Le dernier numéro de Carto nous offre tout d’abord un dossier signé par Philippe Pelletier sur le Japon de l’ère post-Fukushima (pp. 10 à 21). C’est l’occasion de réactualiser certains éléments de l’histoire nippone comme les origines préhistoriques du peuplement de l’archipel, assez complexe comme le montre la carte 1 ou encore la constitution dans la première moitié du XXe siècle d’un empire colonial, complété par le projet économique de la sphère de coprospérité de la Grande Asie orientale (cf. carte 2 p. 13). Après la présentation bien connue d’un archipel au carrefour de quatre plaques tectoniques (p. 14), l’auteur décrit la relation paradoxale du Japon avec l’énergie nucléaire qui voit après les explosions des bombes d’Hiroshima et de Nagasaki la construction des premiers réacteurs civils dès 1966 au Nord-Est de Tôkyô puis en 1971 Fukushima 1, livré par l’américain General Electric ; aujourd’hui, le Japon est le 2e territoire le plus nucléarisé après la France, une carte représente le phénomène (carte 4 p. 15).

Un rappel de l’accident du 11 mars 2011 est présenté avec ses conséquences sur l’ensemble de la cote, puis l’intervention rapide des forces armées (japonaises et américaines) pour la reconstruction des axes de communications mais aussi le relatif abandon des populations survivantes réduites à se débrouiller toutes seules pour se loger et se ravitailler. Une carte de l’impact du séisme (n°5 p. 16) permet de repérer l’importance du tsunami et les conséquences sur le littoral. La proximité de l’agglomération tokyoïte est évidente.
C’est l’occasion d’une mise au point sur les réseaux urbains au Japon et notamment au sein de la mégalopole avec une carte qui présente la croissance démographique des villes entre 1995 et 2005 (carte n°6 p. 17) ou celle qui met en valeur la macrocéphalie de la mégalopole (n°7 p. 18) avec le poids de la ville de Tôkyô. L’opposition Japon rural vieillissant et Japon urbain plus dynamique est montré avec une batterie de chiffres à jour : c’est la possibilité pour la dernière fois d’actualiser la partie du programme de terminale sur la mégalopole japonaise… et de mettre en évidence également les différents aspects de la puissance japonaise, hard et soft power avec une mise au point des relations américano-japonaises (p. 20).

L’article se termine sur une note différente, le développement actuel de la J-pop (Japanese pop culture) qui touche la jeunesse mondiale et est à l’origine d’une véritable industrie culturelle japonaise (mangas, dessins animés, jeux vidéo, modes vestimentaires…). Comment la jeunesse japonaise va-t-elle gérer sa prise de conscience récente du péril nucléaire ? C’est l’enjeu du futur !
Cette lecture est à compléter par celle du blog de Planète Terre de
Sylvain Kahn
http://www.franceculture.fr/blog-globe-2011-03-17-japon-face-a-la-catastrophe-le-recours-aux-echelles-geographiques.html-0
ainsi que le podcast de l’émission du 7 mars dernier ainsi que le podcast de l’émission du 7 mars dernier où Yoann Moreau et Philippe Pelletier étaient invités.

Les pages actualités apportent leur lot de documents intéressants:

