Glossaire, index, bibliographie. Perpignan : Société agricole, scientifique et littéraire des Pyrénées-Orientales, 2007, 420 p. 48 €.

Compte-rendu réalisé par Gauthier Langlois, professeur d’histoire-géographie au lycée Jules Fil, membre du Conseil scientifique du Centre d’études cathares, Carcassonne.

Le « saint Louis » des catalans

Le roi Jaume Ier d’Aragon (ou Jacques Ier en français) est l’une des figures les plus importantes de l’histoire de la péninsule ibérique au Moyen Âge et en particulier de la Reconquista. Conquérant des Baléares et du royaume de Valence (d’où son surnom), il est à l’origine de l’expansion politique et économique des catalans en Méditerranée. Les catalans, qui fêtent en 2008 le 800e anniversaire de sa naissance en ont fait depuis longtemps leur principal héros national, à l’image de ce qu’est son contemporain saint Louis pour les français. En témoignent en particulier les statues qui le représentent, les places à son nom, et les nombreuses études historiques qui lui ont été consacrées. Mais l’intérêt de Jaume Ier ne se limite pas à cette dimension catalane. Occitan par sa mère et sa naissance, seigneur de Montpellier et du Roussillon, c’est aussi un acteur de l’histoire de la France méridionale et plus largement de l’histoire européenne du XIIIe siècle. Mais encore, c’est aussi le seul souverain de son époque à avoir laissé un récit autobiographique : le Livre des faits. Un récit passionnant par sa forme, proche de l’oral, ce qui le rend particulièrement vivant et constitue son originalité. Un récit passionnant aussi par son contenu, riche en détails sur la vie politique, la vie intime et la société médiévale. Pourtant Jaume Ier et son livre sont restés plutôt oubliés de l’historiographie française. Le livre d’Agnès et Robert Vinas qui constitue la première traduction intégrale du Livre des faits, comble donc un manque important.

Une traduction exemplaire

Robert Vinas, qui a longtemps enseigné dans l’Éducation nationale, est un spécialiste des templiers du Roussillon auxquels il a consacré plusieurs ouvrages. Son épouse, Agnès Vinas est agrégée de lettres classique et enseigne la littérature française et latine dans un lycée de Perpignan. A. et R. Vinas avaient déjà unis leurs talents scientifiques et pédagogiques dans un remarquable ouvrage sur la conquête de Majorque paru chez le même éditeur en 2004. Ouvrage dans lequel ils avaient déjà traduit un large extrait du Livre des faits. Le présent livre constitue donc un prolongement de leurs précédents travaux. Mais ce livre est plus qu’une simple traduction du catalan médiéval au français. A. et R.Vinas ont accompagné le récit royal de nombreuses notes en marges, d’encadrés, de cartes, de généalogies analysant le récit, précisant son contexte historique ou développant certains thèmes. De plus une riche iconographie composée principalement de miniatures et documents médiévaux complète utilement le texte. Et ces images ne sont pas là à titre décoratif mais sont généralement accompagnées d’un long commentaire, soit pour illustrer le récit, soit, à titre historiographique, pour montrer l’utilisation qui en a été faite jusqu’à nos jours.

