autres actes notariés. Il notera peut être le peu de sources ecclésiastiques, mais il sait aussi combien il est difficile d’avoir une grande variété de sources datant du moyen âge. La taille modeste de la plupart des établissements ecclésiastiques de la zone explique aussi cela. Mais le lecteur ne manquera pas d’être étonné par l’exploitation d’un type de document rare, une vue figurée. Celle-ci, datant de 1504, représente la baronnie de Séverac-le-Château dans son ensemble. Ce document couleur, de taille imposante (162X80cm) représente tous les villages et mas de la baronnie. On peut y distinguer les édifices remarquables de chaque, château, maison forte, église… Mais aussi leur environnement qu’il s’agisse des forêts ou des cours d’eau. Les reproductions couleurs incluses dans l’ouvrage permettent d’en apprécier la qualité. Ce document a été réalisé pour les besoins d’un procès sur les fouages. Il opposait les Millavois et les Ruthénois aux seigneuries rurales à qui ils reprochaient d’être sous-imposés.

Une carte précise…

L’étude du document permet de mieux découvrir le terroir de la baronnie. Un territoire dont on peut distinguer les 3 sous-ensembles : la vallée de l’Aveyron, la montagne, et le causse. Il se caractérise aussi par l’importance de l’habitat dispersé, les mas. Par la comparaison avec l’état actuel des lieux, mais aussi avec celle du cadastre napoléonien, J Dumasy nous montre comment le travail du védutiste a été rigoureux.

Celui-ci ne s’est pas livré à une simple représentation du paysage, il a fourni un travail de synthèse pour les besoins du procès. On y trouve par exemple les délimitations des paroisses et juridictions. Surtout la représentation précise de l’habitat permet de distinguer les formes prises par l’habitat dans les bourgs et les mas ainsi que les grands traits de leur répartition sur le territoire. La carte permet également de dégager les grandes caractéristiques de l’architecture des églises de la zone et du réseau d’édifices fortifiés encore important à la fin du moyen âge. Des édifices, qui lors du procès, permettront d’attester de l’état des richesses de la zone.

Habitat groupé ; habitat dispersé, quelles différences ?

La baronnie se distingue par l’importance de l’habitat dispersé. Un phénomène qui n’est pas propre au Rouergue, mais qui reste encore largement moins étudié que l’habitat groupé. Quels que soient les lieux (vallée, causse ou montagne), les 2 formes d’habitat sont présentes. J Dumasy va s’attacher à nous montrer qu’ils ne sont pas si différents

L’étude rigoureuse permet de passer en revue la nature des activités pratiquées. Certes on ne sera pas surpris de voir que les paysans sont surtout dans les mas, et les artisans et commerçants à Séverac. Mais les habitants de Séverac n’hésitent pas à investir également dans la terre qu’ils louent à d’autres. Une location que pratiquent aussi les laboureurs les plus riches des mas.

Il existe à Séverac d’importantes inégalités sociales, le bourg présentant des écarts de fortune important. Mais c’est aussi le cas à l’intérieur des mas où règne la mixité sociale. On ne peut opposer des mas habités par des riches à des mas peuplés de pauvres. Même si, en fonction des terroirs, on peut distinguer des ensembles plus riches que d’autres. Vallée, montagne et causse n’ont pas les mêmes potentialités agricoles, en particulier pour l’élevage, si présent dans la zone.

En matière de succession, mas et bourg diffèrent. En ville l’héritier universel semble être la règle, ce qui peut s’expliquer par la nature du bien hérité : on ne peut diviser une boutique ou un métier. Dans les campagnes, si le feu en a les moyens, il peut y avoir division entre deux héritiers. Les cadets, si et uniquement si, cela ne met pas en péril la lignée, se voient offrir la possibilité de fonder leur propre feu.

Des mas au service des bourgs ?

En réalité, on ne peut les opposer, ni même parler d’une relation centre/périphérie entre eux. Certes, le pouvoir seigneurial réside en ville. Mais l’autorité du seigneur sur les mas est limitée par la nature de ceux-ci. Les mas disposent en général de leur propre four, les terres appartiennent en général uniquement à leurs habitants… Les mas constituent en réalité la cellule de base du maillage territorial de la baronnie. Il y eut même des seigneurs de mas, et les mas surent parfois tirer parti de leur position aux confins de la baronnie.

Cela n’empêche cependant pas la constitution de communautés plus larges au sein du Sévéragais. Les communautés de mandements se mettent peu à peu en place, faisant reconnaître leurs droits par le seigneur. Ces communautés peuvent correspondre à une paroisse si elles sont constituées autour d’un village important, mais pas toujours. En effet, la nature dispersée de l’habitat fait que certaines paroisse de mas ne sont pas assez importantes et donc les communautés de mandements peuvent regrouper jusqu’à 8 paroisses.

Pour autant les habitants des mas ne sont pas ignorés dans le fonctionnement des communautés. Ils participent à l’élection des syndics et autres procureurs. Dans certains cas, un quota leur est même réservé.

Au final, un ouvrage qui permet de découvrir un aspect peu connu de l’organisation spatiale à l’époque médiévale, l’habitat dispersé. L’étude de la vue figurée permet également une approche des formes de représentation de l’espace réutilisable en classe.

François Trébosc © Clionautes