  • une photographie un tantinet surréaliste de Kim Jong-un posant avec une unité de l’armée nord-coréenne (p. 22).
  • un état de la candidature de la Serbie à l’UE (p. 24).
  • une carte du droit de vote des étrangers dans le monde et c’est l’Amérique du sud qui est la zone la plus favorable au scrutin des non-nationaux (p. 25).
  • une carte de l‘English speaking world et des risques de délitement du Royaume Uni avec un référendum prévu sur le thème de l’indépendance de l’Ecosse (pp. 26-27).
  • le recul de l’Islande face à une intégration dans l’UE avec un retour inattendu à la citoyenneté antique : tirage au sort de 1000 citoyens chargés de proposer des réformes constitutionnelles… (p. 28).
  • une série de cartes sur le thème de l’artificialisation des terres en France, un phénomène qui touche surtout les zones rurales –certaines peuvent être utilisées pour le programme de géographie de première (pp. 29-31) ; à compléter avec les cartogrammes de l’exposition 2040 de la DATAR.
  • le financement de la campagne électorale aux Etats-Unis, comparaison démocrates/républicains pour les élections de 2008 et 2012 (pp. 32-33).
  • une mise au point intéressante de Tigrane Yégavian sur la situation actuelle du Panama, entre une économie florissante « un nouveau Dubaï » et une situation sociale préoccupante avec corruption, blanchiment d’argent, trafic de drogue et contestation sociale des classes populaires ; une carte permet de visualiser par ailleurs les travaux de l’élargissement du canal (p. 34).
  • Guillaume Fourmont présente une mise au point sur les luttes des populations indigènes d’Amérique latine : Huichols du Mexique, Kayapos du Brésil ou autres, ils luttent aujourd’hui pour défendre leur environnement, même si cela est au détriment d’une amélioration de leurs conditions de vie ; certains chefs d’état comme Hugo Chavez ou Evo Morales revendiquent ce « pouvoir indigène » (p. 35).
  • une mise au point de Julien Arnoult sur la situation de la démocratie en Russie avec plusieurs graphiques centrés sur une « radiographie sociopolitique » et une carte mêlant ressources énergétiques et ressources par ménage « une puissance énergétique touchée par la pauvreté », reprise en mains politique très ferme et difficultés sociales qui laissent présager une grave crise sociale d’ici trois ans (pp. 36-37).
  • Myriam Hamache rappelle les multiples incertitudes qui entourent l’arrivée au pouvoir du nouveau dirigeant de la Corée du Nord avec une carte qui permet de visualiser la fermeture du territoire (p. 38).
  • une carte de la Chine liste les principaux points de contestation sociale entre janvier 2011 et février 2012, illustrant les tensions à l’intérieur du pays même s’il semble peu probable que le pays soit prêt à une révolution du type « printemps arabe » (p. 39).
  • un rappel de Frank Tétart sur les TAAF qui permettent notamment à la France d’être à la tête de la 2e ZEE au monde après celle des EU mais l’exercice de la souveraineté française est mise en danger par les restrictions budgétaires qui ne vont plus permettre à la Marine nationale d’assurer les liaisons avec ces territoires lointains ; une coopération internationale peut-elle être la solution ? (p. 40).
  • Caroline Ronsin présente dans 4 pages détachables un dossier cartographique sur l’obésité dans le monde, un ensemble de données qui permettent de réfléchir sur les causes du phénomène et ses aspects sociologiques (pp. 41-44).
  • une carte du Maroc incluant notamment le Sahara occidental illustre une description de la situation du pays qui a à sa tête pour la 1e fois un gouvernement islamiste ; si la situation économique est relativement favorable, la situation sociale est moins brillante avec plus de 50% d’analphabètes et une taux de chômage des jeunes important. La situation des femmes serait également à revoir, ce qui n’est pas une priorité du gouvernement. Le Maroc sera-t-il réellement à l’écart du « printemps arabe » ? La constitution adoptée l’été dernier ne change pas réellement la donne, la réalité du pouvoir est toujours entre les mains du palais, pas celles du 1er ministre… (p. 45).
  • Mathieu Pellerin évoque la situation politique du Sénégal et l’opposition au putsch « constitutionnel » d’Abdoulaye Wade qui se présente pour un 3e mandat présidentiel ; la carte proposée met en valeur les zones de pauvreté du pays (pp. 46-47).
  • Une double page sur la situation au Mali présente les conditions qui permettent d’expliquer le coup d’état contre ATT qui s’est produit après la parution du magazine ; la carte permet de comprendre comment le Mali a été déstabilisé par la chute du régime de Khadafi et montre l’emprise d’AQMI sur la zone (pp. 48-49).
  • 3 cartes d’Israël mettent en évidence la crise sociale qui secoue le pays et fragilise le gouvernement de B. Netanyahou ; démantèlement de l’état-providence, assimilation trop rapide, multiethnicité nationale extrême, paupérisation et discrimination des immigrés sont des éléments qui développent une opposition croissante à la politique nationaliste du gouvernement (p. 50).
  • Guillaume Fourmont écrit une mise au point bienvenue sur le thème de la Charia, « loi établie par Dieu » mais concept plus théologique que juridique qui n’est pas entendue et appliquée partout de la même manière ; si Islam et démocratie ne sont pas contradictoires (cf. Tayyip Erdogan), tout dépend de quel courant de l’Islam il s’agit, et de la place des salafistes… cf.les 2 CR de la revue Moyen Orient sur ce thème http://clio-cr.clionautes.org/spip.php?article3898 & http://clio-cr.clionautes.org/spip.php?article3929
  • Constance de Bonnaventure montre les faiblesses de la Ligue arabe depuis sa création en 1945 et comment ses atermoiements face à la crise syrienne pourraient contribuer à la disparition de l’organisation qui n’a pas vraiment montré son utilité ! (p. 52).
  • Une carte du détroit d’Ormuz, un lieu toujours aussi stratégique met en évidence la multiplication des études de nouvelles routes de transport des hydrocarbures pour éviter le danger d’une éventuelle fermeture du détroit, une carte facile à utiliser dans le cadre d’une étude de cas avec les élèves pour le thème 2 du programme de géographie de seconde par exemple (p. 53).
  • Cécile Marin dans les pages de L’œil du cartographe (pp. 54-55) aborde un problème plus technique : comment la cartographie de presse réalise ses cartes ? à quelle niveau de complexité se situe-t-elle ? Elle utilise l’exemple de l’évolution des revenus dans l’aire de Philadelphie à partir du travail d’universitaires de Stanford et montre comment les cartes modifiées ont été publiées dans le New York Times ou dans l’Atlas du Monde diplomatique. Très instructif ! Il s’agit d’un problème de simplification de l’information auquel en tant qu’enseignant nous sommes confrontés tous les jours…

