Cet ouvrage essaie d’apporter une réponse à la question : qui était Jésus de Nazareth ? Quel type de personnage religieux était-il ? La question du jésus historique a toujours été au cœur de la recherche francophone et cela, depuis Voltaire et les philosophes du siècle des Lumières jusqu’aux spécialistes contemporains. L’étude des rouleaux de la mer Morte et des manuscrits de Nag Hammadi, découverts au milieu du siècle dernier, a pourtant permis de reconsidérer plusieurs aspects des activités et des enseignements que les premiers auteurs chrétiens attribuent traditionnellement au fondateur de leur mouvement. Il ne s’agit plus, pour les historiens, de désolidariser systématiquement Jésus du peuple et du contexte socioculturel qui étaient les siens, mais d’en faire ressortir, au contraire, sa judéité. Tous les témoignages s’accordent à dire et convergent en direction d’un Jésus praticien de la contemplation mystique de la Merkava, le trône de la Divinité au ciel, ce qui permet de rendre compte à la fois de son autorité et de son charisme exceptionnel.
L’auteur, Pieriugi Piovanelli est professeur de judaïsme ancien et des origines du christianisme à l’université d’Ottawa depuis 1999. Il est directeur d’études sur la chaire d’origines du christianisme à l’Ecole des hautes études.
Sources multiples
Confrontés à la multiplicité des sources, cet ouvrage a pour objectif de présenter une hypothèse originale, celle d’un Jésus de Nazareth comme le premier mystique du judaïsme ancien. L’ouvrage se compose de quatre parties :
– la première partie, historiographique, tente de combler un oubli. En effet, l’auteur est étonné de l’absence, dans la recherche contemporaine, que ce soit en Europe ou en Amérique du Nord, de la tendance à oublier purement et simplement les contributions francophones, pourtant novatrices et de grande valeur. Selon l’auteur, la vulgate en vogue dans les universités nord-américaines suis un chemin tout tracé qui va de la publication des extraits d’Hermann Samuel Reimarus (1694-1768), en 1774-1778, aux derniers travaux des spécialistes allemands et anglo-saxons contemporains. Des recherches d’Ernest Renan (1857-1940), de Charles Guignebert (1867-1939) ou de Maurice Goguel (1880-1955), brillent par leur absence de la plupart des anthologies et des manuels consacrés au Jésus historique. Tout se passe donc comme s’il n’y avait eu que la grande tradition historique, philosophique et théologique allemande du XIXe et XXe siècle dont les savants anglo-saxons auraient les héritiers directs au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. L’auteur compte bien, dans cet ouvrage, soulever, en soulignant cette amnésie volontaire, de susciter de nouvelles questions et, pourquoi pas, que de nouvelles générations de chercheurs redécouvrent les travaux de quelques grands savants. Cette partie historiographique s’achève sur un constat révélateur de la crispation et du repli identitaire de certains milieux qui se voudraient scientifiques mais qui ne le sont pas. Force est de constater que quelques théologiens contemporains tentent de détourner certains arguments plus que légitimes de la critique dite « postmoderne » pour revenir à des positions dogmatiques typiquement précritiques et prémodernes. D’où la nécessité, pour Pierugi Piovanelli de renouer avec la tradition historico-critique francophone qui va de Voltaire (1694-1778) à Etienne Trocmé (1924-2002).
Contexte social et culturel de la Galilée et de la Judée du Ier siècle de notre ère
On touche, dans ce chapitre, au changement de paradigme qui a caractérisé le passage de la deuxième phase, minimaliste, de la recherche sur le Jésus historique de 1953 à 1985, à la troisième phase, davantage contextuelle ayant cours depuis 1985. Les études sur l’archéologie de la Galilée ou sur la diversité et la variété des attentes messianiques dans le judaïsme du Second Temple sont allées bon train, avec des résultats parfois contradictoires pour ne pas dire surprenants. Pendant ce temps, d’autres spécialistes se sont consacrés à l’étude des récits mettant en scène des ascensions au ciel dans les textes pseudépigraphiques de la même époque, même si très peu de collègues de l’auteur ont osé faire un lien avec des épisodes similaires dans les écrits plus tardifs des Hekhalot (les palais où résident la divinité et les anges au ciel).
Démonstration de la thèse de l’auteur
Cette troisième et dernière partie est consacrée à la démonstration, en deux temps, de la thèse de l’auteur, à savoir que les témoignages dont les chercheurs disposent laissent entrevoir, à l’arrière-plan du Messie exalté quasiment divinisé par ses fidèles, la figure d’un meneur charismatique (au sens sociologique wébérien du terme) qui puise son inspiration dans une relations des plus étroites avec la divinité. Du vivant de Jésus, au Ier siècle de notre ère, le profil religieux qui correspond le plus à cette description est celui du praticien de la mystique de la Merkava, de la vision du « trône » divin du ciel. La lecture de ces deux chapitres devrait être d’un point de vue méthodologique, particulièrement instructive, car y sont critiquées, au passage, plusieurs conceptions aprioristiques héritées des approches théologiquement correctes qui ont dominé une recherche trop souvent tétanisée par l’insondabilité de l’énigme Jésus.
Dans la quatrième et dernière partie, sont enfin explorés deux effets, pour ainsi dire, secondaires du mysticisme de Jésus, à savoir, la question de la posture résolument messianique qu’il aurait prise en refusant de se soumettre au jeûne rituel, vraisemblablement, à l’occasion de Yom Kippour et celle de la transmission de son charisme mystique à sa disciple la plus douée, Marie de Magdala.
L’étude de Jésus de Nazareth en tant que mystique judéen du Ier siècle de notre ère devrait nous permettre de poursuivre la mise en perspective historique des origines du christianisme entreprises par les spécialistes – Ernets Havet (1813-1889), Maurice Goguel (1888-1955), Oscar Cullmann (1902-1999), Pierre Geoltrain (1929-2004) et Simon CLaude Mimouni.
Les enseignements de Jésus ont été, certes, rapidement récupérés, réinterprétés, voire carrément détournés par des héritiers zélés qui ont ainsi contribué à creuser, à terme, le clivage idéologique entre messianistes judéens et non judéens. Toutefois, que ce soit le Jésus, le Pierre, le Jacques, ou le Paul historiques, voire l’auteur de l’Evangile selon Marc ou celui de l’Apocalypse johannique, aucun de ces personnages n’a été le fondateur du christianisme car la transformation de ce mouvement, de secte judéenne marginale en religion officielle de l’Empire romain, a été extrêmement lente et progressive et s’est faite sous la pression de ces événements historiques majeurs qui ont été la crise du judaïsme palestinien provoquée par les deux Guerres judéo-romaines en 66-73 et en 132-135 de notre ère, accompagnée de celle du judaïsme égyptien lors de la guerre dite « de Kitos » en 115-117 de notre ère.
Au final, on touche, comme toute quête sur les origines de n’importe quel phénomène historique ou social à ce que Marc Bloch (1886-1944) appelait « l’idole des origines » car on a trop souvent tendance à confondre une filiation avec une explication. Or, c’est justement de cette complexité historique que Pierluigi Piovanelli a souhaité, également, mettre en exergue.