Cet essai critique sans complaisance et documenté propose une réelle réflexion sur les relations entre la Chine avec l’Afrique. Tidiane N’Diaye fait un état des lieux de la Chinafrique dans tous ces aspects et le resitue dans l’histoire de ces relations, dans les choix stratégiques de la Chine et pose la question des risques pour les États africains.
Tidiane N’Diaye est écrivain et économiste, chargé d’études à l’INSEE, directeur de recherches à Sup de Co Caraïbes. Il est l’auteur de plusieurs études économiques et sociales notamment sur les départements d’Outremer. Spécialiste en anthropologie des civilisations négro-africaines et de leurs diasporas il a publié de nombreux essais (Traite négrière arabo-musulmane, Le génocide voilé, à propos de la traite arabe, les falachas …). Il s’attaque ici au néo-colonialisme chinois.
Chine – Afrique , premières relations en symphonie inachevée.
C’est une longue histoire depuis les prémices sous les Hans. Sous les Mings les voyages de Zhenghe atteste d’une bonne connaissance du continent tout comme la carte de 1389, une histoire peu connue des Européens que l’on retrouve dans des sites archéologiques kényans. Ces relations avant tout commerciales cessent dès 1433. Cette vieille histoire de contacts sans volonté d’expansion est régulièrement rappelée par l’actuel gouvernement chinois, « instrumentalisée » dit l’auteur qui rappelle l’existence tue d’esclaves noirs en Chine et ce bien avant la traitre occidentale.
Passif colonial occidental ou le cheval de Troie des Chinois. C’est avec la décolonisation que les dirigeants chinois retrouvent le chemin de l’Afrique en particulier avec une aide destinée à rompre l’isolement diplomatique de Pékin. A la mort de Mao l’intérêt devient plus économique, recherche à la fois de matières premières et d’un marché pour ses produits dans un monde globalisé et libéral de l’OMC. L’ensemble est emballé dans un discours de solidarité Sud-Sud fustigeant le passé colonial de l’Europe que l’auteur rappelle en quelques pages jusqu’au néocolonialisme post-indépendances. Il analyse comment l’échange inégal des années 60-70 a été favorable à la pénétration de la Chine devenue « usine du monde ».
Le réveil du dragon à l’assaut de la proie africaine. L’ouverture de la Chine à l’économie de marché sous Deng Xiaoping a fait de l’Afrique un élément de sa stratégie de sécurisation des approvisionnements. L’analyse de la théorie « gagnant-gagnant » de Hu Jintao montre que la réalité : aide contre licence d’exploitation des matières premières ou du pétrole, est une autre forme d’aide conditionnée accompagnée d’un entrisme des entreprises chinoises très subventionnées par Pékin. Quelques exemples viennent étayer le point de vue de l’auteur : la présence chinoise ressemble à une nouvelle colonisation moins la domination politique, d’autant qu’elle contribue à un nouvel endettement des pays africains alors même que l’argent de l’aide revient en Chine via les opérateurs chinois bénéficiaires des contrats, par un système proche de celui mis en place par les anciennes métropoles au lendemain des indépendances. L’auteur, très critique, est aussi force de proposition pour que le continent noir se défende voire trouve dans le jeu économique international des points d’appuis pour son développement, si l’Afrique sait s’unir face au « pillage organisé » par les Chinois.
La stratégie du monstre affamé. Tidiane N’Diaye compare la stratégie chinoise au jeu de go. La Chine s’est jetée sur l’Afrique tel un tigre sur sa proie, depuis 2000 les échanges ont été multipliés par 10, d’autant plus efficacement qu’elle se moque aussi bien de la question des droits de l’homme que de l’environnement, questions que les entreprises occidentales se doivent de regarder sous la pression des ONG (ex le Soudan). Ce que craint la Chine serait un recul économique qui ferait resurgir le spectre de la faim ; son passé de famine est d’autant plus politiquement risqué que la croissance a accentué les inégalités : 50 millions de riches mais 1 milliard de pauvres, d’après le FMI le revenu moyen chinois place le pays à la 100ème place dans le monde.
Un développement est consacré au racisme dont sont victimes les étudiants et commerçants africains sur le sol chinois, bien loin des discours de fraternité du gouvernement.
La prédation économique par « deal non regardant ». La non ingérence voire le soutien aux régimes autoritaires est la règle pour obtenir des soutiens lors des votes à l’ONU. L’auteur dénonce la corruption présentes dans bien des contrats et un pragmatisme que la Chine vend aux élites africaines qui profitent de la manne financière chinoise. Cet argent qui pourrait aider au décollage économique est confisqué par des oligarchies autoritaires comme en Angola, Mozambique, Soudan, Kenya.
« Chine-toc » ou contrefaçon au parfum de fleur de lotus. L’invasion de produits made in china est une menace pour la main d’œuvre africaine et peut-être encore plus pour les consommateurs. Deux exemples : le textile et les médicaments. Ce chapitre propose une intéressante réflexion sur les avis partagés au Sénégal : mauvaise qualité mais accès à la consommation pour les masses pauvres.
Prostitution type « empire des sens noirs » ou nouveau produit d’exportation chinois. Voilà un nouveau marché pour les commerçants – proxénètes chinois avec les exemples du Mali au moment le la Coupe d’Afrique des nations ou du Cameroun. Ce développement de la prostitution sur le continent où sévit le VIH est un nouveau problème, d’autant que le risque semble nié en Chine.
Les risques d’une recolonisation chinoise de l’Afrique. Ce dernier chapitre est une forme de bilan. Et si cette entrée de la Chine relançait les relations du continent avec l’Europe, les USA ou des nouveaux venus : Inde, Brésil, Turquie ? Tidiane N’Diaye souhaite une révision du bilan colonial, sans nier les aspects négatifs il rejette l’excuse commode de bien des élites africaines et souhaite une analyse sérieuse de l’interventionnisme chinois qui, malgré un discours de solidarité, reprend les techniques du pillage colonial.
L’auteur évoque un rejet par les populations : concurrence sauvage, révolte des ouvriers comme en Zambie où ils dénoncent le racisme et l’absence de droit social, frein au développement, désastre écologique notamment aux dépens de la forêt et plus récemment accaparement des terres. L’Afrique ne devient-elle pas pour la Chine le déversoir d’un trop plein de population avec retour des capitaux vers la mère patrie ?