Les pages Environnement offrent deux cartes intéressantes. Nicolas Ressler présente le bassin hydrographique du fleuve Jaune, le Huang He et l’ensemble des problèmes que rencontre le fleuve tout au long de son cours. Après le Yangtze, un autre exemple de la manière dont le gouvernement choisit de maintenir le dynamisme économique du pays tout en maintenant ses ressources hydriques mais sans se préoccuper de la protection de l’environnement (pp. 58-59).

Frank Tétart présente un dossier sur la mer Baltique, au cœur du réseau de la Hanse au Moyen Age et aujourd’hui de nouveau un espace dynamique depuis la fin de la guerre froide. Mise en place du gazoduc Nord Stream, intensification du commerce régional, construction de fermes éoliennes, augmentation du tourisme et exploitation pétrolière… dans un espace particulièrement fragile (mer quasiment fermée) où les sources de pollution anciennes n’ont pas manqué (1e et 2e guerres mondiale, URSS…), cela a poussé les pays riverains à signer dès 1974 la convention d’Helsinki pour protéger l’environnement marin et réguler la mer, et on note une réelle amélioration, mais les efforts ne doivent pas faiblir ! (pp. 60-63)

Les pages Histoire nous offrent les ressources cartographiques sur le Japon présentes à la BNF et une présentation de la bataille d’Angleterre.
Bien que le Japon ait été un territoire fermé pendant des siècles, la BNF conserve plusieurs centaines de documents concernant la représentation du territoire japonais. Portugais et Hollandais ont commencé ces représentations des îles japonaises, mais elles sont souvent vues du large. Toutes les cartes d’origine européennes sont présentes à la BNF et s’y ajoutent des cartes japonaises et même chinoises, complétées aujourd’hui par les productions contemporaines, y compris américaines par l’occupation militaire qui a suivi la défaite de la 2e guerre mondiale. Un bel exemple de collection ! (pp. 66-71)

Quant à la bataille d’Angleterre, Jérome de Lespinois raconte cet épisode intense de la 2e Guerre mondiale et la manière dont le Fighter Command a réussi à résister puis finalement à s’imposer face aux attaques de la Luftwaffe (pp. 72-74).

Pour les amateurs de cartes anciennes, une charmante représentation de La Réunion de 1763 par Jacques Nicolas Bellin (p. 75) ainsi que de vraies « fausses » cartes, témoins de projets avortés ou oubliés comme la carte de l’Afrique portugaise qui montre les ambitions impériales de l’Etat européen au moment de la conférence de Berlin, ou celle des Etats-Unis de Grande Autriche regroupant 14 Etats à la veille de la Grande guerre, ou encore le projet de l’Etat de Jefferson au sud de l’Oregon et au nord de la Californie en 1941 que l’attaque de Pearl Harbor remise aux oubliettes…

Au final un numéro toujours aussi intéressant qui permet à la fois de compléter les informations médiatisées, mais aussi d’attirer l’attention sur des points moins abordés, une lecture toujours agréable et un rythme peut être plus soutenu pour ce numéro !

© Isabelle Debilly