Avec une régularité confondante, les dernières lettres de Madame de Maintenon viennent d’être éditée, en décembre 2011, dans le tome VI des éditions Champion. Le spécialiste néerlandais des correspondances entre le refuge hollandais et la France au XVIIe siècle, Jan Schillings coordonne le présent tome.

Des lettres inédites

Madame de Maintenon rédige environ 250 lettres pendant l’année 1714 et jusqu’en septembre 1715, à la mort de Louis XIV. Puis ce sont 400 lettres des quatre ans de sa retraite à Saint Cyr, puisque la période se clôt par la mort de la féconde rédactrice (avril 1719). Une bonne partie de ces lettres n’étaient pas éditées ou n’ont été pas utilisées par les biographes de Mme de Maintenon. L’édition de Lavallée (1865-1866) s’arrêtait en 1705 et celle de Langlois en 1701. Cette édition offre donc la possibilité de recontextualiser sur un plus long terme et de nuancer les évolutions de la pensée écrite de Mme de Maintenon. L’introduction de ces lettres s’accompagne d’une précieuse chronologie synthétique insistant notamment sur les essais d’accommodement du Roi et du régent avec les évêques et le pape, concernant les affaires de la Bulle Unigenitus.

« Le malheur est maintenant sur nos princes » (p 55)

Dans l’année 1714-1715, elle doit faire face à une nouvelle série de décès, la jeune Reine d’Espagne de laquelle elle s’entretient avec la princesse des Ursins depuis de nombreuses années, la reine d’Angleterre, Anne, le duc de Berry qu’elle connaît depuis l’enfance et qui afflige le roi d’Espagne dont il était le frère. Elle perd également le père de La Chétardie, curé de Saint Sulpice, le duc de Beauvillier dont elle fut proche,
Elle craint les décès des Infants d’Espagne (« on perd beaucoup d’enfant par là : le mal de dents »), du Dauphin toujours sujet aux maladies (le futur Louis XV). On ne va pas remplir nos lettres de morts, se résout-elle. Mais elle a toujours une pensée pour « les gens », les domestiques : « la Maison se séparera : les gens de conditions pourront dans la suite retrouver quelques place. Mais tous les autres malheureux qui avaient acheté leur charge, seront bien à plaindre. Nous avons tant de ces pertes-là qu’on ne voit que des gens ruinés » (p 158). Elle y est attentive lors de sa retraite à Saint Cyr, cherchant à replacer son monde.

Madame de Maintenon est lucide sur son âge et son état. Elle a perdu le sourire et la malice qui transpiraient dans les lettres précédentes. Dès 1714, elle se retire dans la cour, elle souhaite toujours être au courant des affaires mais avoir moins commerce avec les hommes. Les portraits qu’elle fait d’elle-même à son amie la Princesse des Ursins montrent ses multiples difficultés physiques mais une intelligence toujours acérée et une grande élégance. « Je me cache le plus qu’il m’est possible, étant un peu honteuse de vivre si longtemps, mais je conserve dans ma solitude les sentiments d’estime que j’ai pour un certain nombre de personnes. Vous savez, Madame, que vous en avez toujours été ». (p 211) dit-elle à une autre amie, Mme de Ventadour en septembre 1714.
Entre tous les décès et maladies, la santé du roi lui paraît inaltérable. « Le roi est en parfaire santé » devient une formule qu’elle égrène pendant longtemps : « Il se porte beaucoup mieux qu’il ne le faisait il y a 20 ans » (p 136). Et puis arrive le fatal mois d’août 1715. « J’ai vu mourir le roi comme un saint et comme un héros ».

« Ne me laissez rien ignorer, ma chère, de ce qui regarde les affaires…»

Pour la première fois de sa vie, Mme de Maintenon n’est plus dans l’action à partir de septembre 1715. Elle est désormais à l’écart des Affaires et certains de ses correspondants habituels en sont eux-même exclus au moment de la Régence (Noailles, Maine).