Un récit remarquable

A. et R. Vinas ont divisé le récit en 25 chapitres auxquels ils ont donné des titres explicites. Du premier, intitulé Prologue, ils dégagent les objectifs du roi. D’abord de transmettre des leçons à ses successeurs. Et surtout de faire le bilan de la vie d’un roi chrétien, pour « peser dans la balance du jugement dernier ». Ces objectifs expliquent le caractère du récit : ni chronique historique, ni autobiographie au sans moderne, mais une sélection de souvenirs, classés par ordre chronologique, destinés à montrer qu’il a été un bon roi chrétien. Le fil directeur du récit est l’affirmation du pouvoir royal. Même s’il est de noble lignage, Jaume Ier veut montrer qu’il ne doit qu’à lui (et à Dieu) d’être devenu un grand roi. Dans le récit qu’il fait de sa jeunesse, Jaume Ier apparaît successivement comme un enfant non désiré par son père, un jeune orphelin, le prisonnier de Simon de Montfort qui l’élève à Carcassonne, puis l’otage des querelles des barons de ses terres. Il affirme cependant progressivement sa personnalité et son indépendance. Mais c’est avec la conquête de Majorque, alors qu’il n’a qu’une vingtaine d’année, qu’il réussit à s’imposer sur ses vassaux et amener la paix dans son royaume. Sa grande affaire (qu’il partage avec d’autres souverains de son temps comme saint Louis), est de dompter la noblesse indisciplinée en l’utilisant dans un but chrétien : la conquête de territoires pris sur les musulmans. Mais cela ne va pas sans mal : dans le récit le roi se met en scène se démenant pour convaincre ses barons de le suivre ou pour assurer le ravitaillement des armées. Il doit faire face à l’orgueil, l’avarice, l’indiscipline ou la lâcheté de beaucoup de chevaliers, à la faiblesse des effectifs souvent fluctuants. Citons à titre d’exemple une anecdote qui se situe lors de la conquête de Majorque. En pleine bataille le roi croise un chevalier qui passait pour le meilleur jouteur de la Catalogne. Ce dernier lui déclare quitter le combat parce qu’il a été blessé à la lèvre par une pierre ! Jaume Ier fait ainsi apparaître, souvent avec humour, un décalage entre l’idéal chevaleresque (tel qu’on le trouve par exemple dans les chansons de gestes) et la réalité. Cela n’empêche pas le roi de pleurer à la mort de ses barons et leur rendre hommage.

Au fil de la lecture on relève quantité de détails sur la vie privée des chrétiens et des musulmans, sur le fonctionnement des institutions, sur les rapports sociaux, sur les rapports entre chrétiens, musulmans et juifs. Développons ce dernier point sur lequel on notera la perméabilité entre le monde chrétien et le monde musulman mais aussi la grande diversité des rapports. Au gré de l’évolution des forces politiques ou de leur humeur des barons chrétiens passent au service d’émirs musulmans et à l’inverse des notables musulmans se mettent au service du roi chrétien. Ces changements politiques s’accompagnent parfois de conversions dans les deux sens. Le roi qui préfère des solutions négociées au combat, n’a pas réussi à empêcher le massacre ou la réduction en esclavage des musulmans de Majorque ni le pillage de leurs biens par l’armée. Dans sa conquête du royaume de Valence, il fait tout pour éviter cela. Les sièges qu’il mène sont avant tout des démonstrations de force destinés à amener les ennemis à négocier leur reddition. Dans l’intervalle on assiste à des évènements qui peuvent nous surprendre. Ainsi, au siège de Valence deux cavaliers musulmans et deux chevaliers chrétiens se livrent à un tournoi. Le roi négocie la reddition des musulmans, qui peuvent conserver leurs lois et l’essentiel de leurs biens. Mais il doit le faire ici en cachette, contre la volonté de ses barons qui préfèrent piller ou rançonner. La négociation se termine généralement par un repas et des échanges de cadeaux entre le roi et les notables musulmans. Respectueux des coutumes musulmanes, le roi fait égorger les bêtes destinées au repas. Mais si les musulmans apparaissent soucieux de manger une viande hallal, ils boivent du vin comme les chrétiens et avec eux. Dans cette conquête le but du roi est de faire des musulmans des sujets fidèles. Cependant, vers la fin de son règne il doit faire face à de nombreuses révoltes de musulmans. Déçu, il se résigne à en expulser beaucoup.

Un livre à mettre entre toutes les mains

En conclusion, tout le monde trouvera son compte dans ce livre très riche. Le professeur d’histoire cherchant des documents à exploiter avec ses élèves de cinquième ou de seconde, l’amateur de beau livre, l’amateur de récits autobiographiques comme l’historien. Un livre exemplaire qui montre que l’on peut associer des qualités didactiques, littéraires et artistiques avec une grande rigueur historique.

Signalons pour terminer que les auteurs animent également un site remarquable par sa forme et son contenu : Méditerrannées, centré sur l’histoire et la littérature méditerranéenne depuis l’Antiquité. On y trouvera de nombreux articles et documents : http://www.mediterranees.net/ On peut également retrouver Robert Vinas dans deux émissions de Canal Académie enregistrées à l’occasion de la parution de La Conquête de Majorque et du Livre des faits : http://www.canalacademie.com/+-Robert-Vinas-+.html

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