Cependant, sur les 647 lettres présentées dans ce tome, la plupart montre l’intérêt permanent que Mme de Maintenon a pour les affaires politiques et religieuses, à la différence près qu’elle n’est bientôt plus au centre de l’information mais doit la demander à d’autres et la commenter de loin. Un tiers de ses lettres sont adressées à sa famille ou à ses amis fidèles qui deviennent rapidement ses seuls interlocuteurs. Même Mme des Ursins s’est tue. Elle décide d’écrire de longues lettres à sa nièce Mme de Caylus afin qu’elle leur serve d’intermédiaire par ces gazettes. Ce qui apparaît nettement dans les missives, c’est que la nouvelle orientation des emplois, des pensions, des charges qui échappent à son petit monde. « Pour moi, je n’y puis plus rien », dit-elle sans aucune autre remarque, ni regret en 1715. Mais elle ne cesse de conseiller, orienter, indiquer des pistes à ses correspondants. Elle gère ses biens comme les femmes du grand Siècle mais souvent, « ni la Maison ni moi n’avons un sou » (p 721). Elle reçoit des présents, mais aussi des ouvrages nouvellement parus mais « ne se soucie pas de voir le Télémaque » de Fénelon qui vient d’être publié (p 598). Ce qui la préoccupe car cela lui semble incompréhensible (p 509), c’est l’affaire des Princes, c’est à dire l’attaque du duc de Bourbon contre le duc du Maine. Cependant, elle retrouve un semblant de fonction de conseillère puisqu’en 1718, le maréchal de Villeroi, chef du Conseil de la Régence, son ami de longue date, la consulte fréquemment, lui écrivant parfois des lettres de dix pages. Mais elle reçoit comme un coup de massue la destitution des princes par le Conseil de régence, entériné par le lit de justice d’août 1718. On peut s’étonner d’ailleurs dans ce recueil de lettres de l’absence de celles destinées à son protégé.

« A l’égard des enfants qui ont la tête un peu dure, il faut prendre patience, leur dire cent fois la même chose » ( p58)

Ses activités liées à l’enseignement, au service de la religion et à la gestion des maisons sont toujours importantes. Même depuis Versailles, depuis Marly elle a toujours suivi de près le quotidien de Saint Cyr et prodigué plusieurs fois par semaine des conseils même les plus concrets : la lumière dans les dortoirs, l’achat de pots d’étain. Une fois, elle s’étonne que les filles de la Visitation soient mal nourries argumentant avec force de détails concrets pour alerter l’évêque de Chartres (p 171). Elle s’inquiète de la subsistance des Filles de Moret [sur Loing] qui dépendent exclusivement de sa propre pension payée avec retard (p 761). Elle se désespère de ne pouvoir augmenter le nombre de novices admises à Saint Cyr. Elle prend des nouvelles de nombreuses jeunes filles, donnant son avis sur le caractère, la conduite à tenir avec les maîtresses. Inlassablement, elle maintient : « Il n’y a qu’à semer toujours » ( p 103). Elle rédige notamment de très belles lettres sur l’éducation, comme celles à l’intention de Mme de La Mairie, prieure de Bizy en lui demandant de se ménager (« on m’a dit que vous vous leviez à deux heures du matin, (…) il faut faire le bien mais plus tranquillement » (p 139) et en la conseillant sur les questions de relation avec les jeunes filles.

Dans ces correspondances de femmes, entre Mme de Maintenon, la gouvernante des Infants à la cour d’Espagne, la gouvernante du Dauphin, les éducatrices des couvents liés à Saint Cyr, les maîtresses des petites classes se tissent une nouvelle perception de l’enfant à l’aube du XVIIIe siècle. Une seule fois en 1718, elle donne des conseils de comportement et de d’écriture à un jeune séminariste : « quand on sait le latin et des plaisanteries de collège, je vous assure qu’on est insupportable aux honnêtes gens ».

Après 1715, elle conseille ses amis sur le mariage de leur fille plutôt que le couvent. Elle assure qu’elle continuera à payer les pensions pour l’éducation de quelques-unes de ses protégées. Elle encourage la vocation du « rêveur » comte de Caylus qui abandonnant le métier des armes en 1715, devint un grand collectionneur au service du roi. Même si elle compte ses 330 pas pour aller jusqu’à la grille pour communier, elle est toujours active et manque de temps. Elle reçoit des visites amicales ou encore princières. Toutefois, elle fait le choix de se renfermer et de « paperasser », comme elle dit.

Ces lettres des cinq dernières années de la vie de Madame de Maintenon, restées méconnues pour la plupart, témoignent d’une activité inlassable dans les domaines qu’elle a choisis : Saint Cyr, l’éducation, les affaires religieuses, la protection de ses clients et les relations avec ses amis. Ses idées ont-elles évolué ? Difficile de le dire car publier la correspondance active seule d’un écrivain frustre le lecteur du fait des non-dits liés au suivi de la correspondance et à la mutilation de l’échange. Madame de Maintenon a, en outre, une capacité impressionnante à être allusive sur les questions importantes. Elle ne s’épanche pas, elle ne se plaint pas, elle suggère, elle élude. Jusqu’au bout, elle a su gérer sa relation au monde et à la postérité. Pourtant, loin d’être indifférente, elle se dévoile une fois en 1718: « le souvenir du passé tue, le présent met le sang en mouvement, l’avenir fait transir »(p 721).
Une très belle lecture de grande qualité.

Pascale Mormiche